L’utilisation des néonicotinoïdes dans l’agriculture vient régulièrement faire la une des médias. Autorisation, interdiction, autorisation partielle, dérogation provisoire ou encore moratoire. L’un des derniers épisodes remonte au 15 mars 2021 avec la validation par le conseil d’Etat de l’autorisation provisoire de l’utilisation des néonicotinoïdes en enrobage des graines de betteraves.
Essayons de rassembler les éléments qui nous aideront peut-être à éclaircir notre position sur ce sujet délicat emblématique des dilemmes entre agriculture et écologie.
Ces éléments seront développés selon les trois points de vue impliqués : la position scientifique, la position des agriculteurs et celle des politiques. J’ajouterais, avant de commencer, que toutes les informations qui seront développées ici seront sourcées de manière transparente.
Ce que vous allez apprendre
- Que la dérogation d'utilisation des néonicotinoïdes (interdits par l'UE) n'est pas une spécificité française
- Que si la toxicité environnementale est avérée, les données scientifiques sont plus contrastées en ce qui concerne la santé humaine
- Que le principal risque repose sur une chronicité de l'exposition et à un effet cocktail plus qu'à une exposition aigue
- Que des alternatives existent, probablement insuffisantes pour un modèle d'agriculture intensive
- Que la ministre responsable de la demande d'interdiction en 2016 est la même qui a cautionné sa dérogation aujourd'hui
Arnaud Lardé
L’absence de preuve n’étant pas une preuve de l’absence, il n’est pas possible aujourd’hui de dire que les néonicotinoïdes ne sont pas impliqués dans la surmortalité des abeilles.
La filière de la betterave en France n’a rien d’anecdotique
À quoi les utilise-t-on en France aujourd’hui ? Elles servent à produire du sucre en premier lieu mais aussi du gel hydroalcoolique, du bioéthanol, etc.
En 2020, la culture de la betterave représentait 423 000 hectares essentiellement dans le Nord de la France. En 2019, la production était de 38 millions de tonnes, plaçant la France au premier rang européen et au deuxième mondial.
La tendance semble être à la baisse (-16% par exemple entre 2019 et 2020) en raison de la jaunisse, maladie virale véhiculée par les pucerons.
Le secteur implique 90 000 emplois directs ou indirects essentiellement en milieu rural.
Ce qu’en dit la Science
Les néonicotinoïdes sont une classe d’insecticides qui visent le système nerveux central des insectes. À ce titre, ils sont conçus pour la protection des plantes et sont rangés dans la catégorie des produits phytosanitaires.
Ils sont utilisés par les professionnels mais aussi par les particuliers (gare aux incohérences comportementales militantes qui inciteraient à l’interdiction de leur utilisation en milieu agricole tout en continuant à en pulvériser allègrement dans son jardin). Leur utilisation s’effectue dans le cadre de la protection des cultures contre les insectes ravageurs ou parasites mais aussi dans celle des animaux d’élevage ou domestiques (colliers anti-puces par exemple).
Mode d’action des néonicotinoïdes
Ils comprennent une dizaine de molécules contenant des dérivés soufrés ou chlorés qui ciblent les récepteurs nicotiniques à acétylcholine présents dans le système nerveux. En effet, dans le système nerveux, des structures appelées synapses sont des zones d’interaction entre deux cellules nerveuses ou entre une cellule nerveuse et musculaire.
Là où la communication est partout ailleurs de type électrique, elle ne peut plus l’être ici puisque les deux cellules excitables ne sont pas en contact direct. La communication devient alors chimique et passe par la sécrétion de messagers chimiques appelés neurotransmetteurs pour propager l’information en se fixant sur des récepteurs spécifiques.
Pour toute commande motrice, de l’acétylcholine sera ainsi libérée dans une synapse et se fixera sur un récepteur de type nicotinique pour propager l’information. C’est à ce niveau que les néonicotinoïdes interviennent en ciblant ces récepteurs et en empêchant ainsi la propagation des messages moteurs entraînant la paralysie de l’organisme et sa mort.
Les insectes ciblés, mais qui est touché ?
Une question que l’on pourrait légitimement se poser serait de savoir si les insectes sont les seuls organismes à avoir des récepteurs nicotiniques, ce qui serait plutôt rassurant. La réponse est non. Les humains, tout comme les autres mammifères et bien d’autres organismes en possèdent également, en plus petit nombre il est vrai. La question de la toxicité sur l’humain se pose donc.
