Soyons réalistes, au même titre que la religion ou la politique, la corrida est un sujet sensible qui soulève toujours de vives tensions.
Entre les pro-corridas, défenseurs d’une tradition ancestrale et des libertés individuelles, et les anti-corridas, dénonçant la cruauté envers les animaux, l’entente est difficile pour ne pas dire impossible. Entre les deux, une très grande majorité de Français en ont une opinion plutôt négative (82% des Français souhaitent que les actes de cruauté sur les animaux soient interdits, sans dérogation pour la corrida).
Mon propos ici va être de tenter de dépassionner le débat en proposant une analyse de l’argumentation des défenseurs de la corrida. Je ne vais pas prétendre réaliser une étude neutre : je ne crois pas qu’il soit possible d’être neutre sur un tel sujet. Je suis contre la corrida. En revanche, je vais tâcher de ne pas tomber dans la caricature, ni dans le pamphlet.
Ce que vous allez apprendre
- Que l'argumentation des défenseurs de la corrida s'appuie sur quatre idées principales
- Que chacun de ces arguments peut être analysé rigoureusement et qu'aucun n'est suffisant pour le maintien de la corrida
- Que la corrida n'est légale en France que par dérogation
- Que l'opinion publique est prête pour une interdiction de la corrida
- Que la question du respect de la liberté individuelle ne se pose pas pour une pratique contraire à la morale
Arnaud Lardé
La loi établit donc indiscutablement que les courses de taureaux (qui désignent ici la corrida) représentent un acte de cruauté et que leur non-interdiction ne repose que sur une exception, une dérogation.
Présentation de l’argumentaire pro-corrida et définitions
Quatre principaux arguments sont souvent avancés par les défenseurs d’une des formes de la tauromachie (nous allons définir très vite ces termes) : la corrida.
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L’argument de la tradition
La corrida représente une tradition ancestrale qu’il serait important de maintenir.
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L’argument économique
La corrida représenterait un intérêt économique majeur qu’il serait dangereux de supprimer pour beaucoup de localités.
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L’argument du respect des libertés individuelles
Personne ne semble être forcé d’assister à une corrida, il relèverait donc de la liberté de chacun d’assister ou non à une corrida.
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La noblesse de la pratique
La corrida représenterait un art, un combat noble entre l’Homme et l’animal, symbole ancestral d’une lutte pour la survie.
La corrida est un terme espagnol qui signifie « course de taureaux ». Communément, elle désigne une certaine forme de course de taureaux, celle d’un combat entre un homme, le torero, et un taureau où la mise à mort est de règle, la grâce l’exception. La corrida est une activité pratiquée en Europe par trois pays : L’Espagne bien sûr, le Portugal et la France mais seulement dans quelques régions dans le sud. La corrida ne désigne donc pas toutes les pratiques mêlant hommes et taureaux. Pour cela il faut parler de la tauromachie qui est « l’art d’affronter le taureau lors de combats ou de jeux ».
Ainsi la tauromachie inclut la corrida bien sûr mais aussi les courses landaises (jeux où des écarteurs et des sauteurs exécutent des figures d’évitement de vaches landaises sans armes ni blessures), les courses camarguaises (où l’objectif est de retirer d’un bœuf des attributs comme des cocardes fixées aux cornes ou sur le front de l’animal) ou encore les lâchers de taureaux dans les rues comme à Pampelune.
Nous nous limiterons à une discussion autour de la corrida, c’est-à-dire la seule pratique qui, par définition, implique les blessures et la mort d’un animal.
Même si la réponse peut sembler évidente, nous pouvons commencer par nous poser la question de la légalité de la corrida en France. L’article 521-1 du code pénal « sanctionne les actes de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité mais cette interdiction ne s’applique pas aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ». La corrida est donc légale néanmoins on peut noter certaine ambiguïté sur laquelle nous reviendrons.
Maintenant que les cadres sémantique, géographique et juridique sont posés, détaillons désormais l’argumentaire des défenseurs de la corrida :
Sondage Ifop, décembre 2019
82% des Français souhaitent que les actes de cruauté sur les animaux soient interdits, sans dérogation pour la corrida.
