Sexe et illusions optiques animales : l’exemple du Jardinier à nuque rose
En tant que chercheur qui travaille sur la vision, à savoir comment les animaux et humains reçoivent et utilisent l’information visuelle, les illusions optiques m’épatent.
Pas seulement parce qu’elles sont amusantes et parfois dérangeantes, mais aussi parce qu’elles peuvent nous enseigner sur les processus cognitifs impliqués dans la vision.
Ce que vous allez apprendre
- Ce qu’est l’illusion d’optique de « Müller-Lyer »
- Que les illusions d’optiques dans le règne animal sont nombreuses
- Comment et pourquoi le jardinier à nuque rose utilise les illusions optiques
- Ce qu’est l’illusion d’optique de « Ebbinghaus »
- Que la taille compte…
Guy de Maupassant
Les grands artistes sont ceux qui imposent à l'humanité leur illusion particulière.
L’illusion d’optique de « Müller-Lyer »
Il existe une énorme variété d’illusions optiques, certaines très bien connues telles que la célèbre illusion « Müller-Lyer » où deux lignes de la même longueur, mais qui se terminent par des têtes de flèche, soit à l’endroit, soit inversées, sont perçues comme inégales (les lignes avec têtes de flèche inversées semblant plus longues que celles à têtes de flèches normales) :


A. Bien que la longueur des deux lignes soit identique, nous avons l’impression que celle de droite est plus longue.
B. L’explication se trouve dans la façon dont le cerveau interprète ces formes – une ligne qui se termine par des formes en tête de flèche évoque des coins près de nous, alors que les têtes de flèche inversées rappellent des intersections à distance.
En voyant ces formes, le cerveau « pense » immédiatement que l’une est plus proche que l’autre, et essaie d’« ajuster » leur longueur en fonction.
Les illusions optiques animales : de nombreux buts
Mais il peut surprendre le lecteur de savoir que les animaux aussi sont sujets aux illusions optiques, et qu’ils les exploitent pour échapper à la mort, pour attraper leur proie, où pour attirer un partenaire sexuel.
Par exemple, le camouflage est une illusion optique où le contour de l’animal (prédateur ou proie) est dissimulé par l’utilisation de couleurs et de formes contrastées :


A. La seiche est la reine du déguisement. Il est difficile de trouver la seiche sur un fond composé de cailloux contrastés. Elle est pourtant là, au centre.
B. En plus des changements spectaculaires de couleur, elle tente d’imiter les objets avoisinants – ici de l’algue en plastique.
Les illusions d’optiques d’Ebbinghaus
Mais oui la taille est importante… Beaucoup d’espèces utilisent des effets visuels pour apparaître plus grands, soit à des fins d’auto-défense soit à des fins de séduction.

