L’implantation de nichoirs en milieu urbain au secours de la biodiversité, bonne ou fausse bonne idée ?

En matière de biodiversité et de sa protection, l’enfer peut parfois être pavé de bonnes intentions. En effet, les mesures de protection (évidemment nécessaires au vu des dégâts occasionnés par nos modes de vie) impliquent des interventions sur des écosystèmes.

Or, intervenir sur un écosystème n’est jamais anodin surtout quand cela est fait de manière « instinctive, logique ». Une connaissance approfondie des milieux et des espèces est en réalité indispensable avant de se lancer dans une action à grande échelle.

Ce que vous allez apprendre

  • Toute action menée pour la préservation d'un écosystème ou de sa biodiversité peut avoir des conséquences inattendues
  • La préservation des écosystèmes et de la biodiversité passe par leur parfaite connaissance
  • Les politiques publiques incitatives peuvent parfois être contreproductives
  • L'effet des nichoirs sur la reproduction des mésanges est spécifique-dépendante
  • La lutte pour la préservation ou la restauration des écosystèmes naturels doit toujours avoir la préférence à l'artificialisation
Joanna Sudyka
Les nichoirs pourraient représenter un piège écologique pour certaines espèces

Peut-il y avoir trop de ruches ?

Rucher parc Georges Brassens à Paris
Rucher parc Georges Brassens à Paris Charlubr

On peut citer la tendance récente à implanter de nombreuses ruches en milieu urbain, au point d’atteindre à Paris, par exemple, une densité en abeilles par km² supérieure à celle en milieu agricole ! Cette situation fait suite à une campagne massive d’implantation de ruches en milieu urbain… là où la mortalité est paradoxalement bien moindre qu’à la campagne.

Ainsi, de nombreuses villes et collectivités ont lancé et financé des programmes d’installations de ruches afin de lutter contre la baisse drastique des populations d’abeilles constatée depuis des années, liée notamment à un mauvais emploi de pesticides, comme les néonicotinoïdes. Rien de plus logique alors que de promouvoir ces projets apparemment favorables à la biodiversité. Seulement voilà, des écologues ont rapidement alerté sur ces politiques unidirectionnelles. Tout d’abord, le milieu urbain était loin d’être celui le plus touché par la mortalité apicole. De plus, les abeilles implantées appartiennent toutes à l’espèce Apis melifera, l’abeille domestique bien connue. Leur implantation massive se fait alors au détriment des très nombreuses espèces sauvages, moins efficaces dans leur capacité à se nourrir et finalement menacées par la compétition que représente l’arrivée des abeilles domestiques.

Ainsi, finalement, le remède s’est avéré pire que le mal : pour améliorer la biodiversité, une espèce a été implantée massivement dans un milieu où elle n’était pas présente et cette implantation s’est faite au détriment d’une autre espèce, soudainement fragilisée, ce qui correspond à l’inverse de l’objectif de départ.

Arnaud Lardé
Dans la mesure où elle a un impact immédiat important par rapport à une initiative individuelle, une politique d’actions doit se fonder sur des études scientifiques.

Implanter des nichoirs en milieu urbain

Mésange bleue
Mésange bleue wikipedia commons

Ici, je souhaiterais m’attarder sur un autre exemple de politique d’aide à la biodiversité : l’implantation de nichoirs en milieu urbain afin d’aider des espèces à trouver de nouveaux espaces de nidification face à la raréfaction des gîtes naturels. Une étude de Joanna Sudyka et de ses collègues de L’Institut des Sciences de l’environnement de l’Université de Cracovie (Pologne), publiée en septembre 2022, compare l’effet des nichoirs et gîtes naturels sur la fitness reproductive d’oiseaux comme la mésange bleue (Cyanister caeruleus) et la mésange charbonnière (Parus major).