Les néonicotinoïdes peuvent être déployés par épandage sur le sol, pulvérisation sur végétation ou encore par enrobage autour des semences.
Leur immense succès depuis leur apparition dans les années 1980 s’explique par plusieurs caractéristiques qui sont aussi leurs défauts :
Une très haute toxicité : quelques grammes peuvent suffire pour un hectare de culture.
Ils sont systémiques : c’est-à-dire que toute la plante est protégée, pas seulement la partie en contact avec la substance.
Une longue persistance : ce qui pose le problème de leur diffusion dans le sol, les nappes phréatiques ce qui peut entraîner la contamination des êtres vivants non ciblés.
Les questions auxquelles la Science essaye de répondre
Les deux questions qu’il faut alors essayer de résoudre sont leur danger (ou non) pour notre santé et leur toxicité (ou non) envers la biodiversité.
Les néonicotinoïdes sont-ils toxiques pour les humains ?
La question est loin d’être simple. Au début de leur utilisation, la question se posait sur une toxicité aigüe puisque ces insecticides étaient déposés par épandage. Aujourd’hui se pose plus la question d’une toxicité chronique par un meilleur contrôle des quantités utilisées, mais aussi une plus grande fréquence et surface d’utilisation.
Une étude de 2012 met en évidence une toxicité neurologique sur des rats : anomalies du développement cérébral, mais aussi tremblements, ataxie, vomissements, tachycardie et d’autres symptômes encore. En 2012 également, une autre étude montre un effet néfaste sur le développement embryonnaire des organes génitaux (qualité du sperme, atrophie testiculaire notamment) de rats suite à l’exposition à la clothianidine (insecticide de la famille des néonicotinoïdes).
En 2017 cette fois, l’équipe de Melissa Perry (Université de Washington) réalisa une analyse d’envergure en passant en revue toutes les publications liées à l’effet des néonicotinoïdes sur les humains : quatre études montraient des effets néfastes relativement faibles sur la santé humaine associés à une exposition aigue. Les cas les plus graves (deux décès) pourraient avoir été provoqués par d’autres facteurs. Quatre autres études montraient en revanche des corrélations entre des expositions chroniques et des effets néfastes sur le développement notamment neurologique, ce qui va dans le sens des observations réalisées chez les autres mammifères : augmentation des risques d’autisme, des troubles de la mémoire, tremblements, malformations cardiaques (Tétralogie de Fallot), anencéphalie.
Un premier débat existe donc sur la véracité de la toxicité des néonicotinoïdes sur les humains. S’il semble que de forts effets néfastes liés à une exposition aigue n’aient été que peu observés chez les humains, la principale source d’inquiétude porte sur l’exposition de type chronique, bien plus représentative de la situation actuelle associée à une utilisation régulière et à grande ampleur de ces substances. L’ONG « Générations futures » montre d’ailleurs en octobre 2020 que 10,67% des aliments végétaux (d’origine française ou de l’Union Européenne) contiennent des néonicotinoïdes.
Bien d’autres études de ce type pourraient être citées. Mais, parce qu’il y a un mais, en ce qui concerne la neurotoxicité, l’atteinte endocrinienne, la génotoxicité ou encore la carcinogénicité, elles sont décrites globalement comme faibles. En effet, c’est la dose qui fait le poison et il a souvent été reproché aux protocoles des tests de ces études d’appliquer des doses qui, même si elles provoquent effectivement les troubles évoqués précédemment, ne se rencontrent pas dans la nature. Cela a d’abord amené les autorités à prendre des mesures de protection pour les opérateurs uniquement.
Je laisse chacun d’entre vous avoir sa propre opinion sur cette nuance : doit-elle être accompagnée, par principe de précaution, d’un arrêt de leur utilisation pour les potentiels risques sur les humains ? À vous d’en juger. Ce qui est clair c’est que dans les conditions d’utilisation normale, un effet fortement toxique des néonicotinoïdes n’a pas été montré sur les humains. Un effet potentiellement ou faiblement toxique est-il acceptable pour nos sociétés ?
