Lutter contre la renouée du Japon : bonne idée, peine perdue ou gros gâchis ?
Reynoutria japonica, aussi nommée Fallopia japonica (en mémoire aux deux personnes qui l’ont décrite), est une plante pouvant atteindre 3 à 4 mètres de haut de la famille des Polygonaceae (plantes herbacées cosmopolites regroupant environ 1 200 espèces).
Très peu connue chez nous jusqu’il y a encore quelques décennies, voici que la renouée du Japon est désormais sur le devant de la scène en se classant dans le top 100 des plantes invasives les plus problématiques.
La chose étant faite, nombre d’expériences ont été menées pour lutter contre sa propagation et des plans de tous genres ont été élaborés dans bien des pays différents.
Et la renouée du Japon persiste malgré son titre d’invasive acquis de bon droit à travers l’arrêté du 24 avril 2015.
Ce que vous allez apprendre
- Comment la renouée du Japon est arrivée chez nous et avec qui
- Quels impacts accompagnent sa présence
- Que la renouée du Japon est une plante bio-indicatrice
- Dans quels milieux la renouée du japon prolifère
- Quels sont les moyens de lutte contre cette espèce
Ella Wheeler Wilcox
La mauvaise herbe n'est jamais qu'une plante mal aimée.
Historique
Apparemment introduite une première fois en Europe au moyen-âge pour ses qualités fourragères (seul le réputé Gérard Ducerf met en avant cette spécificité fourragère dans son « encyclopédie des plantes bio-indicatrices », sans pour autant donner ses sources en la matière) que l’on conçoit facilement du fait de son rythme de croissance effréné, la renouée du Japon ne posait alors aucun problème.

La renouée du Japon fut ensuite réintroduite au XIXe siècle par un dénommé Philip von Siebolt, médecin de la Compagnie hollandaise des Indes en poste au Japon, qui l’implanta dans son jardin de Leyde au Pays-Bas.
Horticulteur passionné, Philip von Siebolt créa par la suite une compagnie horticole afin d’importer de nombreuses exotiques, dont notre chère renouée.
En 1847, la société d’agriculture et d’horticulture de la ville d’Utrecht décerne une médaille d’or à cette renouée, pour la beauté de son feuillage et ses inflorescences parfumées.
Il semblerait que l’activité industrielle ait ensuite particulièrement favorisée cette plante qui n’est autre qu’une bioindicatrice de sols pollués aux métaux et plus spécifiquement aux métaux lourds et à l’aluminium qu’elle affectionne.
Cette caractéristique est un héritage de son milieu d’origine où elle est la première à coloniser les coulées de lave justement riches en métaux : coulées qu’elle abandonnera quelques décennies plus tard au bénéficie d’un couvert forestier plus dense.
Son milieu et sa multiplication

Plante pionnière par définition dans son milieu d’origine, la renouée s’installe chez nous dans des milieux dégradés tels que les friches urbaines, les anciens sites industriels, les zones goudronnées, les voies ferrées, les rivières et cours d’eau pollués ou encore les décharges sauvages.
Les milieux pauvres en diversité du fait de la présence de métaux lourds ou d’aluminium sont également des lieux d’implantation de la renouée, qui n’y est pas sensible et qui y trouve peu de concurrence.
La rapidité avec laquelle elle se propage et la vigueur de sa croissance (4,65 centimètres par jour en période haute pour environ 100 grammes par plant) font qu’elle colonise rapidement des surfaces importantes en captant parfaitement bien un maximum de luminosité.
Sa multiplication végétative par rhizome (tiges souterraines qui peut atteindre 30 centimètres de diamètre et qui participent à la multiplication végétative : un morceau de rhizome peut devenir une nouvelle plante) joue beaucoup dans le succès de cette plante à s’installer et se disperser.
Les activités humaines, qu’elles soient agricoles ou de travaux publics, participent à la propagation de l’espèce autant que les crues qui permettent à ces rhizomes de voyager le long des cours d’eau que la renouée affectionne.
La plante produit également des composés phénoliques (composés chimiques aromatique) toxiques pour les racines de ses concurrents, ce qui limite largement la concurrence.
Les graines posent quant à elles moins de problèmes pour des raisons simples de fertilité du substrat qui ne convient que rarement à leur germination. Ces graines sont cependant très résistantes, notamment dans le temps : il convient donc d’être également prudent en matière de lutte en ne propageant pas l’espèce par mégarde.
Au Japon, les premiers sites industriels colonisés par la renouée sont désormais abandonnés par cette dernière au profit d’un cortège floristique plus équilibré.
Dans le reste du monde où elle est présente, comme par exemple de la côte est à la côte ouest des États-Unis et jusqu’à la forêt boréale au nord du Canada, elle reste une plante invasive qui n’a de cesse de faire régresser la biodiversité des sites qu’elle envahit.
François Cavanna
Quand on plante un oignon sous un saule, on n’obtient pas forcément un saule pleureur.
Impacts de la présence de la renouée du Japon