L’argument du respect des libertés individuelles
Cet argument postule qu’interdire la corrida serait un recul des libertés individuelles. Personne n’est obligé d’assister à une corrida donc une personne choquée ou désintéressée peut tout à fait exprimer sa position en ne se rendant pas à une corrida. Il ne serait pas normal d’interdire à tout le monde une pratique qui ne nuit à « personne ».
Les guillemets que je viens de placer autour du mot « personne » me permettent de pointer la faille de l’argument. Tout dépend finalement de la place que l’on accorde à l’animal autre qu’humain, si on lui concède la capacité de souffrir, d’avoir peur. Tout le monde semble d’accord pour dire qu’une liberté doit être restreinte lorsqu’elle implique une nuisance à autrui (le vol, la violence etc.) La distinction entre les deux camps repose donc sur la définition de qui est cet « autrui ». Les autres animaux doivent-ils être inclus dans ce refus de nuire ? Une fois encore, référons-nous à la loi. L’article cité plus haut précise bien que tout acte de cruauté envers les animaux domestiques, apprivoisés ou tenu en captivité est sanctionné, mais que cette sanction ne concerne pas les courses de taureaux. La loi établit donc indiscutablement que les courses de taureaux (qui désignent ici la corrida) représentent un acte de cruauté et que leur non-interdiction ne repose que sur une exception, une dérogation.
Une association militant contre la corrida a saisi à ce sujet le conseil constitutionnel en septembre 2012 afin d’étudier la constitutionnalité de la partie de l’article concernant les courses de taureaux. Le conseil constitutionnel a déclaré cette phrase conforme à la Constitution. Dans le commentaire de sa décision, le conseil des sages rappelle l’origine de cette loi : la loi sanctionnant les mauvais traitements exercés envers les animaux datent de 1850. Les juges du fond des régions de tradition tauromachique se sont farouchement opposés à ce que la loi concerne les courses de taureaux amenant le législateur en 1951 à l’amender en ajoutant l’exception pour les courses de taureaux (la notion de « tradition locale interrompue » avait été créée au sujet de l’interdiction administrative de cérémonies religieuses traditionnelles, comme les cortèges funéraires et processions, afin d’empêcher ces interdictions). Les termes de « tradition locale interrompue » ont fait l’objet de nombreuses interprétations et la Cour de Cassation a fini par imposer une définition de ces qualificatifs : l’adjectif « local » nécessite de constater l’existence de la tradition dans la localité en cause : l’existence de la tradition dans une ville voisine ne peut ainsi valoir pour cette autre ville. L’adjectif « interrompu » implique que l’organisation de corridas soit régulière (une interruption de plusieurs années rompant ainsi cette notion). Cependant en 2006, un arrêt de la première chambre civil de la Cour a admis qu’il soit possible de déduire la persistance d’une tradition taurine de « l’intérêt que lui porte un nombre suffisant de personnes ». Le moins que l’on puisse dire c’est que cet intérêt est décroissant.
La requête menée par l’association portait plus précisément sur la rupture d’égalité qu’engendrait l’exception faite aux courses de taureaux. Voici la réponse du Conseil Constitutionnel au grief exprimé : « De l’abondante jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il résulte que le principe d’égalité impose en principe de traiter de manière identique des personnes placées dans une situation mais ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Pour résumer, oui c’est inégalitaire d’ôter les taureaux de la protection qu’offre l’article 521-1 mais le législateur a le droit d’octroyer une dérogation. Point final. Fin de la discussion.
Dans l’émission « C dans l’air » sur France 5 du 22 octobre 2019, le célèbre avocat Eric Dupond-Moretti et l’acteur Pierre Arditi sont intervenus durant le débat sur le thème de l’interdiction de l’accès aux corridas aux mineurs de moins de 16 ans en tant que signataire d’une tribune « la corrida est un art et nul ne doit en être exclu ». Nous parlerons de la notion d’art plus tard, mais qui mieux qu’un avocat semble le mieux placé pour parler de liberté ? Maître Dupond-Moretti commence par préciser qu’il ne doit pas y avoir de contrainte, en tant que dépositaire de l’autorité parentale, à amener un mineur à une corrida. Mais il ne veut pas « qu’on l’emmerde quand il a décidé d’aller à une corrida ». Et d’ajouter qu’il préfère s’occuper de la liberté et bien être des Hommes plutôt que ceux des taureaux. L’argument repose aussi, selon lui, sur un rapport différent entre les humains et les animaux lorsque l’on est issu de la ruralité, loin de la sensiblerie des urbains. La différence réside donc bien sur la place que l’on accorde aux autres animaux. Pierre Arditi quant à lui estime « qu’il est indigne d’une démocratie moderne d’interdire un art ».