Cependant, les études qui étaient peu fréquentes chez l’humain jusqu’il y a quelques années, commencent à être plus nombreuses et à plus s’intéresser à des effets chroniques liés à une exposition régulière. De plus en plus d’études sont aussi menées sur les effets cocktails (l’étude de l’effet d’une molécule isolée n’a plus forcément de sens dans un monde où nous sommes plutôt exposés à une grande diversité de molécules quotidiennement) ou sur les effets des néonicotinoïdes sur l’humain via l’alimentation.
Pour terminer cette partie sur les effets sur la santé humaine, voici les résultats d’un rapport de l’ANSES ((Agence Nationale de Sécurité Sanitaire et de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) publiés en 2018 :
« Ces travaux ne mettent pas en évidence d’effet nocif pour la santé humaine, dans le respect des conditions d’emploi fixées dans les autorisations de mise sur le marché. L’Agence rappelle donc l’importance du respect des conditions d’emploi prévues dans les autorisations de mise sur le marché des produits pour prévenir d’éventuels impacts sur la santé humaine.
Toutefois, s’agissant de la substance active thiaclopride, et compte tenu de ses caractéristiques de danger, de l’accroissement important de son utilisation constatée au cours de la période 2010-2015, et des incertitudes liées aux expositions cumulées avec d’autres produits phytopharmaceutiques ou biocides présentant des caractéristiques de danger similaires, l’Anses recommande de réduire au maximum les usages pour les produits à base de cette substance dès 2018. »
ANSES
Ces travaux ne mettent pas en évidence d’effet nocif pour la santé humaine, dans le respect des conditions d’emploi fixées dans les autorisations de mise sur le marché
Les néonicotinoïdes posent-ils un problème pour l’environnement et la biodiversité ?
Les semences enrobées pouvant être mal enfouies, elles sont parfois mangées par les oiseaux ce qui a un effet létal ou de diminution des capacités migratoires. De plus, les enveloppes ou les restes des graines sont lavées par le ruissellement mettant à mal l’argument d’une utilisation circonscrite à la graine : 2 à 20% des néonicotinoïdes d’enrobage sont finalement absorbés par la plante.
Les agriculteurs expliquent souvent que les betteraves sont récoltées avant floraison et que les pollinisateurs dont les abeilles ne peuvent s’y contaminer. Cet argument n’est pas contestable. Cependant le phénomène de guttation existe (une sorte de sudation des feuilles) et pourrait provoquer une contamination lorsque les insectes viennent s’hydrater sur ces feuilles.
Les résultats publiés par l’EFSA (Autorité Européenne sur la sécurité alimentaire) tendent à montrer un « risque faible » de contamination par ce biais. La question la plus importante se pose plutôt pour l’après-culture à cause de la persistance importante de ces substances dans les sols et les eaux de ruissellement. Ainsi la plante qui suivra la betterave lors d’une rotation de culture pourra récupérer une partie de ces insecticides du sol et en faire « profiter » les abeilles. Il faut, pour éviter cela, veiller à utiliser des cultures peu mellifères (peu attractives pour les abeilles) après la culture de betteraves.
Est-il finalement avéré que le déclin des abeilles (appelé aussi syndrome d’effondrement des abeilles) serait lié à l’utilisation des néonicotinoïdes ? Plusieurs études le montrent. Il est clairement relevé une diminution de la santé globale des abeilles (létalité, baisse des réponses immunitaires, diminution de la réussite du passage hivernal, ou encore baisse de la reproduction) dans des conditions agricoles réalistes d’utilisation des néonicotinoïdes pour des champs de maïs.
Qu’en est-il des betteraves ? La récole de cette espèce ayant lieu avant la floraison, le risque de contamination par butinage est négligeable. Et c’est d’ailleurs l’argument massue utilisée par les betteraviers. Cependant, le problème réside dans la dispersion des résidus de néonicotinoïdes dans les sols où ils peuvent alors être réutilisés par d’autres plantes ou ruisseler pour se retrouver dans des flaques où les abeilles peuvent s’hydrater comme le montre l’étude de Wettstein et Al en 2016. L’absence de preuve n’étant pas une preuve de l’absence, il n’est pas possible aujourd’hui de dire que les néonicotinoïdes ne sont pas impliqués dans la surmortalité des abeilles.
De la même manière, la dispersion des résidus de ces néonicotinoïdes d’enrobage impacte toute une faune non-ciblée. Depuis les micro-organismes du sol aux poissons des étendues d’eau environnante en passant par les oiseaux.
