Analyse du rapport « Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques »
Professeur agrégé en SVT
Dans de nombreux domaines comme la santé (rapports de l’INSERM), le climat (rapports du GIEC) ou encore l’économie ou le social (rapports de l’INSEE) des agences officielles publiques publient régulièrement des rapports étayés sur de nombreuses problématiques. Ces rapports sont des éléments importants de la vie démocratique, car ils apportent aux citoyens des informations clés nécessaires à la compréhension et à la prise de décision dans nombre d’aspects de notre vie.
Malheureusement, ces rapports sont parfois fastidieux, difficiles d’accès (notionnellement ou réellement pour les trouver) ou tout simplement ignorés par les médias qui, au mieux pour certains d’entre eux, résumeront un rapport de plusieurs dizaines de pages en une formule choc type « les OGM ceci », « le glyphosate cela » au risque de caricaturer le positionnement des auteurs de ces rapports.
Ce que vous allez apprendre
- L'impact de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques s'analyse en terme d'effet direct et indirect
- Jusqu'à récemment les analyses d'impact des PPP étaient quasi uniquement réalisées en laboratoire
- Les conclusions du rapport sont claires: tous les milieux, qu'ils soient aquatiques ou terrestres sont contaminés par les PPP
- Des méthodes et stratégies alternatives existent pour limiter l'utilisation et donc l'impact des PPP
Arnaud Lardé
Ces rapports sont des éléments importants de la vie démocratique car ils apportent aux citoyens des informations clés nécessaires à la compréhension et à la prise de décision dans nombre d’aspects de notre vie.
Une analyse à contextualiser
Ainsi, dans cet article, je vous propose une présentation puis une analyse du rapport de mai 2022 proposé par l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement) concernant « les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques ».
Afin d’écarter toute polémique inutile, je partirai du principe que je délègue ma confiance à cette instance et écarterai donc toute position relativiste pour ne pas dire complotiste. Il n’en demeure pas moins qu’il est tout à fait possible de conserver un esprit critique face à ces données (dont les auteurs pointent eux-mêmes les limites sur certaines questions, ou les interrogations qui demeurent). Il ne s’agira pas non plus de stigmatiser les utilisateurs de ces produits qu’ils soient professionnels ou simples particuliers. Les agriculteurs font face à de nombreuses contraintes et le modèle qui leur est proposé leur impose le plus souvent le recours à ces produits.
Contexte, construction et méthodes de ce rapport
Ce rapport a été réalisé à la demande des ministères chargés de l’Environnement, de l’Agriculture et de la Recherche par l’INRAE et l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer) en mai 2022.
Chaque année, les produits phytopharmaceutiques représentent entre 55000 et 70000 tonnes (France métropolitaine et outre-mer) ; il n’est pas donc inutile de s’intéresser à leurs impacts sur l’environnement…
De quelle utilisation parle-t-on ? Cela concerne les produits utilisés par l’agriculture, mais pas seulement. C’est aussi lors de l’entretien des jardins, des espaces végétalisés ou des infrastructures. Tous les milieux sont envisagés, qu’ils s’agissent des milieux terrestres, aquatiques continentaux ou marins.
Cette analyse arrive dans un contexte d’érosion brutale et sans précédent de la biodiversité au niveau mondial. Dans son rapport phare de 2019, la plateforme Intergouvernementale scientifique et Politique sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques (IPBES) a pointé comme principale cause de cette situation la pollution chimique générée par les activités humaines (incluant les produits phytopharmaceutiques -que nous appellerons PPP-) tout en ne négligeant pas les autres causes comme la destruction des habitats, l’urbanisation, le changement climatique,etc.
Compte-tenu de tous ces éléments convergents, la réglementation européenne de mise sur le marché des PPP vise « un degré élevé de protection, avec en particulier pour principe d’éviter tout effet inacceptable sur l’environnement ». On peut s’interroger sur ce que recoupent des termes comme « degré élevé » ou encore « effet inacceptable ». Pour certains, ne pas être mortel est suffisant comme critère pour retirer un PPP (les belles âmes) alors que pour d’autres, le moindre doute d’effet sur la biodiversité est déjà une ligne rouge de franchie.