Cette différence de traitement entre humain et animal, parfois résumé par le concept spécisme ou antispécisme (idéologie établissant ou non une hiérarchie entre les espèces et accordant ou non une supériorité à l’être humain) est un vaste débat en lui-même. On peut se limiter à ce qu’en dit la Science aujourd’hui. Les neurosciences permettent d’affirmer que nombre d’animaux, en particulier les mammifères (donc les taureaux), possèdent les mêmes structures anatomiques impliquées dans la perception et le traitement de la douleur ainsi que des émotions, à des degrés divers, que les humains. Il est donc scientifiquement admis que les taureaux souffrent physiquement lors des combats mais aussi et peut-être même surtout émotionnellement (stress, peur). Libre à chacun de placer son curseur de valeur en fonction de l’importance qu’il accorde à ce constat.
Puisque l’on arrive à discuter de liberté, de moralité, il est nécessaire d’aborder ces notions d’un point de vue philosophique. Ainsi, Lucas Rihouey, professeur de philosophie au lycée Thibaut de Champagne à Provins, nous en dit quelques mots :
« Pour ou contre la corrida ? Pour bien débattre avec quelqu’un, il faut d’abord comprendre ce qui nous oppose à lui afin d’avoir les arguments pertinents (la pertinence n’est pas la vérité) par rapport au contexte et à l’interlocuteur. Or, pour ce débat-là, la question de la liberté ne peut-être pertinente car c’est sur une question de morale qu’il y a conflit. Faisons d’abord un point rapide sur les conceptions de la liberté qui sont en jeu ici. Une conception commune de l’Etat affirme que celui-ci a pour rôle de restreindre notre liberté naturelle (qui est faire tout ce que nous pouvons et voulons faire) et ainsi créer une liberté civile, c’est-à-dire ne pas être empêché par quelqu’un de faire ce que nous avons le droit de faire, c’est-à-dire tout ce que l’Etat ne nous interdit pas. Et ce qui doit relever ou non du droit est conditionné par les questions morales. Si une association ou un Etat voulait faire interdire le jogging, beaucoup serait d’accord pour affirmer qu’il y a atteinte à la liberté individuelle car c’est une activité qui ne soulève aucune difficulté morale. Si une association ou un Etat voulait autoriser le vol, il y aurait une résistance majoritaire car il y a un consensus quant à l’immoralité du vol. Notre comportement quotidien nous révèle que, pour la plupart d’entre nous, la morale est prioritaire sur la liberté. Entre un pro et un anti-corrida, il y a cette question morale non résolue : est-il immoral d’infliger des blessures et de tuer un animal ? Il faut expliquer pourquoi c’est immoral, ou pourquoi cela ne l’est pas : un argument d’une autre nature (économique, culturel, écologique, etc.) est inutile avant cela. Il serait indéniablement avantageux écologiquement, économiquement, démographiquement, de supprimer la moitié de la population humaine mondiale : mais ces avantages indéniables ne peuvent être pris au sérieux tant elles sont intenables d’un point de vue moral. »
L’interdiction des corridas n’est donc pas une question de liberté individuelle mais plutôt de moralité.
Si un consensus national qui passerait par la représentation parlementaire décidait que la corrida, par la cruauté qu’elle implique, ne peut plus bénéficier d’une exception à l’article 521-1 car elle serait considérée immorale, il serait alors du ressort de nos représentants d’interdire cette pratique. Cela ne pourrait alors être perçu comme une perte de liberté individuelle.
Article 521-1 du code pénal
Sont sanctionnés les actes de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité mais cette interdiction ne s’applique pas aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée.
L’argument économique
Selon cet argument, la corrida représenterait un secteur d’activité financièrement important tant pour les collectivités locales (de par l’attraction de visiteurs, des ferias que les corridas génèrent) que pour des salariés directement liés ou non à la corrida (élevage de taureaux, toreros, organisateurs, restaurateurs, etc.). Il serait économiquement dangereux d’interdire les corridas.