Principe de précaution
Ce terme est très souvent utilisé par ses défenseurs mais aussi par ses détracteurs. Garant de notre santé et de celle de l’environnement pour certains, il ne représenterait qu’un frein au progrès ralentissant la France face aux autres pays moins frileux. De quoi s’agit-il exactement ?
Il s’agit d’une disposition définie lors du sommet de Rio en 1992. Il stipule : « en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». En France, la loi Barnier en 1995 vient entériner ce principe dans le droit français.
Cependant, à la définition issue du sommet de Rio la loi française rajoute les notions de « mesures proportionnées » et de « coût économiquement acceptable » pour son utilisation. Il devient difficilement applicable et soumis, dans tous les cas, à de fortes discussions et contestations.
Dans le cas qui nous concerne aujourd’hui, il est attesté scientifiquement que l’utilisation des néonicotinoïdes représente un danger pour l’environnement et la santé. Cependant, pour les représentants de la filière de la betterave, leur interdiction, dans l’attente d’alternatives totalement opérationnelles, ne représente pas une mesure « proportionnée » et son coût n’est pas « économiquement acceptable ». On tourne donc en rond.
Ce qu’en disent les agriculteurs
Tout dépend bien sûr à quels agriculteurs nous parlons ; le point de vue d’un cultivateur de betteraves ne sera pas le même que celui d’un apiculteur.
Apiculture et néonicotinoïdes
D’après ces derniers, l’utilisation des néonicotinoïdes est à l’origine du syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles. Nous l’avons vu, des études mettent en effet en évidence la toxicité des néonicotinoïdes sur les abeilles et les bourdons. Cependant, celles-ci ont souvent été réalisées en laboratoire au départ ou dans des conditions contrôlées car les observations sont difficiles à confirmer sur le terrain (point faible exploité par les utilisateurs).
En 2012, l’INRA montre que l’ingestion forcée de quantité sublétal par des butineuses de néonicotinoïdes baisse significativement leur capacité à s’orienter en vol (les abeilles ne retrouvent plus la ruche, ce qui les épuise et affame les larves). Etude confirmée en 2015 dans de vraies conditions agricoles ce qui était le chaînon manquant des études sur la toxicité entre le laboratoire et le terrain.
Une métanalyse (plus haut niveau de fiabilité dans la pyramide des preuves scientifiques) du CNRS montre que des espèces non ciblées sont exposées par de nombreuses voies (sol, air, eau, plantes) aux néonicotinoïdes. Tous les pollinisateurs sauvages ainsi que les vers de terre sont affectés ainsi que des espèces aquatiques et des vertébrés. Le CNRS recommande d’urgence de réduire ou d’interdire leur usage et de développer des alternatives notamment dans l’utilisation prophylactique pas toujours justifiée.
Ainsi, le point de vue des apiculteurs semble s’appuyer sur des données robustes : les néonicotinoïdes sont responsables ou participent fortement au syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ou plus généralement de l’entomofaune. Les producteurs de betteraves maintiennent leurs positions en insistant sur la grande différence entre un champ (type maïs) attirant les pollinisateurs et leurs champs de betteraves qui ne concernent pas les abeilles. Les producteurs s’appuient aussi sur l’absence d’alternatives aux néonicotinoïdes dont l’interdiction ne laisserait aucune chance de survie à la filière betteravière française.
FNSEA
Pas d’interdictions sans solutions.
Alternatives aux néonicotinoïdes
Les alternatives parlons-en. En existent-ils ou ne s’agit-il que d’un paravent pour gagner quelques années d’utilisation des néonicotinoïdes en espérant de nouvelles dérogations ? Encore une fois, tout dépend à qui vous demandez !
Selon la FDSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles), il n’y pas d’alternative viable pour les betteraves et cela expliquerait d’ailleurs la dérogation votée par le parlement en décembre 2020. La culture de betteraves ferait face à une épidémie d’ampleur provoquée par des attaques de pucerons vecteurs de la jaunisse. L’utilisation des insecticides par pulvérisation (au lieu de l’enrobage souhaitée) serait jugée inefficace. La FDSEA pousse aussi le gouvernement à investir dans des programmes de recherche pour trouver le plus rapidement possible des solutions efficaces.
Pour l’avenir, le plan de recherche de l’INRAE (Institut Nationale de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement) et de l’ITB (Institut Technique de la Betterave) envisage une combinaison de solutions plutôt qu’une solution unique : la génétique, le biocontrôle et l’agronomie.
