Interview de Claude et Lydia Bourguignon, microbiologistes des sols

Claude et Lydia Bourguignon sont un couple d'ingénieurs agronomes français. En 1990, ils ont fondé le LAMS, Laboratoire Analyses Microbiologiques Sols.

Ils prônent le développement d'une agriculture durable à travers la restauration de la biodiversité des sols. Si leur travail est parfois controversé, il s'inscrit clairement dans une démarche de protection de l'environnement.

Les services qu’ils fournissent à leurs clients et leurs prises de positions nous ont intrigués. Nous avons pu discuter avec eux afin d'en apprendre plus sur leur vision de l'agroécologie, leur démarche, ainsi que sur l'impact écologique de leur activité.

Ce que vous allez apprendre

  • Quels sont les défis auquels l'agroécologie fait face actuellement
  • Comment cette discipline devrait évoluer et être enseignée
  • Ce que sont les collemboles
Jean-Baptiste de Lamarck
L’homme civilisé semble destiné a s’exterminer par lui-même après avoir rendu le globe inhabitable.

L’agroécologie est en passe de devenir une vraie doctrine d’état. Est-ce que votre vision de l’agroécologie correspond à celle mise en place par les institutions ?

L‘agroécologie mise en place par l’état est une première étape, mais ne sera pas encore la vraie agroécologie, étant données les réticences des multinationales qui font un forcing sur toutes les nouvelles décisions allant dans ce sens et des positions de la FNSEA.

Vie et mort des sols

Lydia et Claude Bourguignon nous révèlent la faune cachée qui vit dans la terre, son utilité dans le processus de fertilisation des sols, sa destruction par l'agriculture conventionnelle chimique qui entraine petit à petit la stérilisation des terre.

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C’est généralement en prenant les problématiques à la base que l’on arrive à faire évoluer les choses.
Quels seraient, pour vous, les points clefs du programme de l’enseignement agricole qu’il faudrait modifier pour faire changer les mentalités et manières de travailler futures ?

Pour faire évoluer l’enseignement agricole il faut :

  • Enseigner l’histoire de l’agriculture et montrer que cette activité fondamentale n’a intéressé les pouvoirs publics que tardivement et que son développement a été technique plutôt que scientifique.
  • Enseigner les lois qui régissent le fonctionnement d’un sol. Trop d’agriculteurs ne connaissent pas leur premier outil de travail, « leur sol », et sont donc plus dépendants des agro-industries.
  • Enseigner une vraie science du sol, et en particulier enseigner la microbiologie du sol et l’écologie des systèmes sauvages qui doivent servir de modèles en raison de leur durabilité.

Le Laboratoire Analyses Microbiologiques Sols

Remerciement pour les 25 ans de travail
Remerciement pour les 25 ans de travail LAMS21

Le LAMS a conquis sa légitimité et sa crédibilité grâce à une indépendance totale vis-à-vis du monde industriel et institutionnel.

L’équipe du LAMS est élargie depuis 2008 avec leur fils Emmanuel Bourguignon, docteur ès sciences, microbiologiste des sols et directeur du développement. Ils encouragent et apprennent à tous ceux qui exploitent la terre (paysans, viticulteurs, responsables d’espaces verts, etc.) à respecter le sol comme un être vivant et à comprendre sa vocation naturelle pour la faire fructifier.

Analyse des sols en trois dimensions, physique, chimique et biologique pour un « check up » complet du sol. On connaît alors avec précision les réserves (en kilogrammes par hectare) des éléments nutritifs du capital sol. Muni de ce diagnostic et des analyses complémentaires réalisées en laboratoire, ils recommandent une démarche pour revitaliser et régénérer les ressources propres du sol au plus près de l’histoire et de la vocation du terroir. L’analyse de sol aboutit le plus souvent à la diminution des engrais et des pesticides, voire à leur arrêt.

Grâce à ces recommandations, l’agriculteur ou le viticulteur sait avec certitude comment cultiver sa terre en respectant l’environnement tout en obtenant une meilleure rentabilité. Il peut proposer à ses clients un produit d’une valeur nutritive optimisée.

Difficile pour le grand public de voir ce qui ne fait que quelques millimètres là où il se passionne pour des pandas, des gorilles des montagnes ou des baleines bleues.
Si le ver de terre est désormais relativement connu, il n’a pu percer comme égérie de la vie des sols.
Alors, quelle espèce préconiseriez-vous pour jouer ce rôle ?

Il n’y a pas d’espèce sexy dans les sols .On peut seulement dire qu’il y a plus de biomasse dans les sols qu’en surface, mais que celle-ci est peu visible et surtout inconnue car très peu étudiée.

Trop de personnes ont peur de tout ce qui vit dans la terre, ils pensent que c’est sale, porteur de maladie. Il sera important de revaloriser beaucoup plus que les vers de terre, mais toute cette faune cachée.