Les auteurs pointent aussi un biais important. En effet, jusqu’à récemment, seule la dangerosité directe du produit était étudiée et définie comme critère d’acceptabilité. Je caricaturais à peine quand je disais que la non-létalité d’un PPP suffisait pour sa mise sur le marché. Mais aujourd’hui on sait que le principal danger des PPP, d’autant plus qu’il est insidieux, réside dans la très grande diversité des interactions « telles qu’elles se produisent dans l’environnement ». Il ne s’agit plus de se contenter du test de la substance en laboratoire, mais de mesurer les interactions qu’elle va pouvoir tisser avec toutes les autres substances qu’elle croisera dans son utilisation sur le terrain. On parle « d’effet cocktail » (terme utilisé également pour étudier les interactions médicamenteuses).
Le dernier état des lieux de l’impact des PPP avait été réalisé en 2005. Ce nouveau rapport a donc pour objectif, plus de quinze ans après, une actualisation des résultats avec un élargissement au continuum terre-mer. L’autre principale différence réside dans une comparaison des zones étudiées avant et après utilisation des PPP. Il est important de noter que l’objectif de ce rapport n’est pas une analyse des différents systèmes agricoles ni même de proposer des solutions alternatives à l’utilisation des PPP ; il s’agit juste d’une analyse factuelle de leur incidence sur l’environnement.
Dernier élément important à noter et non des moindres, l’analyse des effets se fait dans des conditions d’utilisation réalistes (et non plus seulement en laboratoire) et aux différents niveaux d’organisation des écosystèmes (individu, population, communauté, écosystème)
Arnaud Lardé
Il ne s’agit pas de stigmatiser les utilisateurs de ces produits qu’ils soient professionnels ou simples particuliers. Les agriculteurs cherchent à répondre à de nombreuses contraintes et le modèle qui leur est proposé leur impose le plus souvent le recours à ces produits.
Principaux effets possibles des PPP
Classiquement, on distingue des effets directs et indirects des PPP sur l’environnement. Si les effets directs sont bien connus maintenant, les indirects le sont beaucoup moins. En effet, ces derniers ne peuvent être mesurés en laboratoire et demandent une analyse fine au sein même de l’écosystème. Ils doivent de surcroît prendre en compte les autres pressions que les écosystèmes subissent, tels la destruction des habitats, le dérèglement climatique ou les autres pollutions.
Effets directs
En plus des effets connus, le rapport met au jour de nombreux effets directs non attendus (c’est-à-dire hors de l’effet cible recherché) qui affectent le système nerveux, endocrinien, immunitaire ou même sur le microbiote des espèces
Il n’en demeure pas moins que certaines substances aux effets délétères connus restent pourtant disponibles (sur « dérogations ») comme les néonicotinoïdes dont les études montrent l’effet destructeur sur les abeilles (perturbation du comportement alimentaire, cannibalisme, menaces sur la survie de la reine ou encore réduction de la taille du couvain).
Le rapport amène ainsi à reconsidérer certaines données des fabricants concernant le degré de sélectivité des PPP. Elles ne portent en réalité que sur l’effet direct recherché (et étudié !) en négligeant les effets dits non intentionnels, c’est-à-dire ceux impactant d’autres organismes non ciblés. On peut quand même se féliciter que les dernières réglementations européennes évoluent et commencent à intégrer ces nouveaux types d’effets.
Effets indirects
Ceux-ci comprennent un grand spectre de conséquences moins évidentes :
Réduction des ressources alimentaires par la disparition de végétaux pour les organismes granivores ou phytophages (utilisation d’herbicides) ou par celle d’insectes pour les insectivores (utilisation d’insecticides).
Perte d’habitats par la destruction de certains végétaux.
Perturbation des équilibres de prédation ou de compétition par l’action sur certains organismes.
Il est tout à fait recevable de rétorquer que ces effets indirects seraient les mêmes avec l’utilisation d’autres méthodes de protection des cultures comme avec le désherbage mécanique ou l’utilisation de prédateurs naturels. C’est tout à fait vrai même si l’importance de l’impact des PPP provient aussi et surtout de l’intensité et de la répétition de la pression exercée.
Enfin, dans le spectre des effets indirects, il ne faut pas oublier tous les effets qui sont liés au fait que les PPP n’agissent pas sur des milieux ou des écosystèmes en pleine santé. Ces substances rencontrent des organismes déjà mis à rude épreuve par la destruction de leurs habitats, l’arrivée d’espèces envahissantes et évidemment par le dérèglement climatique.