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La génétique
Il s’agirait de ne plus seulement focaliser le développement de variétés améliorées au niveau de leur sucrosité mais aussi d’identifier les lignées de betteraves résistantes.
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Le biocontrôle
Cela concerne de l’utilisation des prédateurs des pucerons comme par exemple les coccinelles, ou encore la confusion sexuelle par la perturbation chimique de la reproduction des espèces visées. Cette solution seule ne suffirait pas, selon la filière betteravière, à protéger les cultures.
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L’agronomie
Cette solution implique une modification de la façon de cultiver les betteraves. Attirer par exemple les pollinisateurs via des bandes fleuries autour des champs afin qu’ils ne viennent pas sur les betteraves ou encore utiliser des plantes attirant les prédateurs des pucerons.
Selon l’ANSES : « des alternatives (chimiques et non chimiques) aux néonicotinoïdes existent pour la plupart des usages ». Cependant, dans le détail, le rapport de l’ANSES est plus nuancé. En effet, 130 usages des néonicotinoïdes ont été analysés. Parmi eux, six ne rencontrent aucune alternative et huit reposent sur une alternative chimique utilisant des substances de la même famille que les néonicotinoïdes. C’est notamment le cas pour la culture de la betterave.
Lorsqu’elles sont possibles, les alternatives prennent la forme d’une lutte biologique (utilisation d’organismes prédateurs des espèces visées), d’une lutte physique (application d’une couche protectrice de paraffine ou d’argile) ou encore d’une lutte par confusion sexuelle (dispersion de phéromones de synthèse perturbant l’activité reproductrice des espèces visées). L’ANSES insiste donc aussi sur la nécessité d’accélérer la recherche pour des alternatives plus opérationnelles.
Pour résumer, la toxicité de ces molécules pour la faune en générale et les abeilles en particulier est avérée mais des points d’achoppement persistent au niveau de la reconnaissance de la dangerosité de l’utilisation des néonicotinoïdes pour les betteraves. Les alternatives existent, encore largement améliorables et généralisables mais leur utilisation est contestée par les producteurs de betteraves. L’argument de restreindre la dérogation aux betteraves seulement, est en revanche un faux argument car une exception en appelle le plus souvent d’autres, et d’autres cultures pourraient prendre la suite. Les producteurs de maïs n’ont d’ailleurs pas tardé à faire entendre leur voix en demandant pour eux aussi une dérogation.
Sommet de Rio 1992
En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement.
Ce qu’en disent les politiques
L’Union Européenne
En 2013, la commission européenne a suspendu l’utilisation des trois principaux néonicotinoïdes sur la base des travaux de l’AESA. Auparavant, le principal argument des autorisations de mise sur le marché était qu’il s’agissait de puissants insecticides pouvant être appliqués en enrobage plutôt que par pulvérisation aérienne. Ce qui était supposé permettre une agriculture de précision et donc une baisse de la présence d’insecticides dans le milieu naturel.
En France, la première interdiction remonte à 1999 avec celle de l’imidaclopride sur le tournesol puis en 2004 sur le maïs. Le 27 avril 2018 l’Europe vota à la majorité la quasi interdiction (après leur suspension) des trois produits principaux pour toutes les cultures en plein champ à l’exception des usages en serre à condition que les graines et les plantes ne quittent pas l’abri formé.
En France, un arrêté du 5 février 2021 encadre la réintroduction des néonicotinoïdes sur la betterave après la loi votée le 14 décembre 2020 pour faire face à l’épidémie de jaunisse. Cette autorisation valable jusqu’en 2023 doit permettre de laisser le temps aux agriculteurs de trouver des alternatives pérennes à ces molécules. Décision accompagnée d’une demande d’attente d’un à trois ans avant de semer des cultures attirant les pollinisateurs comme le maïs. Les agriculteurs, eux, réclament l’autorisation de pouvoir replanter du maïs dès l’année suivante.
Cette dérogation française a fait l’objet d’une contestation auprès du conseil d’état par des associations afin de la faire annuler. Le 15 mars, la conseil d’Etat a jugé que l’arrêté d’autorisation provisoire des néonicotinoïdes n’était ni contraire à la constitution ni au droit européen.
La dérogation n’est pas une exception française : 12 autres pays européens ont obtenu également l’autorisation provisoire d’utilisation des néonicotinoïdes (dont la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne et la Pologne). C’est d’ailleurs un des arguments avancés par les agriculteurs français qui protestent contre une distorsion de la concurrence au niveau européen.
