La culture du bleuet sauvage est-elle adaptée à son écologie ?

Le bleuet sauvage, un peu moins connu en Europe et pourtant si apprécié en Amérique du Nord, est une baie proche de la myrtille.

La culture de ce petit fruit est une activité économique importante pour le Canada et en particulier pour le Québec.

Mais comme son nom l'indique, le bleuet sauvage est une plante bien différente des plantes agronomiques qu'on a l'habitude de rencontrer.

Elle n'est ni sélectionnée, ni semée, mais cultivée et emménagée à partir de populations déjà présentes, ce qui en fait toute sa particularité.

Résoudre des problématiques autour de la culture du bleuet sauvage nécessite alors d'en connaître un peu plus sur sa biologie et son écologie, ce qui aura peut-être une incidence sur sa gestion ?

Ce que vous allez apprendre

  • Pourquoi la culture du bleuet sauvage est différente des cultures habituelles
  • Ce qu'est une Ericacée
  • Ce qu'est un rhizome et pourquoi s'y intéresser
Karine Lambert
Le véritable amour, il est sauvage, ce n’est pas un jardin qu’on cultive.

Contexte

En 1870, l’évènement de grand feu dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, au Nord du Québec, a brûlé quelques 3 800 kilomètres carrés de terres et de forêts, ce qui a profité à la régénération de plusieurs végétaux dont le bleuet sauvage.

Il a pu se propager dans les zones perturbées et donner à la région sa force économique en lui permettant de devenir le leader mondial dans la production et l’exportation de ce petit fruit.

Aujourd’hui, la culture du bleuet sauvage représente d’importantes surfaces de champs à perte de vue.

Bien qu’à l’automne, ces champs offrent une jolie teinte de rouge au paysage, ces conditions environnementales sont bien différentes de son habitat naturel que sont les forêts matures.

Sans parti pris, il est question de savoir si la culture du bleuet est adaptée à son écologie.

Une culture importante en Amérique du Nord

Champ de bleuets sauvages
Champ de bleuets sauvages Jessica Girona

Le bleuet sauvage, cette perle bleue, proche espèce de la myrtille, est particulièrement appréciée en Amérique du Nord sous ses différentes formes.

Le Canada, et en particulier le Québec, est aujourd’hui un des principaux producteurs de cette petite baie.

Ainsi, sa culture en fait une de ses activités économiques importantes, pour sa commercialisation, mais aussi les emplois qu’elle génère.

Le bleuet est de loin l’exportation fruitière la plus importante du pays avec 59 625 tonnes exportées en 2014, dont la valeur atteint 206,6 millions de dollars canadiens.

Cependant, le rendement est très variable d’une année à l’autre.

Le bleuet sauvage se distingue des autres plantes agronomiques, car ce ne sont pas les producteurs qui la sèment, mais plutôt qui aménagent et gèrent des peuplements naturellement présents.

Avant de devenir une bleuetière, on trouve le bleuet généralement dans les forêts matures du Nord du Canada.

Et quand ça ne pousse plus du tout ?

Zones dépéries en bleuetière
Zones dépéries en bleuetière Jessica Girona

Parce que le « Grand feu du Saguenay-Lac-Saint-Jean » avait permis la propagation des plants, brûler les champs avant le cycle de production était une méthode de taille très utilisée.

Elle provoque la levée de dormance des bourgeons, c’est-à-dire la reprise du cycle du développement de la plante qui s’était arrêté pendant l’hiver, et stimule la reproduction végétative (formation de nouvelles tiges, feuilles, etc.).

Pourtant plusieurs travaux semblent montrer un impact direct négatif de cette pratique, et les feux intensifs et répétés sont ainsi responsables de la perte de matière organique en surface, autrement dit d’une grande partie des éléments nutritifs disponible pour la plante.

La combinaison de ces méthodes de gestion et d’autres évènements climatiques comme les gels vigoureux à l’hiver, peuvent conduire à des zones dépéries en champ.

Ces zones improductives, où les plants ne poussent plus, peuvent représenter d’importantes surfaces et leur restauration naturelle peut prendre plusieurs années sans l’intervention humaine.