Les crabes violonistes (genre Uca) ont la particularité d’arborer une pince démesurément grande par rapport à l’autre, et la femelle choisit son partenaire en fonction de cet organe imposant.
Et bien qu’ils ne cherchent pas à humilier leurs rivaux (quoique…), on constate que les mâles aux plus grosses pinces se mettent délibérément à côté d’autres ayant des appendices moins grands, afin d’impressionner la femelle.
Les chercheurs pensent qu’il pourrait s’agir de l’exploitation de la célèbre illusion Ebbinghaus, où la taille d’un objet est perçue différemment selon les objets qui l’entourent.
Cependant, la perception des illusions n’est pas toujours similaire entre les humains et les animaux : cette même illusion d’Ebbinghaus est perçue de la même manière (c’est-à-dire un cercle entouré par de petits cercles parait plus grand qu’un cercle identique entouré par de grands cercles) par les humains, les dauphins et les poules, alors que les babouins ne sont pas influencés du tout et les pigeons voient carrément l’effet opposé !
Il existe une excellent revue sur la question des illusions et les animaux par Kelley et Kelley (2014).
Les oiseaux jardiniers
Des chercheurs australiens (notamment les docteurs Laura Kelley et John Endler de Deakin University à Geelong) ont découvert que le « Great Bowerbird » ou Jardinier à nuque rose (Chlamydera nuchalis) a trouvé une astuce unique au royaume animal (sauf pour l’homme), à savoir fabriquer une illusion optique pour tromper le spectateur (ou dans ce cas la spectatrice).
Les « Bowerbirds » (oiseaux de berceau ou oiseaux jardiniers en français, famille Ptilonorhynchidae) font preuve d’un comportement très élaboré en ce qui concerne la reproduction : les mâles passent beaucoup de temps à construire des « arènes » (en fait des « chambres nuptiales », d’où le nom « bower » en anglais) d’habitude décorées avec des objets colorés.
Selon l’espèce particulière, elles montrent des préférences marquées pour le bleu, le rouge…
De fait, ils ramassent les détritus humains tels que les bouchons en plastique, des pailles, des stylos billes…
Une femelle qui passe par là remarque la mise en scène et s’attarde pour jeter un coup d’œil. Le mâle se pavane devant la femelle avec ses trophées colorés portés fièrement au bec.
Les femelles sont irrésistiblement attirées par ces expositions si soigneusement organisées pour leur plaisir, et si les efforts du mâle sont jugés suffisants, elle lui permet de conclure l’affaire en… s’envolant.
5 vidéos qui présentent des illusions optiques
Les illusions optiques sont connues depuis longtemps et on trouve bon nombre d’exemples plus ou moins efficace et pertinents en la matière sur le net.
Voici une petite sélection de cinq vidéos que l’on a retenues pour vous !
Les effet de l'alcool, mais sans boire !
Simple, pratique et efficace ou comment comprendre ce qu'il en est quand on est dans le vague…
Hypnotizing Optical Illusion Rings
On aime beaucoup les artistes chez DEFI-Écologique, comme les gens de cirque. En tout cas cette vidéo ci a une place toute particulière pour nous !
Optique Illusion homer simpson
On en a trop rigolé pour ne pas la mettre dans ce pack de 5 illusions optiques.
L'illusion d'optique de ce verre va vous bluffer
Et un peu de talent pour agrémenter le tout ! Plusieurs vidéos sont proposées sur ce type d'illusions optiques fabriquées, mais nous aurons retenu le verre.
Top 10 des illusions d'optique
Et, pour finir, un petit compilé des illusions optiques connues. Mais toujours aussi impressionnantes.
En espérant que cela vous aura autant appris qu’à nous, mais si vous en avez d’autres de pertinentes, on est preneur !
L’exemple des illusions d’optiques du jardinier à nuque rose

Cette espèce construit son arène en utilisant des objets de couleur neutre (cailloux, coquilles d’escargot, os…) de taille différente.
Il met également des objets brillants, dont les couleurs sont encore plus voyantes contre ce fond neutre.
Le mâle prend un soin extrême à composer le fond de sorte que les plus petits cailloux soient près de la femelle.
Celle-ci regarde la scène devant elle en prenant position entre les deux murailles de brindilles. Détail critique, car il est obligatoire, pour que l’illusion marche, que la spectatrice ait son point de vue délimité avec précision.
Les plus gros cailloux sont les plus éloignés. Ainsi, le Jardinier créé ce que l’on appelle la « perspective forcée », un effet visuel souvent exploité par les architectes ou les réalisateurs (penser aux plans contenant Gandalf et Frodon côte-à-côte dans « Le Seigneur des Anneaux ») :
Un schéma de l’arène

A. Si le mâle mettait les cailloux de façon aléatoire (image de droite, « vue du haut »), la femelle aurait une perspective normale, les objets plus loin apparaissant plus petits en fonction de la distance.
B. Si le mâle utilisait la perspective forcée comme les architectes et cinéastes, il placerait les plus petits cailloux à distance afin de renforcer l’effet de diminution de taille, ainsi exagérant la perspective pour donner l’impression que l’arène est plus grande qu’en réalité.
C. En fait, ce que fait le mâle, c’est créer la perspective forcée dans l’autre sens, les petits cailloux près, les gros loin. Ainsi l’arène paraît aplatie, comme inclinée devant la femelle.