Opposition politique : l’agriculture systémique
D’autres voix se font entendre. Ainsi, un document produit et cosigné par les associations Agir pour l’environnement, Greenpeace, l’Union Nationale de l’Apiculture Française mais aussi la Confédération paysanne, défend la nécessité d’une approche plus systémique. C’est-à-dire une agriculture à l’opposé d’une vision où chaque parcelle est vue comme une entité indépendante, isolée de son environnement.
L’agriculture systémique aborde l’agriculture comme une pratique impliquant une parfaite connaissance du milieu, des interactions, une diversification de la production et un paysan au cœur de celle-ci. Concernant les néonicotinoïdes pour la culture betteravière, la solution de l’enrobage serait, selon ce texte, un moyen de ne pas avoir à vérifier les attaques d’insectes pendant plusieurs mois, ce type de pesticides étant donc une « solution de confort ». Les alternatives suivantes sont aussi proposées :
Ne pas semer dans une terre trop froide et trop tôt afin que la croissance de la betterave soit rapide, diminuant le temps d’exposition aux pucerons.
Observer régulièrement la culture et appliquer seulement si nécessaire de la pyréthrine simple (insecticide issue d’une plante).
Favoriser la biodiversité afin de réguler « naturellement » les populations de pucerons.
Considérer que les pertes liées à quelques foyers de betteraves détruites par une virose seraient compensées par l’économie réalisée sur l’achat de semences sans néonicotinoïdes.
L’avis d’Europe Écologie les Verts
Pour terminer dans ce volet « politique », l’avis d’Europe Ecologie les Verts (EELV) est clair. L’interdiction des néonicotinoïdes doit être totale.
Rappelons d’ailleurs que leur interdiction en 2018 fait suite à une loi de 2016 portée par… Barbara Pompili (secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité à l’époque) l’actuelle ministre de la transition écologique qui aujourd’hui soutient la décision du ministre de l’Agriculture d’accorder la dérogation pour l’usage de néonicotinoïdes. Barbara Pompili défend son point de vue en considérant la dérogation comme « un contretemps qui ne concerne que la culture des betteraves » et assume sa contradiction au nom d’un pragmatisme lié à la défense d’une filière française associé à un retard de l’implication de l’Etat dans l’impulsion du développement de vraies alternatives.
Pour EELV, cette dérogation est un frein à l’adoption de pratiques réellement durables, mutations nécessaires de l’agriculture face aux enjeux actuels. Les écologistes affirment qu’il est bien sûr impératif d’accompagner les agriculteurs (soutien financier notamment) dans ces mutations et regrettent l’inertie de l’Etat depuis l’interdiction de l’usage des néonicotinoïdes en 2016.
Pour conclure
Ce qui semble se dégager, c’est qu’aucune alternative totalement opérationnelle n’existe dans les conditions actuelles de la culture de la betterave.
Si le modèle de production ne change pas, il paraît difficile pour les agriculteurs de se passer des néonicotinoïdes en attendant l’aboutissement des programmes de recherche. Il y a donc une réflexion plus globale à mener sur l’agriculture française que nous voulons, sur la question de la souveraineté alimentaire de la France dont on sait aussi que sa quête est à l’origine, après la guerre, d’un dérèglement total de sa pratique et à l’origine de drames non seulement sanitaires, mais aussi de sens pour des agriculteurs transformés en industriels de l’agroalimentaire.
Tout dépend donc de la place du curseur que les politiques et donc leurs électeurs souhaitent positionner. Favoriser la filière betteravière dont on sait que l’utilisation des néonicotinoïdes pose problème au niveau de la biodiversité mais aussi pour notre santé, ou favoriser la protection de l’environnement et de notre santé au détriment de cette filière.
En tant que citoyen ou citoyenne, avez-vous la même exigence dans vos achats que celle que vous demandez aux agriculteurs ?
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Arnaud Lardé
Professeur agrégé en SVT
Professeur agrégé en Sciences de la Vie et de la Terre au Lycée Thibaut de Champagne à Provins depuis 2006.
Pur produit de la faculté des Sciences de Marseille, il tient sa vocation de sa passion pour la nature en général et la zoologie en particulier. Il transmet également sa passion en Anglais puisqu’il est responsable d’une section européenne.