Fait intéressant, la renouée du Japon n’est pas venue seule… Lasius neglectus, une fourmi provenant de l’ouest de la Mer noire, s’est invitée dans ses bagages et cause également son lot de désagréments !
Les super colonies de Lasius neglectus trouvent une nourriture abondante grâce aux nectaires (glande qui excrète du nectar) à la base des feuilles de renouée.
Abondantes, elles modifient fortement les communautés d’arthropodes, diminuent la diversité des coléoptères, isopodes et autres formicidés même si, à contrario, elles augmentent celle des hémiptères.
Quid de l’impact à moyen et long terme sur les exploitations agricoles environnantes ?
Les renouées du Japon (parce qu’il en existe plusieurs) empêchent la régénération des autres plantes, que ce soit par semis ou par rejets, ce qui constitue de fait une atteinte aux milieux tels que rivières et ripisylves.
Sa progression étant devenue très rapide du fait de sa croissance mais également du manque de compétiteurs comme de prédateurs, la renouée se développe au détriment de la flore locale.
On observe également une diminution de l’abondance en invertébrés de presque 40% dans les milieux colonisés par la Renouée du Japon, même si on différentie mal la part imputée à la présence des fourmis Lasius neglectus.
Amphibiens, reptiles et autres oiseaux dépendant indirectement ou directement du cortège floristique autochtone sont donc tout aussi impactés par la présence de Reynoutria japonica (et autres renouées proches de la même famille d’ailleurs).
La renouée du Japon en phytoremédiation ?

La phytoremédiation consiste en l’utilisation de plantes, champignons ou encore algues pour décontaminer des sols ou des eaux pollués par nos soins et notamment par des métaux.
Pour qu’une plante soit intéressante en la matière, on considère qu’il faut que cette dernière ait un rythme rapide de croissance, qu’elle produise une forte biomasse, qu’elle ait des racines profondes et étendues ainsi qu’une tolérance aux environnements difficiles. La renouée du Japon fait carton plein !
Un milieu toxique en métaux pour les plantes se traduira habituellement par des carences en nutriments, un raccourcissement racinaire, une vulnérabilité aux attaques d’insectes ou encore par la « brûlure » des feuilles. La renoué du Japon ne subit aucun de ces désagréments.
Une étude menée sur le sujet par l’université de Californie montre qu’effectivement la renouée du Japon accumule les métaux dans ses feuilles et ses jeunes pousses, mais malheureusement pas suffisamment pour que ce soit intéressant en matière de phytoremédiation. Il serait néanmoins intéressant de multiplier les résultats en la matière !
Le saviez-vous ?
Les propriétés médicinales de la renouée du Japon
« Itadori », le nom japonais de la renouée, signifie « ôte-douleur ».
Les jeunes feuilles de renouée du Japon peuvent ainsi être broyées quand elles sont fraîches et posées en cataplasme sur le lieu contusionné. Notez que cela fonctionne aussi avec des plantes bien de chez nous comme le plantain, par exemple.
La racine de la plante, macérée ou infusée, est riche en antioxydants avec des propriétés expectorantes et anti-inflammatoires.
Ces mêmes rhizomes séchés auraient des propriétés digestives, diurétiques et hypotensives.
Moyens de luttes
Les jeunes pousses d’un an ou moins peuvent être entièrement déterrées.
Cette technique est particulièrement efficace pour limiter la propagation de l’espèce et a le mérite d’être facile à mettre en œuvre, notamment dans l’incinération des pousses récoltées.
En sus, la mise en place de barrières de protection en périphérie des zones traitées pour lutter contre la renouée peuvent être mises en place pour contenir une éventuelle propagation (bâche, fossé sec, etc.)
La solution d’exportation et de traitement des terres colonisées par la renouée asiatique peut aussi être envisagée, mais les mécanismes sont lourds et onéreux et la méthodologie encore à affiner, notamment pour éviter la contamination d’autres sites.
L’implantation d’espèces compétitrices, même à grand renfort de coups de pouces, n’a pas encore donné de résultats probants, même si les saules semblent les plus à même de donner des résultats.