Réglementation européenne
La réglementation européenne de mise sur le marché des PPP vise : un degré élevé de protection, avec en particulier pour principe d’éviter tout effet inacceptable sur l’environnement.
Principaux résultats
Beaucoup de précautions et d’explications ont, comme vous avez pu le lire, été nécessaires avant de détailler ces résultats. Cela montre bien que tout jugement, toute posture à l’emporte-pièce ne peut représenter qu’une position biaisée sur un sujet aussi complexe.
Le principal résultat à prendre en compte est qu’il est difficile… d’avoir des résultats ! En effet, les données sont globalement insuffisantes et la diversité des substances à analyser est colossale : plus de 294 substances actives sont répertoriées dans plus de 1500 préparations commercialisées. Les dernières substances mises sur le marché ne sont pas encore recherchées tout comme les co-formulants, les adjuvants ainsi que les produits issus des transformations ou des dégradations. De plus, toute conclusion doit également être nuancée, car les contaminations présentent une grande hétérogénéité spatiale et temporelle.
Malgré ces réserves, la principale conclusion de ce rapport est que « tous les types de matrices (sol, air, eau, sédiment, biote -êtres vivants -) sont contaminés par les PPP. ». Le fait que tous les milieux soient concernés s’explique par les processus de transferts des substances du lieu d’application jusqu’à des zones très éloignées et par la persistance de ces molécules. Preuve en est, le rapport ne pointe pas une contamination individualisée par les PPP, mais par un « mélange de PPP ».
Autre conclusion importante, « l’agriculture est identifiée comme la source majeure d’introduction des PPP dans l’environnement » et ceci à la hauteur de 95 à 98%. Par conséquent, les milieux naturels concernés par des espaces agricoles sont naturellement les plus touchés.
Deux types de contamination sont mis en évidence :
Les eaux montrent une contamination principalement par des herbicides hydrophiles (facilement drainés donc).
Les sols, l’air, les sédiments et le biote sont quant à eux plus contaminés par des composés hydrophobes (insecticides notamment).
Au mince rayon des bonnes nouvelles, il est constaté une diminution depuis une vingtaine d’années de la contamination aux PPP les plus préoccupants et désormais interdits (DDT…)
Détaillons maintenant, groupe par groupe, l’impact des PPP.
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Invertébrés terrestres et aquatiques
La diminution quantitative des invertébrés concerne principalement les espaces agricoles. Tous les groupes sont concernés, mais les lépidoptères (papillons), hyménoptères (abeilles) et coléoptères (scarabées) sont les plus touchés. Quand on connaît l’importance de beaucoup de ces organismes pour leur rôle de pollinisateur, vous comprenez mieux la menace des effets indirects dont nous parlions plus haut.
Les insecticides (effet direct) et les herbicides (effet indirect) sont bien sûr les premiers responsables.
Dans les milieux aquatiques (cours d’eau, lacs), les pertes peuvent aller jusqu’à 40% des populations.
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Oiseaux et chauve-souris
L’abondance et la diversité des oiseaux souffrent aussi beaucoup de l’utilisation des PPP dans les espaces agricoles. La modification des paysages (suppression des haies…) amplifie cet effet. Cette diminution drastique s’explique par la diminution de leurs ressources alimentaires, mais aussi par leur intoxication directe (ingestion semences traitées) provoquant des empoisonnements, des désorientations, des perturbations du vol, perturbation des migrations ou indirecte par bioaccumulation (les différents étages des réseaux trophiques accumulant progressivement les substances nocives dont la concentration augmente donc). Chez les chiroptères (chauves-souris), le principal effet négatif est lié à des PPP qui sont désormais interdits (DDT), mais qui perdurent encore dans l’environnement (diminution des ressources alimentaires, perturbation de l’écholocation). Moins de données sont disponibles concernant l’impact des substances utilisées aujourd’hui donc abstenons-nous d’en dire plus.