Une photographie du dessus d’une vraie arène du jardinier à nuque rose

Les deux baguettes indiquent le champ de vue de la femelle positionnée dans l’allée en bas. Notez la taille moyenne des objets dans le rectangle rouge près de la femelle (en bas) par rapport à celle dans le rectangle à distance (en haut).
emarquez également les objets verts placés en bas à droite de l’image, hors de vue de la femelle.
Quand elle est présente, le mâle saisit ces « bijoux » dans son bec et les agite devant elle, le fond neutre et la géométrie illusoire les magnifient à ses yeux.
Pour s’assurer que les cailloux étaient bien placés de façon délibérée et pas par une simple coïncidence, les chercheurs ont attendu que le mâle s’éloigne pour défaire tout son travail minutieux.
Quand il est revenu il s’est toute de suite rendu compte du désordre et a recommencé à organiser les cailloux dans le même ordre, allant du plus petit au plus grand.
De même, l’alignement du plus petit au plus gros est continu et lisse, pas en paliers. Leurs travaux furent publiés dans plusieurs journaux scientifiques prestigieux (Current Biology, Proceedings of the National Academy of Sciences USA, Science).
Le saviez-vous ?

Perspective forcée à Disneyland : comme pour augmenter le sens d’émerveillement, la construction de Disneyland a été soigneusement étudiée pour que les meubles semblent plus hauts qu’en réalité.
En fait les étages supérieurs sont à l’échelle 7/8 par rapport au rez de chaussée, donnant l’impression de plus de hauteur.
Sexe et illusions optiques
Bien qu’il soit difficile de se mettre dans la tête d’un oiseau (on ne sait pas s’ils interprètent les effets optiques de la même manière que nous), cela aurait l’effet de faire apparaître le mâle comme plus grand (donc beau et fort) qu’en réalité.
Mais les chercheurs précisent que le mâle reste normalement hors de vue directe, uniquement sa tête ornée de ses quelques bijoux colorés est visible. Donc possiblement l’illusion fait penser que ces objets sont plus grands (un diamant 100 carats !), et la femelle est séduite.
Les docteurs Endler et Kelley ont examiné de nombreuses arènes et ils ont constaté que plus l’effet optique était prononcé, plus le mâle avait du succès auprès de sa partenaire (mesuré par le nombre d’accouplements).
Donc, on peut conclure que non seulement ces oiseaux sont capables de créer et de percevoir les illusions visuelles, mais que cette propriété est importante pour la continuité de l’espèce.
Les chercheurs suggèrent que l’art de générer des illusions visuelles est peut-être plus répandu chez les oiseaux qu’on ne croit, parce que les rituels impliqués dans la reproduction de plusieurs espèces nécessitent une mise en scène très contrôlée, propice à l’utilisation d’effets optiques.
Pour conclure
Finalement, ce comportement peut être considéré comme un exemple frappant du « phénotype étendu » (en anglais, « extended phenotype »), concept proposé par le biologiste éminent Dr. Richard Dawkins qui dit que les caractéristiques physiques d’une espèce s’étendent au-delà de sa forme ou de sa composition moléculaire, pour inclure les modifications de l’environnement utilisées par l’espèce en question.

Mais il y a d’autres exemples, peut-être en connaissez-vous aussi ?
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Laura Kelly

Illusion Optique

Ornithomedia

Réseau Français d'Ornithologie

INSERM

Flakom

David Hicks
Directeur de recherche — INSERM
Zoologiste dans l’âme depuis tout petit (il a eu 40 espèces de reptiles et batraciens chez ses parents — sa mère fut très indulgente), au fil des études supérieures en Angleterre, au Canada, aux USA et en France, il s'est spécialisé dans les neurosciences et la vision.
Directeur de recherche à l’Inserm, il s’intéresse aux processus moléculaires et physiologiques gouvernant la détection de la lumière, ainsi qu’aux problèmes pathologiques de la vue.
Article passionnant !