Du promeneur, simple observateur de l’environnement naturel, au botaniste confirmé, qui n’a jamais croisé la carotte sauvage lors de ses pérégrinations ?
Cette plante se rencontre au bord des chemins, sur les lisières des cultures et celles des forêts si elles sont suffisamment ensoleillées.
Elle abonde parfois dans les prairies, notamment les années sèches, se développe aussi dans les friches et parvient jusqu’au cœur des villes à la faveur des délaissés.
Ce que vous allez apprendre
- Comment reconnaître la carotte sauvage
- Quels sont les types de carottes sauvages
- Quelles sont ses origines
Sode Yamaguchi
Qui se soucie de regarder la fleur de la carotte sauvage au temps des cerisiers ?
À quoi ressemble la carotte sauvage ?

La carotte sauvage (Daucus carota) se reconnaît facilement à ses fleurs blanches disposées en ombelles, souvent pourvues d’une fleur pourpre centrale.
À la base de l’ombelle, au pied des rayons, de petites feuilles transformées (les bractées) sont très découpées, ce qui est caractéristique.
Un autre trait typique est la fructification : l’ombelle se contracte en forme de nid en repliant ses rayons vers l’intérieur, ce qui enclot les fruits munis de crochets à l’intérieur.
La carotte sauvage ne produit qu’une racine fibreuse, non charnue : elle n’est pas alimentaire.
En fait, la carotte cultivée est originaire de la région de l’Afghanistan. Elle a développé une racine charnue et cassante, alimentaire, qui est parvenue en Europe au cours du temps et a été ensuite largement développée par l’agronomie en de multiples variétés (oranges, jaunes, violettes, blanches, rose foncé, etc.).
La consommation de carotte sauvage
Il faut bien distinguer deux expressions : « plante comestible » et « plante alimentaire ».
« Comestible » veut dire qui peut être mangé par l’homme, de par sa structure plus ou moins charnue et qui n’est ni insupportable au goût ni toxique. La qualité de « plante alimentaire » sous-entend un élément quantitatif : la plante peut être consommée par un grand nombre et pour cela être cultivée en quantité abondante. Les ouvrages énumérant les plantes alimentaires du monde en totalisent 350 à 400, alors que les plantes simplement comestibles sont plusieurs milliers.
La carotte sauvage est dans ce sens clairement une plante comestible mais non alimentaire. Dans le Régal végétal, Couplan (1983) donne des précisions : « la racine de la Carotte sauvage est parfois ligneuse à l’intérieur, avec pour seule partie comestible une mince couche extérieure charnue mais fibreuse […] On peut la hacher et la manger crue, ou bien la cuire et la passer à la moulinette ». Un tel effort n’est pas l’apanage du grand public qui préfère racines charnues et cassantes, pigmentées, rarement ramifiées, faciles à préparer.
Cela dit les usages culinaires de la Carotte sauvage sont multiples. Les racines jeunes et tendres ont un goût délicat et sucré. Elles peuvent aussi s’employer comme aromate dans les ragoûts et le pot-au-feu. Les feuilles se consomment crues ou cuites. Les fleurs se préparent en beignets et servent à fabriquer une liqueur nommée « huile de Vénus ». Les graines fraîches encore vertes écrasées au pilon avec du sucre aromatisent les desserts.
Une biologie particulière
La carotte sauvage fait preuve d’une biologie bien particulière. Elle est bisannuelle, plus rarement annuelle lorsque la rosette de feuille plaquée au sol monte à fleur dès la première année.
Chaque plante disparaît après la dissémination de ses fruits.
L’ombelle forme un plateau attirant de nombreux insectes, par le disque blanc visible à distance, l’odeur miellée des fleurs et la fleur pourpre centrale qui simule un insecte posé au centre.
A la fin du cycle, l’ombelle recourbée en nid s’ouvre et se referme en fonction de l’humidité atmosphérique. Ainsi, les fruits sont libérés progressivement au cours de l’arrière-saison, cet échelonnement augmentant les chances d’un environnement récepteur favorable.
Le fruit se dissémine sur les animaux par ses aiguillons crochus, on parle « d’épizoochorie ».
Mais l’impact dans les écosystèmes ne s’arrête pas là.
La carotte sauvage renferme dans ses différents organes un véritable arsenal chimique constitué de molécules actives susceptibles de diffuser dans l’environnement. Près de 80 constituants volatils appartenant à des familles chimiques distinctes ont été mis en évidence.
Deux types de carotte sauvage

La plupart des peuplements de carottes sauvages se situent à l’intérieur des terres.
Sur les littoraux, on rencontre en revanche un autre type de carotte sauvage : les carottes à gommes présentes sur toutes les côtes atlantiques et méditerranéennes (Corse incluse).
Elles possèdent des feuilles luisantes, vernissées, épaisses et renferment une gomme-résine (qui perle si l’on entaille la tige sous l’ombelle). On peut considérer ces traits comme une adaptation aux milieux chargés en embruns salés.
Ce sont des plantes généralement trapues, aux ombelles en forme de plateau ou de dôme, ne formant pas le nid à maturité (ou seulement les plus tardives).
Elles poussent sur les rochers et les pelouses des bords de mer.
Aux origines de la carotte sauvage