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Amphibiens
Ce groupe semble être le plus affecté par l’utilisation des PPP, mais aussi par tous les autres effets indirects cités précédemment. Les amphibiens sont un groupe très sensible aux parasites et autres pathogènes donc l’affaiblissement de leur système endocrinien, immunitaire, même léger, peut suffire à faire basculer une population dans un état de grande vulnérabilité. Sans compter que la particularité de leur mode de vie dans deux milieux bien distincts (purement aquatique pour le stade larvaire et semi-aquatique semi-terrestre pour la forme adulte) multiplie les risques d’être exposés à plusieurs PPP.
Rapport INRAE
Tous les types de matrices (sol, air, eau, sédiment, biote -êtres vivants -) sont contaminés par les PPP.
Pour terminer, le rapport aborde l’impact des PPP sur les « services écosystémiques ». Cette expression désigne « les avantages socio-économiques retirés par les populations et les sociétés humaines de leur utilisation durable ». On pourrait peut-être regretter une vision utilitariste des milieux, mais cette notion met l’accent sur le côté durable de leur utilisation et il serait naïf pour ne pas dire hypocrite d’imaginer que nous pourrions ne pas « utiliser » les milieux à notre profit. Le problème se pose en fait sur le type et la durabilité de cette utilisation.
Les différentes conséquences abordées précédemment (variation des populations, de leur état général, de leur valeur sélective (fitness)) ont forcément des répercussions sur tous les mécanismes se déroulant dans les écosystèmes que nous utilisons (pollinisation etc.) Les effets des PPP peuvent donc entraîner des conséquences en cascades insoupçonnées et surtout non testées en laboratoire.
Les dégradations des milieux peuvent aussi avoir des retentissements répercussions économiques comme la dégradation de la qualité des eaux qui nécessitent d’importants investissements pour leur retraitement, ou les pertes de revenus liés au tourisme (environnement dégradé comme les marées vertes en Bretagne). Pour résumer, la formule de conclusion du rapport à ce sujet est claire « même si les études concernant les impacts des PPP sur les services écosystémiques sont encore peu nombreuses, leurs résultats suggèrent que les PPP dégradent la capacité des écosystèmes à fournir des services ».
L’objectif premier de ce rapport de l’INRAE et de l’Ifremer est un état des lieux des impacts des PPP. Il n’a pas pour fonction d’apporter des solutions à ces contaminations. Néanmoins, le rapport se termine par des pistes visant à limiter ces contaminations et leurs effets. On peut par exemple citer la diminution des quantités utilisées, la limitation de leur dispersion au moment de l’application, la réduction de leur transfert après application (maîtrise des bassins versants par exemple). La prise en compte des conditions météorologiques en évitant les extrêmes de température, le vent est évidemment nécessaire. Il est aussi important de favoriser le développement de zones d’interception des PPP, sorte de zones tampons comme les haies, bandes enherbées, fossés…
Pour conclure
Fort de ces constats qui se suivent et ressemblent, les citoyens, les consommateurs ont leur rôle à jouer en fonction de l’importance qu’ils accordent à cette question dans leurs intentions de vote, dans leurs achats.
La question de l’acceptabilité sociétale demeure quant à d’éventuels durcissements des réglementations et aux conséquences que cela engendrerait. Augmentation des prix ? Diminution de la production ? participation de l’Etat pour accompagner les transformations ?
À titre personnel, prêtez-vous attention à la composition ou aux logos présents sur les emballages des PPP que vous pourriez acheter ?
CommenterGarantissez la qualité de vos actions de gestion de la biodiversité
Faune et Flore
Mise en place stricte de protocoles d’études
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Partage des risques à travers l’application de nouvelles techniques
Les spécialistes du sujet sont sur vos réseaux sociaux préférés
France Nature Environnement
Arnaud Lardé
Professeur agrégé en SVT
Professeur agrégé en Sciences de la Vie et de la Terre au Lycée Thibaut de Champagne à Provins depuis 2006.
Pur produit de la faculté des Sciences de Marseille, il tient sa vocation de sa passion pour la nature en général et la zoologie en particulier. Il transmet également sa passion en Anglais puisqu’il est responsable d’une section européenne.
Il participe également régulièrement la revue Espèces par la rédaction d’articles scientifiques de vulgarisation.
Malheureusement, pas tout le temps.
Merci pour ce travail d’analyse très intéressant et très important. Ce message devrait être plus souvent relayé par les médias !Espérons que la réglementation évolue rapidement !