Pour répondre à cet argument, il faut donc collecter des données économiques afin d’évaluer l’importance que ce secteur représente. Avant d’aller plus loin, il est tout à fait possible de dire que l’argument économique ne peut pas être un argument décisif puisque quand bien même ce secteur serait économiquement crucial, il serait néanmoins judicieux de s’interroger sur sa légitimité puisque des secteurs peuvent très bien être interdits quand bien même ils seraient importants. L’arrêt d’une filière jugée dangereuse, contraire à l’intérêt général ne doit pas forcément se faire brutalement mais c’est tout à fait envisageable. De nombreux produits chimiques industriels ont été interdits au fil des années forçant les industriels à se tourner vers d’autres produits. Les plastiques jetables le sont également depuis le 1er janvier 2020 au grand dam des producteurs de gobelets, pailles, couverts jetables. Un calendrier a été établi jusqu’à 2028 afin d’étaler les interdictions et de laisser le temps aux industriels de se recycler, si j’ose ce jeu de mots facile ! Ainsi l’argument du maintien de la corrida pour des raisons économiques n’est pas recevable. Pour être plus précis, cela ne nous empêche pas d’essayer d’évaluer l’importance de ce secteur économique. On s’aperçoit vite qu’il est très difficile de collecter des données officielles sur ce sujet.
L’ANOET (L’Association Nationale Espagnole des Organisateurs de Spectacles Taurins) dont le président est aussi le directeur des arènes de Nîmes, avance un chiffre de 4,5 milliards d’euros générés par la tauromachie (sans distinction des types de courses taurines). Les organisateurs sont très frileux à communiquer l’affluence des corridas, le salaire des toreros, etc. De l’autre côté, les sites anti-corridas ne peuvent pas être forcément pris comme des sources fiables (à moins qu’ils ne fournissent les sources des données avancées) puisqu’il s’agit d’un engagement militant. Ce qui ressort des nombreux articles que j’ai pu consulter dans des revues comme les Echos ou dans des journaux comme le Figaro, c’est que le modèle économique de la corrida semble être en difficulté. Plusieurs raisons sont avancées : le prix des places élevé (entre 20 et plus de 100 euros), les cachets des toreros pouvant atteindre 160 000 euros, le prix d’achat des taureaux de combat qui peut atteindre 10 000 euros, une désertion des entreprises qui renouvellent de moins en moins leurs abonnements pour leurs clients car c’est un spectacle polémique auquel elles ne veulent plus associer leur image. Le sponsoring se fait également de plus en plus souvent anonymement. Dernier élément, la fronde anti-corrida exerce une pression constante lors des corridas et dissuadent certains visiteurs. Ainsi une baisse de la fréquentation est observée dans les six villes hébergeant des arènes de première catégorie.
L’activité de la corrida, par le fait qu’elle inclut l’élevage de taureaux, implique l’intervention de la Politique Agricole commune (PAC). Ainsi le montant des subventions européennes s’élève directement ou indirectement à plusieurs millions d’euros chaque année, notamment suite à une transformation du statut d’éleveur de taureaux de combat en éleveur de taureaux « tout court » : c’est-à-dire qu’il n’y a plus de différence pour l’Europe entre un élevage de taureaux pour le combat ou pour l’alimentation. On peut donc déjà dire que l’Europe entière contribue pour un secteur autorisé dans seulement trois de ses pays. En septembre 2014, un amendement européen (n°6334) a été adopté et propose la suppression des subventions à l’élevage des taureaux destinés aux combats (29 voix pour, 11 contre). Il avait alors été invoqué par la convention européenne pour la protection des animaux d’élevage que les animaux concernés ne doivent subir ni douleur, blessure, peur : or ces conditions ne sont clairement pas remplies par les taureaux de combats. Cependant cet amendement a été rejeté par la commission du budget. L’amendement a alors été à nouveau proposé au vote (sacrée navette parlementaire !) avec une nouvelle fois un résultat en faveur de la suppression des subventions (332 voix pour, 298 voix contre et 61 abstentions) mais il est nécessaire, pour l’approbation du vote, d’obtenir la majorité absolue ce qui n’a pas été le cas.