Mésange charbonnière
Mésange charbonnière Francis C. Franklin

Le terme de fitness désigne le « taux de performance reproductif » d’un individu ou d’une espèce : performance à trouver un partenaire, à se reproduire, à mener à terme le développement d’un embryon etc. Plus la fitness est élevée, plus l’individu ou l’espèce a un fort taux de reproduction. Les deux espèces de mésange étudiées sont dites cavernicoles c’est-à-dire qu’elles ne construisent pas un nid « classique » dans les branches d’un arbre mais utilisent des cavités pour s’installer et aménager leur nid : trou d’arbre, cavité artificielle, trou dans une berge etc. Or, les cavités naturelles se raréfient considérablement dans les milieux urbains, d’où les démarches d’implantation de nichoirs, apparemment appréciés des mésanges ; mais l’impact de leur utilisation n’est pas aussi positif que cela ou, en tout cas, n’est pas généralisable à toutes les espèces.

Arnaud Lardé
Cette étude tend ainsi une fois de plus à comprendre qu’en matière de préservation de la biodiversité, la priorité doit aller au maintien ou à la restauration d’espaces naturels plutôt qu’à des dispositifs artificiels visant à compenser la dégradation des espaces originels.

Contexte et protocole de l’expérience menée en Pologne

Vieil arbre
Vieil arbre pong Koedpoln

L’objectif poursuivi par l’équipe de Joanna Sudyka est de comprendre le potentiel de conservation des nichoirs avec en idée implicite de questionner l’efficacité d’une politique de pose de nichoirs face à une autre politique de conservation des milieux et donc des cavités naturelles.

Il est d’un premier abord logique de penser que les nichoirs ne doivent présenter que des avantages avec une date de ponte plus précoce (cavité facile à trouver), une couvée plus nombreuse, des risques de prédation plus faibles, un premier envol plus précoce etc. Mais ces schémas semblent en réalité varier d’une espèce à l’autre.

De plus, ces modifications pourraient finir par augmenter la densité de la population concernée et donc provoquer des compétitions intra et interspécifiques inhabituelles, un taux de copulation extra-paire (hors du couple parental) plus élevé, une perturbation du cycle de développement par le microclimat qu’induit le nichoir, une augmentation de la charge parasitaire (les matériaux utilisés par les oiseaux dans les nichoirs ne se décomposant pas aussi facilement que dans une cavité naturelle, les parasites peuvent proliférer plus facilement), etc. Nous pourrions multiplier les exemples de paramètres qu’une simple boîte de bois pourrait modifier sans que nous n’y ayons pensé avant.

Les deux espèces étudiées, la mésange bleue et la mésange charbonnière, ont été choisies par les auteurs car elles utilisent le même type de sites de nidification et parce que les légères différences dans leur morphologie, physiologie, cycle de vie, fournissent une bonne opportunité de comparaisons interspécifiques. L’étude comparative a été réalisée sur deux années consécutives, 2018 et 2019 dans la forêt de Bielany située à Varsovie en Pologne. Deux sites ont été monitorés, le premier avec uniquement des cavités naturelles et le second équipé de nichoirs. Ces deux sites étaient suffisamment éloignés pour ne pas générer de compétition entre les deux types de cavités mais néanmoins dans la même forêt pour conserver le même type d’écosystème (le nombre de paramètres à prendre en compte dans la conception d’un protocole scientifique rigoureux me fascine toujours à chaque lecture !).

Résultats observés

  • Nombre de couvées

    Globalement du même ordre à la fois pour la mésange bleue (MB) et la mésange charbonnière (MC) avec une légère tendance à un nombre plus important dans les nichoirs.

  • Succès reproductif

    Les MB ont obtenu moins d’oisillons et ont eu un taux d’éclosion et de premier envol plus bas dans les nichoirs. Cette différence ne s’observe en revanche pas chez les MC. De plus, le taux de succès d’éclosion (pourcentage d’œufs ayant éclos dans une couvée) est également plus bas pour les MB dans les nichoirs que dans les cavités naturelles alors qu’une nouvelle fois ce paramètre n’est pas modifié significativement chez les MC. Le nombre d’oisillons ayant pu s’envoler est à nouveau plus bas (avec un temps de séjour plus long dans le nid) pour les MB dans les nichoirs que dans les cavités naturelles, alors que c’est l’inverse pour les MC. Une différence notable réside aussi, pour les deux espèces, dans des décalages de début de couvage, car il a été observé que dans les nichoirs le début de couvage était plus précoce, avant même que la ponte ne soit complète, entraînant une augmentation des éclosions asynchrones, rarement bénéfiques pour le taux de réussite de développement complet (jusqu’à l’envol) des oisillons.