Cette dualité entre les deux types de carottes sauvages peut trouver son explication dans leur origine différente.
Les carottes littorales occupent des biotopes primaires (parfois très transformés par l’urbanisation littorale) sur un linéaire côtier.
Des études génétiques ont montré que les méditerranéennes étaient demeurées très diversifiées, formant un chapelet de peuplements distincts adaptés aux différents biotopes de la côte (notamment variation du substrat).
Sur la façade atlantique, au contraire, seulement deux unités sont présentes, dans le Pays basque et toute la succession littorale depuis le sud de la Bretagne jusqu’au nord de la France. Ceci s’explique par l’influence des glaciations ayant gommé la diversité précédente, préglaciaire (qui est encore présente au long des côtes méditerranéennes).
Quant aux carottes de l’intérieur, leur présence peut s’expliquer par une origine ancienne, extérieure : on ne les rencontre que dans des milieux secondaires, plus ou moins fortement influencés par l’homme.
Il est même possible d’estimer très probable une origine du Moyen-Orient. La conformation de l’ombelle en nid libérant ses semences peu à peu est un caractère steppique à saisons très contrastées et le développement de fleurs sombres au centre de l’ombelle se rencontre chez plusieurs espèces différentes de ces régions.
La carotte sauvage de l’intérieur serait donc parvenue en Europe par ses différents usages, la fourrure des troupeaux ou animaux de trait, des migrations animales naturelles, par exemple, ou bien une combinaison de ces facteurs.
Carottes géantes : nous rendent-elles dix fois plus aimables ?

Parmi les carottes de friches, on rencontre parfois des individus géants, atteignant deux mètres !
Il s’agit de la sous-espèce Daucus carota maximus, de floraison précoce et essentiellement présente sous climat méditerranéen.
En Corse, ses ombelles ont jusqu’à 25 centimètres de diamètre, et même 40 centimètres au Maroc.
Dans le paysage, elles ressemblent à des assiettes florales et sont très visitées. Ce sont de véritables « insectodromes » !
Un intérêt agronomique accru

Les carottes sauvages captivent particulièrement les agronomes !
Il faut dire que la carotte cultivée connaît un regain d’intérêt du fait de ses propriétés (provitamine A, antioxydants, etc.) et de l’élargissement des modes de consommation (saveurs des différents cultivars, variétés anciennes, jus, etc.) lié à un fort accroissement mondial de sa culture.
Les agronomes recherchent des gènes de résistance aux pathogènes, de nouvelles saveurs, des propriétés de conservation améliorée et bien plus encore !
Il est nécessaire de puiser dans la très riche diversité des peuplements, dont l’inventaire puis la conservation professionnelle sont pratiqués, associés à la caractérisation génétique.
Si la carotte sauvage ne pose pas globalement de problèmes de régression, il n’en est pas de même pour certains peuplements particuliers de front de mer, en termes de morphologie, d’écologie et de constitution chimique. Des menaces actives ou potentielles de disparition pèsent sur ceux-ci, principalement en raison d’un aménagement agressif du littoral.
C’est par exemple le cas de la carotte de Gadeceau (sous-espèce Daucus carota gadecaei), limitée à la Bretagne et au Pays basque, plante naine de gazons maritimes naturels très ras qui est protégée au niveau national.
Driss Chraibi
Le bonjour amène la conversation et la conversation amène la carotte.
Des potentiels
La carotte sauvage, répartie en types de l’intérieur des terres et types littoraux (très diversifiés), révèle de fortes potentialités et s’associe à des enjeux multiples :
- Elle est précieuse en agroécologie, favorisant l’entomofaune tout en développant facilement de larges peuplements.
- Elle renferme un arsenal de substances naturelles actives, utilisables aux plans de la santé et de l’alimentation humaine tout comme en protection de l’environnement.
- Elle constitue un réservoir d’études scientifiques (biologie, génétique, phytochimie, applications).
- On peut parler de complexe spécifique, ce qui incite à faire évoluer les modes de classification et de nomenclature pour une meilleure compréhension.
Pour conclure
A l’issue de ce texte, peut-être que le lecteur pourra regarder d’un œil nouveau le ballet incessant des insectes visiteurs des ombelles blanches, les curieux nids de fruits épineux qui couronnent ces plantes au bord de son chemin.
Peut-on alors espérer un cheminement spirituel au contact de ces plantes, en majorité communes, vers les potentiels qui nous entourent dans la nature végétale, dite ordinaire ?
Au-delà, la famille de la carotte, les Apiacées, riche de 4 000 espèces environ, profile une importance particulièrement élevée pour l’homme et l’environnement. Elle mérite une attention spéciale, à propos de l’amélioration de sa connaissance, la recherche de nouveaux usages et l’efficacité de sa conservation.

Et vous, sous quel angle observez-vous la carotte sauvage ?
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Jean-Pierre Reduron
Botaniste
Spécialiste de la famille des Apiacées, il participe à plusieurs collaborations nationales et internationales.
Auteur de nombreux articles, il a surtout produit l’ouvrage encyclopédique « Ombellifères de France », fruit de 24 années de travaux pluridisciplinaires. Il s’est continuellement impliqué dans la conservation du monde végétal.
Après 40 années de spécialisation, il cherche à améliorer la connaissance, l’usage, la classification et la conservation des Apiacées qui compte désormais près de 4000 espèces, recensées à travers son entreprise VIA APIA.