L’argument économique avancé par les pro-corridas concerne aussi l’écosystème économique qu’elles généreraient comme les ferias, ces fêtes mémorables qui peuvent drainer un million de visiteurs comme à Bayonne. Seulement, un sondage permet de voir que 96% des visiteurs des ferias (Nîmes, Bayonne, etc.) ne vont pas aux corridas. Réduire ces évènements aux corridas est donc très excessif. Il est tout à fait envisageable que les ferias puissent attirer autant de visiteurs si le côté festif est conservé, si des événements comme des courses landaises, lâchers de taureaux sont toujours organisés. La corrida en elle-même ne semble pas le facteur déterminant au succès des ferias. D’ailleurs les corridas ne représentent plus que 7,7% des courses de taureaux organisées loin derrière les courses populaires (courses landaises, camarguaises, abrivados, lâcher de taureaux, etc.).
Pour terminer, il semble tout à fait possible d’imaginer une tauromachie privée de corridas mais pas des autres courses taurines et qui pourrait continuer d’organiser des évènements majeurs. La corrida est de toute façon clairement un secteur en déclin tant au niveau du nombre de ses spectateurs, que de l’intérêt (91% des espagnols disent ne plus avoir aucun intérêt pour la corrida selon un sondage du ministère de la culture espagnol) ainsi que de l’image véhiculée.
Arnaud Lardé
Tout dépend finalement de la place que l’on accorde à l’animal autre qu’humain, si on lui concède la capacité de souffrir, d’avoir peur.
L’argument du maintien d’une tradition
L’appel au respect et au maintien des traditions est un argument utilisé dans beaucoup de pratiques : l’enseignement d’une langue régionale, les danses ou musiques folkloriques, les fêtes ou repas familiaux ayant une origine au départ religieuse et donc la corrida. Comme toujours quand on réfléchit à la pertinence d’un argument, il faut commencer par revenir au sens du terme utilisé. Qu’est-ce qu’une tradition ? Selon le Larousse, « une tradition est un ensemble de légendes, de faits, de doctrines, d’opinions, de coutumes, d’usages, etc., transmis oralement sur un long espace de temps. C’est aussi une manière d’agir ou de penser transmise depuis des générations à l’intérieur d’un groupe. »
Les origines historiques de la corrida sont difficiles à établir et si une origine antique (liée au culte du taureau) semble majoritairement écartée, un consensus établit une origine située aux alentours du XIVe siècle en Espagne. La codification des combats devra attendre le XVIe ou XVIIe siècle. Ainsi nous sommes indiscutablement dans « un ensemble de coutumes, d’usages, transmis oralement sur un long espace de temps ». La corrida est donc bien une tradition.
La discussion ne doit donc pas porter sur la notion même de tradition mais plutôt sur l’immuabilité des traditions. Pratiquer un usage, une coutume, une doctrine sous le seul prétexte qu’il représente une tradition est-il un argument suffisant ? Historiquement, de nombreuses traditions ont disparu, c’est un fait. Les combats de gladiateurs dans la Rome Antique étaient un moment phare des jeux du cirque, ils se sont pourtant progressivement éteints vers le IVe siècle. La tradition chinoise des pieds bandés qui consistaient à enserrer les pieds de jeunes filles peu après la naissance afin d’arrêter la croissance et de les cambrer pour des raisons esthétiques a été interdite en 1912 pour quasiment disparaître en 1950. Plus léger, la tradition d’envoi de cartes de vœux disparaît chaque année un peu plus. Qu’on le veuille ou non une tradition n’a donc pas pour fonction de rester inscrite dans le marbre éternellement. On peut parfois le regretter, on peut parfois estimer que « c’était mieux avant » mais c’est ainsi. C’est le propre des sociétés que de se transformer, d’évoluer. Des traditions impliquant un traitement cruel à des animaux ont déjà disparu. En Espagne, plus précisément à Manganeses de la Polvorosa, la tradition du lancer de chèvre vivante depuis le haut d’un clocher a été interdite en 2000. Le toro de fuego (taureau de feu) est une tradition pratiquée en France et en Espagne où des produits inflammables sont attachés aux cornes d’un taureau lâché dans les rues. Les festivaliers doivent alors éviter la cavalcade d’un taureau paniqué. Cette pratique recule progressivement avec de plus en plus souvent un artificier qui remplace le taureau. Nous pourrions continuer longuement cette liste.