Arnaud Lardé
Ainsi, finalement, le remède s’est avéré pire que le mal : pour améliorer la biodiversité, une espèce a été implantée massivement dans un milieu où elle n’était pas présente

Bilan et perspectives

Il s’agit de la première étude à comparer les conséquences sur la fitness reproductive de passereaux des variations de types de cavités entre des cavités naturelles et des cavités artificielles en milieu semi-urbain. Il a ainsi été démontré que le type de cavités affecte les performances reproductives d’une manière spécifique-dépendante.

Pour les mésanges bleues, l’impact des nichoirs sur leur fitness a été plutôt négatif (plus petit nombre d’oisillons, taux de développement depuis l’éclosion jusqu’au premier envol plus bas, temps plus long passé au nid notamment) comparé à une nidification en cavités naturelles. La plupart des conséquences négatives ont lieu après l’éclosion. En revanche, pour les mésanges charbonnières, la fitness n’a globalement pas été affectée.

Cette différence d’impact selon les espèces étudiées, aussi proches semblent-elles, permet de pointer et mettre en évidence la nécessité de développer et d’approfondir les connaissances écologiques des espèces et des milieux étudiés, surtout chez les décideurs publics.

En effet, dans la mesure où elle a un impact immédiat important par rapport à une initiative individuelle, une politique d’actions doit se fonder sur des études scientifiques et non sur le « bon sens », argument souvent utilisé dans ces cas-là-, ou sur de bonnes intentions qui flattent le citoyen en attente légitime d’actions concrètes pour l’environnement de la part de leurs élus.

L'installation de nichoirs est positive pour la biodiversité quand elle est réfléchie en amont, et positive en matière de médiation !
L'installation de nichoirs est positive pour la biodiversité quand elle est réfléchie en amont, et positive en matière de médiation ! Thomas Bresson.

Une autre conclusion marquante porte sur l’importance écologique majeure de la conservation des vieux arbres, lieux de nidifications privilégiés des espèces cavernicoles. Les zones anthropisées sont trop souvent marquées par un « nettoyage » de tout ce qui dépasse ou qui ne correspond plus aux standards esthétiques habituels.

La nécessité de généraliser ce type d’études à d’autres taxons se fait également afin de pouvoir tirer une conclusion plus universelle sur la nécessité de connaître les exigences écologiques d’un groupe voire d’une espèce avant d’intervenir sur le milieu.

De plus, on sait que le grand public est souvent intéressé et partie prenante de ces programmes de sciences participatives (Vigie-nature : Opération papillons ou Oiseaux des jardins par exemple). Il est fort appréciable à la fois scientifiquement, pour la collecte de données en masse, et pédagogiquement, pour sensibiliser les populations, d’impliquer le public…à condition que l’action soit bien positive !

Ces conclusions amènent même les auteurs de cette étude à considérer que « les nichoirs pourraient représenter un piège écologique pour certaines espèces ».

Pour conclure

Cette étude tend ainsi une fois de plus à comprendre qu’en matière de préservation de la biodiversité, la priorité doit aller au maintien ou à la restauration d’espaces naturels plutôt qu’à des dispositifs « artificiels » visant à compenser la dégradation des espaces originels.

N’allez pas pour autant jeter votre nichoir en pestant contre ces scientifiques pointilleux. Quand on voit la relative modestie de l’impact de cavités artificielles au niveau d’un test d’assez grande ampleur, le risque de dommages collatéraux de ces initiatives individuelles est à minorer. Elles ont en revanche des bénéfices certains en matière de pédagogie, de sensibilisation et de proximité avec la nature, ce qui ne peut qu’accroître la prise de conscience de la nécessité de la protéger.