Il participe également régulièrement la revue Espèces par la rédaction d’articles scientifiques de vulgarisation.
Décidemment vous traitez des sujets très complexes et propices à des polémiques, vous vous en sortez haut la main en traitant le thème clairement et en nous donnant les moyens de nous faire notre propre opinion, ce qui est rare par les temps qui courent…
Merci pour vos retours, très encourageants 🙂
Citer Générations Futures, EELV ou encore Greenpeace fragilise (pour ne pas dire discrédite) votre exposé. Il s’agit de sources d’opinion, de surcroît coutumières de d’adapter la réalité au profit de leur cause (par exemple GF qui communique sur la présence de glyphosate dans les urines sans jamais parler de quantité, ou encore Greenpeace dont la principale raison d’être en France est de fustiger les risques de l’industrie électro-nucléaire, pourtant la source d’électricité la plus sûre).
une réflexion : de quelles abeilles parlent-on ? Les sauvages ? Les domestiques ? Les domestiques profitent des soins prodigués par l’éleveur, ce qui leur assurent une meilleure santé. Leur génétique améliorée par sélection en fait également des travailleuses infatigables. N’y a-t-il pas distorsion de concurrence avec les abeilles sauvages ?… (spoil : oui)
Et le varroa dans tout ça ? Rappelons que ce parasite est, de loin, la première cause de mortalité des colonies (en France métropolitaine), loin (très loin) devant les néonicotinoïdes.
« .. une réflexion plus globale à mener sur l’agriculture française que nous voulons, sur la question de la souveraineté alimentaire de la France dont on sait aussi que sa quête est à l’origine […] de drames non seulement sanitaires » –> de quoi parlez-vous ? Du point de vue sanitaire, la nourriture française n’a jamais été aussi saine dans l’histoire.
« …mais aussi de sens pour des agriculteurs transformés en industriels de l’agroalimentaire. » –> Et alors ? Vous sous-entendez comme ça, de but en blanc, que ça serait un souci ?! Si oui, lequel ?
Bref je trouve que cet article que vous publiez sent un peu trop l’article d’opinion, ce qui vous fait vous éloigner des faits, malheureusement.
Bien cordialement
F.Theisseire
Professeur de SVT, lycée de Briançon (05)
Bonjour,
Merci de votre lecture.
Je me permets de revenir sur certains points de votre commentaire. Tout d’abord, je m’excuse de ne pas avoir fait une thèse de 200 pages où j’aurais pu effectivement traiter dans leur entièreté le problème des abeilles. Mais le titre de l’article doit pourtant permettre de comprendre que je me focalisai que sur un point particulier.
La citation de quelques sources utilisées et en revanche on ne peut plus partiale. Je cite EELV, Greenpeace (puisqu’ils portent ce thème sur le débat publique) mais vous semblez faire fi du CNRS, ANSES, études scientifiques toutes référencées, les agriculteurs ont aussi leur point de vue avec la FNSEA etc… Bref, mon objectif a été d’apporter les arguments des différents partis, ce que j’ai fait.
Le varoa? ce n’est pas le sujet de l’article. La première cause de mortalité en France sont les maladies cardiovasculaires donc ne parlons plus des accidents de la route? est-ce ainsi qu’il faut procéder? Mon article porte sur la dangerosité avérée ou non des néonic, par sur les autres sujets.
Evidemment que l’agriculture transformée en industrie agro est un souci; les agriculteurs eux-mêmes le disent! ils perdent le sens de leur travail, le nier est assez étonnant.
Pour finir, par rapport à la sécurité sanitaire, relisez bien, je parle de la situation post-guerre où la priorité a été la production à outrance pour restaurer la souveraineté alimentaire de la France (ce qui s’entend comme argument) et s’est accompagné d’une perte de sens des agriculteurs (encore une fois selon eux) et de drames sanitaires comme l’utilisation de produits chimiques interdits depuis et qui ont fait de gros dégâts.
J’ai bien relu mon article écrit il y a un moment et ne le renie pas, j’ai essayé de faire un travail argumenté, sourcé, relativement court et je pense avoir atteint l’objectif que je poursuivais. Comme vous je partage l’intérêt et les valeurs de l’esprit critique à travers mon métier mais j’essaie de ne détacher de certaines affirmations sur le groupe facebook très péremptoires pour ne pas dire dogmatiques