Les traditions ne sont pas donc pas éternelles. Elles peuvent être remises en question surtout lorsqu’elles correspondent à des critères sociétaux n’ayant plus cours aujourd’hui. L’appel à la violence, à la démonstration de la virilité, à la superstition ne sont plus des principes aussi mis en avant qu’auparavant. Il n’est pas donc criminel, progressiste dans son sens péjoratif ou ce n’est pas manquer de respect au passé que de réfléchir au maintien d’une tradition. A-t-elle encore un sens ou le même sens aujourd’hui que par le passé ? Est-elle conforme aux valeurs défendues aujourd’hui ? Je ne le pense pas pour la corrida.
Nous en revenons une nouvelle fois à l’argument de l’immoralité ou de la moralité de la tradition quand elle implique une souffrance physique ou psychique envers un humain ou un autre animal.
Arnaud Lardé
L’interdiction des corridas n’est donc pas une question de liberté individuelle mais plutôt de moralité.
L’argument artistique, noble de la corrida
Cet argument est celui que l’on peut écarter le plus rapidement. En effet, il n’y a rien de plus subjectif, de plus personnel qu’attribuer un titre d’art à une pratique. Libre à chacun de considérer qu’une chanson est de l’art, que le « baloon dog », de Jeff Koons est de l’art, etc. C’est même le premier argument avancé par certains défenseurs de la corrida puisque c’était le titre de leur tribune « La corrida est un art et nul ne doit être exclu ».
La noblesse, l’aspect artistique de cette pratique ne sont pas des critères qui doivent définir l’autorisation ou l’interdiction de la corrida. La légalité ou la moralité d’une pratique, d’un comportement repose sur des questions éthiques, sociales, philosophiques mais non sur un aspect artistique. L’interdiction de la corrida ne pourrait absolument pas être considérée comme de la censure au même titre que la demande de retrait de certains poèmes de Baudelaire dans son recueil des « Fleurs du Mal » en 1857.
Victor Hugo
Torturer un taureau pour le plaisir, pour l’amusement c’est beaucoup plus que de torturer un animal, c’est torturer une conscience !
Tout ceci étant donc dit
Il est indéniable que certains arguments en faveur de la corrida sont recevables, comme l’aspect économique. Même si nous avons vu que les évènements festifs n’étaient pas centrés autour des corridas, la tauromachie au sens large possède une certaine attractivité qui participe à la vie économique de beaucoup de villes. Cependant l’économie ne peut justifier à elle seule le maintien d’une pratique. Il est également envisageable que certaines personnes puissent éprouver des émotions au cours d’une corrida, y trouver un esthétisme qui pourraient rappeler ce que d’autres ressentent devant un tableau. Mais une fois encore, cet aspect artistique n’est pas suffisant pour légitimer une pratique. Le maintien des traditions peut aussi être invoqué. Il est vrai qu’aujourd’hui, l’uniformisation de nos sociétés occidentales peut faire regretter la disparition progressive des particularismes régionaux. Cet argument n’est pas suffisant pour faire perdurer la corrida à tout prix. A partir du moment où une pratique, une tradition, une coutume ou quoi que ce soit d’autre, impliquent la souffrance ou la maltraitance d’un être vivant dont la science a établi que cet être vivant les ressentait, seule la question de la moralité doit se poser.
Je ne m’attarde pas sur l’argument du respect des libertés individuelles puisqu’il n’est pas question ici de liberté mais de moralité et que l’immoralité de la corrida me semble acquise.
L’opinion publique montre, sondage après sondage, un désintérêt et même une opposition grandissante face à la corrida. La popularité de la pratique ne peut donc plus être invoquée. De l’aveu même d’aficionados, la corrida est une pratique élitiste qui ne touche, par définition, qu’un nombre restreint d’adeptes. La corrida ne survit que grâce à une dérogation, une exception législative et des subventions européennes qui comblent les déficits. La France me semble prête à tourner la page de la corrida. Les courses taurines sont un très bon compromis et permettraient de maintenir une tradition tauromachique, de maintenir une activité qui n’implique pas la souffrance physique et la mise à mort d’un animal et de maintenir une activité économique lors des ferias, moments festifs incontestables mais dont l’attractivité est aussi incontestablement séparée de la pratique de la corrida.
Pour conclure
Qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite, la société actuelle n’est évidemment plus la même que celle d’il y a 30, 40 ou 50 ans et la pratique d’activité telle que la corrida semble condamnée à plus ou moins brève échéance.