Dans un souci de maintien de la production, mais également afin d’éviter l’érosion des sols et leur dégradation, il est nécessaire de recoloniser ces zones.

Mais comment faire si les producteurs ne peuvent pas semer le bleuet ?

L’utilité des rhizomes

Plant mère de bleuet sauvage à gauche donnant naissance à de nouvelles tiges à droite
Plant mère de bleuet sauvage à gauche donnant naissance à de nouvelles tiges à droite Domain public

Le bleuet avance principalement par propagation de ses rhizomes.

Les rhizomes, ce sont ces tiges souterraines qui permettent la multiplication végétative de la plante, de se propager et de donner à partir d’un plant déjà existant de nouvelles tiges.

L’idée est alors de favoriser la croissance des rhizomes pour permettre la propagation des plants en champ et recoloniser ainsi les zones dépéries.

Et c’est là que vient se poser la question des différences entre les conditions environnementales naturelles du bleuet et celles de culture…

Il y a deux principaux facteurs environnementaux qui diffèrent entre les conditions forestières et celles en champ.

Les principales différences entre le milieu naturel du bleuet sauvage et les conditions de culture

Le premier est le substrat dans lequel se développent les rhizomes.

Dans les bleuetières, les sols sont principalement sableux et pauvres en nutriments. Même si les éricacées sont capables d’occuper ce type de milieu, il n’en reste pas moins très différent de son milieu naturel.

En effet, en forêt, le bleuet développe son réseau de rhizomes et de bourgeons végétatifs dans la couche supérieure du sol, dans l’humus, où est entretenue la décomposition de la matière organique (principalement des débris végétaux).

Puisque l’apparition des zones dépéries semble être associée à une perte de celle-ci et que le bleuet est capable d’absorber l’azote sous forme organique, il semble cohérent de penser qu’un apport de matière organique pourrait stimuler la croissance des rhizomes.

Les amendements organiques, comme l’application de copaux ou de sciures de bois, est une pratique déjà utilisée en agriculture, et de nombreux travaux rapportent un accroissement de la biomasse aérienne et du nombre de fruits pour le bleuet en présence d’un paillis, ce qui est bon pour la production !

Mais à ce jour, peu de travaux se sont intéressés à l’impact des amendements organiques sur la croissance souterraine du bleuet sauvage et en particulier celle des rhizomes.

C’est une piste à explorer pour stimuler leur croissance !

Un autre facteur qui distingue les forêts des bleuetières est l’intensité lumineuse.

L’étendue des champs de bleuets est exposée à la pleine lumière, alors que le bleuet est une plante de sous-bois, où le couvert forestier filtre la lumière.

Il existe différentes stratégies chez les plantes pour faire face aux changements environnementaux et à ce type de perturbation.

Par exemple, le Cornouiller soyeux (Cornus sericea) assure sa survie et sa dispersion dans le sous-bois par le développement de ses parties horizontales à la surface du sol, et ne développe ses tiges aériennes et ses fleurs que lorsqu’il rencontre des trouées dans la canopée.

Un autre exemple chez les éricacées, Gaultheria shallon semble produire plus de rhizomes et surtout des rhizomes plus longs dans des conditions partiellement ombragées.

Que ce soit pour le premier ou pour le second, il semblerait que ce soit des stratégies d’exploration du milieu pour les nutriments et de survie par rapport à la compétition avec d’autres plantes ou arbres.

Sophocle
Pour agir avec prudence, il faut savoir écouter,

Pour les espèces du genre Vaccinium, plus proche de celle du bleuet sauvage, les stratégies par rapport à la lumière sont encore différentes.

Certaines se concentrent seulement là où les trouées dans la canopée laissent passer la lumière, d’autres préfèrent les conditions ombragées.

En bref, bien qu’un bon bain de soleil soit nécessaire à la formation des fruits, on ne sait rien de l’impact de la lumière sur la croissance végétative du bleuet sauvage, s’il s’agit d’un facteur limitant son développement ou quelle serait sa stratégie à la diminution de l’intensité lumineuse.