Portrait de l'auteur

Aviez-vous imaginé que des interventions humaines types nichoirs ou ruches puissent avoir des impacts négatifs ?

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Portrait de l'auteur

Arnaud Lardé

Professeur agrégé en SVT

Professeur agrégé en Sciences de la Vie et de la Terre au Lycée Thibaut de Champagne à Provins depuis 2006.

Pur produit de la faculté des Sciences de Marseille, il tient sa vocation de sa passion pour la nature en général et la zoologie en particulier. Il transmet également sa passion en Anglais puisqu’il est responsable d’une section européenne.

Il participe également régulièrement la revue Espèces par la rédaction d’articles scientifiques de vulgarisation.

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8 réponses à “L’implantation de nichoirs en milieu urbain au secours de la biodiversité, bonne ou fausse bonne idée ?”

  1. Merci pour cet article qui incite à la vigilance contre les idées reçues et souligne parfaitement les risques de toute politique interventionniste et la complexité des équilibres naturels

  2. Oui, les nichoirs disponibles dans le commerce ou en modèle de fabrication « maison » sont souvent à destination des mésanges charbonnières ou bleues. On sait aussi qu’elles nourrissent leurs jeunes de chenilles… Beaucoup de mésanges dans un espace restreint type jardin de ville = moins de lépidoptères ! Donc, dans mon métier, je suggère de diversifier les types de nichoirs quand les conditions sont réunies (martinets, moineaux, étourneaux, hirondelles, …).

  3. merci pour cet article qui amène à réflexion plus profonde à partir de vos exemples. Je m’inquiète de même de la mode nichoirs plus largement, en dite campagne également et milieux dits naturels dont les impacts au-delà des espèces ciblées serait à étudier…. je me désole de toute la quincaillerie mise en place pour la faune, à titre d’exemple « nichoir à hérisson » quand un tas de branches ou un roncier font l’affaire. Pour aller plus loin, certes ces actions sont sympathiques, mais tout comme le nourrissage, vouloir offrir le gîte artificiel, ce sont là un premier pas vers « l’élevage de la faune », ce qui n’est pas sans poser souci intellectuellement, le monde naturaliste glissant vers des pratiques parfois similaires à certaines en milieu cynégétique pour favoriser espèces en nombre ou leur implantation, certes dans un objectif final bien différent. Personnellement, je ne m’autorise plus le nichoir que sur structures artificielles type bâtiments et cie (ce qui pose aussi questions j’en suis conscient), rien n’étant plus horrible et décalé que le nichoir sur un arbre… et que dire des mâts à cigognes? Bref que ce soit sur les milieux ou les espèces, se pose la question de l’interventionnisme (petite remarque sans rapport direct, les mésanges en question sont dîtes « cavicoles », nichant en cavité et non en caverne « cavernicoles »).

  4. Dans la tendance actuelle, on a tous envie de participer au sauvetage de la planète, mais cet article démontre à merveille la complexité de l’affaire ! Les arguments sont convaincants car ils s’appuient sur de solides références, l’auteur nous incite à passer à l’action sans pour autant s’agiter dans le vide, voire à être contre productif, c’est toute la force du sujet.

  5. Merci pour cet instructif partage d’informations. Juste un détail de terminologie: il est préférable de réserver le terme « cavernicole » aux espèces des grottes, que leur mode de vie souterrain a souvent modifiées (cécité, pigmentation, alimentation…), tandis que celles utilisant des cavités (mésanges, pics, étourneaux, huppe…) sont appelées « cavicoles ». Cette distinction est reprise dans diverses publications. On y gagne en précision 😉

  6. L’humain est la cause de la disparition de la faune, pesticides, destruction de l’habitat, etc. Mais vous avez raison, il faut laisser faire jusqu’à extinction et surtout ne pas essayer de la protéger.

    • J’ai peine à croire que vous ayez lu l’article. Le propos n’est pas du tout la. Il faut évidemment intervenir au maximum pour compenser nos dégâts mais agir sans réflexion et donc sans données scientifiques c’est prendre le risque de faire pire que mal. C’est ce que disent les ecologues, ni plus ni moins

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