Comme lors de chaque transition, l’idéal est qu’elle s’effectue le plus progressivement possible. Cela permettrait aux éleveurs, aux organisateurs, et à toute l’économie tournant autour de la corrida de trouver de nouvelles activités tauromachiques.
Il arrivera néanmoins un moment où la pression populaire sera telle que l’interdiction sera brutalement décidée et le choc n’en sera que plus rude pour les aficionados comme pour les professionnels.
Connaissez-vous d'autres pratiques désuètes qui devraient disparaître, selon vous ?
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Arnaud Lardé
Professeur agrégé en SVT
Professeur agrégé en Sciences de la Vie et de la Terre au Lycée Thibaut de Champagne à Provins depuis 2006.
Pur produit de la faculté des Sciences de Marseille, il tient sa vocation de sa passion pour la nature en général et la zoologie en particulier. Il transmet également sa passion en Anglais puisqu’il est responsable d’une section européenne.
Il participe également régulièrement la revue Espèces par la rédaction d’articles scientifiques de vulgarisation.
Jai pose la question de la Tradition a un hitorien universitaire non militant. Pour lui la corrida n’est PAS une tradition francaise mais espagnole. L’argument de la tradition est aussi avance par les defenseurs de l’excision des jeunes femmes. Les arguments de dupont moretti condistant a dire si ca me fait plaisir je veux le faire et que personne m’emmerde…sont indignes d’un juriste et questionnent sa legitimite en tant que ministre de la Justice. En outre sur la question de la souffrance psychique et physique des animaux non humains, l’ignorance de ce constat demontre par la Science est encore largement pregnante chez les pro corridas. Ceux qui savent mais continuent quand meme se complaisent dans une forme de perversion… assumee ?.
Merci de votre réaction. Je souscris totalement. La liste des traditions disparues est très longue ! Effectivement c’est une tradition plutôt espagnole et quand on voit que même là bas l’intérêt devient anecdotique, c’est dire !
» un consensus établit une origine située aux alentours du XIXe siècle en Espagne. La codification des combats devra attendre le XVIe ou XVIIe siècle. »
A moins que je ne sache plus mes chiffres romains, y aurait-il une petit coquille sur le premier ?
Merci pour cet article qui fait du bien aux méninges et au cœur.
Étant professeur, dans ces cas là je dis « c’était pour voir si vous suiviez ! » 🙂
Effectivement c’est XIV qu’il fallait lire. Navré pour cette coquille que nous allons corriger !
Il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne font pas d’erreur 😉
J’ai une question un peu hors sujet, mais j’entends quelques fois l’argument que les plantes ressentent de la douleur, du coup qu’on inflige de la douleur même si on est végétarien et donc qu’on est hypocrite vis à vis des carnivores, que ça n’aurait donc pas plus de sens d’être végan/végétarien que carnivore.
Vous qui avez l’air d’être versé en argumentation pourriez vous m’apporter une échappatoire à cet argument 😉 ?
Bonjour, aucun système nerveux, ou équivalent, qui pourrait être liée à la douleur n’a été trouvé dans le règne végétal. Cet argument est fallacieux et pourrait être remplacer par : marché sur les cailloux leurs fait mal. Je vous conseille la chaine de Mr Phi sur youtube, une vidéo parle de ce genre d’argument absurde.
Bonjour,
Pour répondre à votre question sur « les pratiques désuètes qui devraient disparaître », je citerai le combat de coqs, la vènerie sous terre, la chasse à courre, le piégeage (tenderie, matole), l’abattage sans étourdissement, …
Chacun de ces sujets nécessiterait un développement impossible ici.
En fait, toutes les pratiques désuètes qui touche à la morale dans notre rapport au vivant devraient disparaitre.
Cordialement
Comme il est précisé au début de l’article, le sujet ne laisse personne indifférent, d’où la finesse de l’auteur qui a su se placer à la bonne distance des sentiments et des querelles stériles. En tant que lecteur, il nous laisse le choix de choisir avec des arguments solides des deux côtés. Bravo car c’était périlleux.
Mr DUPOND-MORETTI ,avocat anti-juges a été choisi par le pouvoir actuel pour signifier que les juges sont soumis au désir du prince ou de son favori,avec ses casseroles,ce n’était pas le meilleur choix ! Une belle tradition répandre des poisons mortels dans les champs et les vignes au nom du FRIC!( les preuves abondent,hélas !)