C’est une autre piste à explorer pour stimuler la croissance des rhizomes !

Les Ericacées

Baies de bleuets sauvages
Baies de bleuets sauvages Jessica Girona

Vaccinium angustifolium, le bleuet sauvage encore appelé le bleuet nain, fait partie de la famille des Ericacées.

Ce groupe de plantes regroupe principalement des arbustes, souvent des espèces pionnières, aptes à coloniser des milieux perturbés et à constituer les stades écologiques qui précèdent celui des forêts.

Cette capacité à occuper des milieux pauvres en nutriment lui semble être permis grâce aux mycorhizes, une association symbiotique entre un champignon et la racine de la plante.

Mais pas n’importe quel mycorhize… Les mycorhizes éricoïdes !

Ils permettent aux Ericacées d’assimiler l’azote présent dans le sol sous forme organique, comme les acides aminés, quand les autres plantes ne peuvent assimiler l’azote qu’une fois décomposé sous sa forme minérale.

Un avantage nutritif !

Le projet de recherche « FRAN-02 »

Le projet de recherche « Fonds de Recherche Agroalimentaire pour l’Agriculture Nordique du Saguenay-Lac-Saint-Jean » (FRAN-02) a été financé par le Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), les producteurs et d’autres partenaires régionaux.

Il est à l’interface entre l’étude de l’écologie du bleuet sauvage et une étude appliquée en agriculture pour résoudre le problème des zones dépéries.

Pour tenter de répondre à ce manque de connaissance sur la croissance végétative souterraine du bleuet, nous avons réalisé une expérimentation plutôt simple : nous avons récolté plusieurs rhizomes, qu’on a coupé pour chacun d’eux à une longueur de 10 centimètres, pour avoir une taille de départ et ainsi suivre son développement après plusieurs saisons de croissance.

Nous les avons plantés à quelques centimètres de profondeur par rapport à la surface du sol, sur des petites parcelles d’un mètre carré, et y avons appliqué l’un des quatre amendements organiques choisis.

Deux qui seraient applicables en champ : des copeaux de bois et du bois raméal fragmenté.

Deux autres qui miment le milieu naturel du bleuet : de l’humus forestier ou de la tourbe.

Ensuite, nous avons soumis les parcelles à trois différentes intensités lumineuses grâce à du tissu d’ombrage qui laisse passer soit 60%, soit 30% de l’intensité lumineuse.

Pour la dernière, c’est le témoin que nous avons laissé en pleine lumière.

A ce jour, il est trop tôt pour dire qu’une condition plutôt qu’une autre puisse stimuler la croissance des rhizomes.

Mais connaître l’impact du substrat et de la lumière sur le développement du bleuet serait quelque chose d’utile pour la bonne gestion des bleuetières.

Pour conclure

Alors, la culture du bleuet est-elle adaptée à son écologie ?

La réponse est peut-être une question de point de vue et de fonction, comme c'est souvent le cas…

Devrait-on favoriser la reproduction et produire des fruits ? Devrait-on favoriser la croissance végétative et propager les plants ?

Quoi qu'il en soit, s'il y a des plantes capables de coloniser des sols pauvres, acides et qui avaient pourtant été jugés comme impropre à l'agriculture, ce sont bien les éricacées !

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Jessica Girona

Écologue

Jessica Girona est écologue de formation, mais d'abord et avant tout passionnée d'entomologie.

Elle s'intéresse de manière générale aux problématiques pratiques que présente une agriculture éthique, comme la réhabilitation des zones dépéries en bleuetières et l’effet du paysage sur la régulation des insectes ravageurs de la vigne.

À travers ses recherches, elle souhaite avant tout participer à l’avenir d’une agriculture durable.

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3 réponses à “La culture du bleuet sauvage est-elle adaptée à son écologie ?”

  1. Bonjour
    C est très important ce que vous presentez aidez nous a exploiter 20000 hectar de bleuet sauvage et faire un investissement important

  2. Bonjour,
    Quels sont les résultats de vos expérimentations ? Entre différents apports de matière organique et différentes situations d’ombrage ?

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