En France, trois quarts de nos concitoyens habitent en milieu urbain, ce qui représente un enjeu de taille. Quelle place pour l’agriculture urbaine et avec quels objectifs d’après vous ?

Toit nourricier à Québec
Toit nourricier à Québec jacme31

Toutes les expériences d’agricultures péri-urbaines, qui, à notre avis, ne pourra concerner que le maraichage, peuvent être intéressantes.

Mais les villes n’ont plus assez d’espaces verts pour faire une vraie agriculture urbaine et surtout une agriculture durable. Celle-ci restera plus un divertissement qu’une véritable agriculture.

Reptiles, insectes, oiseaux et autres batraciens rendent des services écosystémiques incroyables si tant est que l’on leur donne la possibilité de jouer ce rôle. Sur le terrain, DEFI-Écologique fait face à la même peur que vous du « ça ne va pas marcher ».
Comment répondez-vous à cette crainte en tant que microbiologistes ?

Nous ne disons pas « ça ne va pas marcher ». Ce que nous pensons, c’est que tant que l’on n’a pas étudié un système, on ne peut pas savoir si celui-ci est performant.

Hélas, on étudie encore trop peu les écosystèmes. On commence seulement à s’intéresser à la biodynamie, alors que pendant des années, elle était considérée presque comme une secte.

André Malraux
Ne restera de ceux qui ne combattent pas pour un rêve que la trace des esclaves ou la poussière des armées vaincues.

Si vous êtes avant tout microbiologistes des sols, il y a indubitablement du sang de naturaliste qui coule dans vos veines… Hors sol, quelle serait donc l’espèce ou la famille d’espèces qui vous fascinerait le plus ?

Il n’y a pas d’espèces ou de famille d’espèces qui nous fascinent plus que d’autres. Mais à chaque fois que nous les observons, elles sont toutes sources d’émerveillement.

Au fil du temps nous avons développé une petite fascination pour les collemboles. Elles peuvent être aussi nombreuses au mètre carré qu’il y a d’habitants à Strasbourg et Clermont Ferrand réunis, ce qui n’est pas rien !
À défaut de nous écrire un papier pour en parler, pourriez-vous nous en dire davantage sur eux ?

Sminthurus viridis sur une tige de plante
Sminthurus viridis sur une tige de plante Lucarelli

Les collemboles font partie, comme les insectes, les arachnides ou les crustacés, du phylum des Euarthropodes. Ils sont inclus dans le taxon des hexapodes avec les protoures et les insectes. On en connait à peu près 2 000 espèces, ils sont tous de petite taille : de 0.1 à 0.4 millimètres.

Ils se caractérisent par la présence d’une furca qui leur permet de sauter (c’est pourquoi ils sont souvent appelés puce de terre) et d’un tube ventral, qui émet un liquide gluant leur permettant d’adhérer au milieu. Ils se nourrissent de débris végétaux, de moisissures, de spores, de mycélium et d’algues. Ils vivent essentiellement à la surface du sol et recherchent l’humidité.

Certaines espèces vivent sur l’eau douce et même sur l’eau de mer. Ils ont une grande diversité de couleur et de forme. Ils se reproduisent par parthénogénèse ce qui leur permet de se multiplier rapidement sur une source de nourriture, par exemple en automne, après la chute des feuilles mortes.

Voltaire
On a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui, travaillant la Terre, font vivre les autres.

Pour finir, personnellement ou professionnellement, quel serait pour vous le défi majeur que nous avons à relever au XXIe siècle ?

Pour nous le défi majeur du XXIe siècle sera le contrôle :

  • du pouvoir des multi-nationales qui pourraient avoir plus de pouvoir que les états,
  • de la croissance industrielle,
  • de l’explosion démographique.

Pour conclure

Nous espérons que le travail des époux Bourguignon portera ses fruits ! Nous sommes nous-mêmes de fervents défenseurs de l'agriculture durable et écologique.

Portrait de l'auteur

Et vous, qu'en pensez-vous ? Partagez-vous leur point de vue quant au futur de l'agroagriculture ?

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Portrait de l'auteur

Julien Hoffmann

Rédacteur en chef — DEFI-Écologique

Fasciné depuis 20 ans par la faune sauvage d'ici ou d'ailleurs et ayant fait son métier de la sauvegarde de celle-ci jusqu'à créer DEFI-Écologique, il a également travaillé à des programmes de réintroduction et à la valorisation de la biodiversité en milieu agricole.

Il a fondé DEFI-Écologique avec la conviction qu'il faut faire de la protection de l'environnement un secteur économique pour pouvoir réellement peser sur les politiques publiques.

 Julien est membre de DEFI-Écologique.

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