La fauche n’a pas d’effet particulièrement efficace sur la renouée du Japon mais constitue un réel risque de dispersion. Elle peut cependant avoir un intérêt si l’on considère une fauche hebdomadaire voir mensuelle, mais elle ne permettra pas une disparition de l’espèce qui reprendra ses droits à l’arrêt de la fauche. L’intérêt peut cependant consister à utiliser la méthode pour limiter la propagation des foyers de renouée en en traitant le pourtour.
Comme nous le voyions plus haut, la renouée du Japon aurait un intérêt fourrager à ceci près que l’on ne sait pas grand-chose sur le sujet.
La piste a cependant été fouillée pour déployer un nouveau moyen de lutte contre l’espèce avec de bons résultats en utilisant la « chèvre des fossés » ou « chèvre des talus » pour pâturer sur les espaces envahis.
Déjà connue pour ces capacités de débroussailleuse, cette race de chèvre pourrait voir ses effectifs remonter (elle produit peu de lait) grâce à cette solution d’écopastoralisme !
Des tentatives de lutte biologique par inondation ont également été tentées en Grande Bretagne. Ces essais ont cependant été entourés d’une certaine forme de secret qui ne nous a pas permis d’en apprendre plus sur les résultats, risques ou tendances même si l’on sait que c’est une Psyllidae (Aphalara itadori originaire du Japon, bien sûr) qui a été utilisée et que cette dernière n’aurait « aucune appétence pour les plantes indigènes ».
Invasive, oui… mais utile aussi !

Les plantes et espèces invasives, souvent qualifiées aussi de « pestes », ont cependant toujours un intérêt positif, même cet ou ces intérêts ne contrebalancent jamais les dégâts causés.
La renoué du Japon, en plus d’être une plante bioindicatrice comme on l’a vu plus haut, est également une plante particulièrement mellifère dont la floraison tardive a un grand intérêt pour nos pollinisateurs en mal de nourriture.
De là à en planter, certainement pas, mais au moins cela pourra-t-il éventuellement aider à sauver quelque ruchers !
Cuisine
Il est important de préciser ici que la consommation de renouée est sujette à caution en Europe, du fait de sa prédilection pour les zones polluées.
Les métaux (zinc, cuivre et plomb) se trouvent en plus grande quantité dans les racines, suivis des feuilles puis des jeunes pousses.
Cela étant dit, et s’il est possible de trouver des sites de pousse sains, la renouée du Japon contient de l’acide oxalique qui lui donnera un goût qui se rapprochera de la rhubarbe, pour les intéressés.
Au Japon, les jeunes pousses dont les feuilles et la tige ne se sont pas encore séparées sont cueillies et mangées crues ou cuites une fois dépouillées de leur écorce.
Sautées à la poêle avec du sel, du sucre pour contrecarrer l’acidité naturelle de la plante et assaisonnées à l’alcool de riz et à l’huile de sésame, ces jeunes pousses en régaleront plus d’un.
Les feuilles de la renouée sont quant à elles traditionnellement utilisées après avoir été ébouillantées et laissées à mariner dans différentes sauces comme on le ferait de nouilles.
Enfin, et c’est là une petite digression dans la catégorie culinaire, les feuilles ont également été utilisées comme ersatz au tabac à fumer ou à chiquer selon que l’on ait été au Japon ou en Inde et ce durant les différentes guerres.
Pour conclure
Dès qu’elle commence à fréquenter un lieu, il s’agit de ne pas prendre la renouée du Japon à la légère.
Comme bien d’autres espèces invasives elle réussit à nous déstabiliser car nous n’en savons pas suffisamment sur elle, même si les choses ont tendance désormais à s’inverser et les retours d’expériences à se multiplier.
Comme bien souvent tout n’est pas tout noir ou tout blanc et la seule présence de la renouée du Japon peut également constituer une force (sensibilisation des publics, prise en compte accrue de la biodiversité ordinaire, valorisation des milieux, etc.). Encore faut-il mener une réflexion sur le sujet !

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Julien Hoffmann
Rédacteur en chef — DEFI-Écologique
Fasciné depuis 20 ans par la faune sauvage d'ici ou d'ailleurs et ayant fait son métier de la sauvegarde de celle-ci jusqu'à créer DEFI-Écologique, il a également travaillé à des programmes de réintroduction et à la valorisation de la biodiversité en milieu agricole.
Il a fondé DEFI-Écologique avec la conviction qu'il faut faire de la protection de l'environnement un secteur économique pour pouvoir réellement peser sur les politiques publiques.
Julien est membre de DEFI-Écologique.