Le design, un outil pour faire connaître la biodiversité des friches urbaines

Ces dernières années, les politiques publiques tentent d’améliorer notre rapport à l’écologie urbaine : stratégies de développement plus douces, installation de composteur, etc.

Ces actions restent pourtant superficielles et valorisent le plus souvent une biodiversité des friches soumise aux décisions humaines.

À l’inverse, les friches, ces espaces délaissés et intimement liés aux processus urbains, sont des aires potentielles pour émulsionner la relation entre ville et flore spontanée. Qu’en est-il de la considération des friches urbaines aujourd’hui ?

Ce que vous allez apprendre

  • L’intérêt des friches urbaines
  • Comment le design peut faire porter ou apporter un regard neuf sur les friches
  • Comment découvrir les ressources d’une friche : ateliers et outils
  • Quels retours d’expériences de terrain
Gilles Clément
Face à l’oscillation du nombre le Tiers paysage se positionne comme un territoire refuge, situation passive, et comme le lieu de l’invention possible, situation active.

Abandon volontaire des friches

« Friche » est le terme que l’on donne à un terrain qui a été exploité par l’Homme puis délaissé.

Son abandon laisse place à une recolonisation du lieu par la flore spontanée et la faune sauvage, à fortes valeurs écologiques.

Le terrain développe alors une fertilité héritée d’un territoire transformé par l’Homme, anthropisé. Ce processus dure en général jusqu’à ce que démarre un nouvel aménagement humain, de quelques mois à plusieurs années parfois.

Bien que certaines politiques publiques se montrent soucieuses de protéger l’environnement, les friches restent souvent considérées comme un bien foncier à fort pouvoir économique, plutôt que comme des zones écologiques à part entière. Ce postulat peut d’ailleurs être partagé par les citoyens eux-mêmes, qui se projettent davantage dans un lotissement « étanche », où l’humus disparaît.

Vers de nouveaux regards sur la biodiversité des friches

Depuis le Grenelle II de l’environnement de 2010, les métropoles ont l’obligation de mettre en place un dispositif de « trames vertes et bleues » : « verte » en écho aux milieux naturels et semi-naturels terrestres, « bleue » en référence aux réseaux aquatiques et humides.

Leur but est de préserver une réserve de biodiversité en ville. C’est un outil juridique qui permet aux aménageurs du territoire d’intégrer des stratégies de gestion de la nature, dont l’objectif est de créer des corridors. Esquisser ces trames se fait en cherchant à faire cohabiter les éléments urbains et la biodiversité, afin de construire un dialogue cohérent résumé par une cartographie.

Friche urbaine à Namur en Belgique
Friche urbaine à Namur en Belgique Gilles San Martin

L’histoire de la ville permet de dresser les prémices des tracés : cours d’eau, parcs publics, allées arborées, jardins ouvriers, etc. Le centre de ressources « Trames vertes et bleues » parle toutefois « d’identifier, préserver et relier les espaces importants pour la préservation de la biodiversité par des corridors écologiques ».

Il s’agit par conséquent de valoriser des tracés continus, ce qui exclut de fait les zones isolées, tels que les friches dissimulées dans le tissu urbain.

Les plantes pionnières, couramment nommées « mauvaises herbes », s’installent dans les friches car elles ont la capacité de croître dans des terres perturbées par l’Homme.

Nous ne sommes cependant pas toujours en capacité de prendre conscience que nous sommes intimement liés à leur présence. L’expression « mauvaise herbe » est bien ancrée dans notre langage courant. Elle reflète le rapport péjoratif de notre culture à la nature spontanée et ne favorise pas la valorisation écologique des friches au sein des trames vertes et bleues.

En tout état de cause, la solution pour protéger la biodiversité en ville peut-elle se résumer à une cartographie ? L’action citoyenne ne pourrait-elle pas, elle aussi, participer au sauvetage du végétal urbain ?

Cyril Dion
Nous pouvons agir sans attendre les gouvernements !

S’enfricher ?

De nombreuses friches appartiennent aux villes, Communautés de Communes ou Métropoles.

Ces aménageurs les achètent pour avoir des biens fonciers permettant, à long terme, l’aménagement du territoire (axes routiers, services publics, etc.).

Dans d’autres cas, ils endossent le rôle de spéculateurs et acquièrent des terrains pour les revendre à des promoteurs immobiliers.

Cela étant dit, si les collectivités achètent des terrains, ceux-ci deviennent indirectement un bien commun éphémère. Et si des jardins temporaires voyaient désormais le jour dans ces interstices ?

« Rendez-vous à la friche »

Avec les outils du designer, j’ai ainsi souhaité ouvrir les friches aux citoyens pour faire mieux connaître leur qualité écologique.

C’est dans cette perspective qu’est né fin 2017 « Rendez-vous à la friche ».

Pour ce projet, de nombreux professionnels ont été réunis autour d’un terrain délaissé de 715 mètres carrés appartenant à la Métropole du Grand Nancy : experts du sol, botanistes, experts de plantes comestibles ou encore animateurs nature se sont investis dans une analyse précise de l’environnement.

Celle-ci a abouti à la rédaction d’un cahier des charges concernant l’organisation d’évènements de valorisation de cette friche, dont quatre ont été programmés :

  • Une sortie « découverte des plantes comestibles ».

  • Deux sorties scolaires.

  • Une sortie « découverte de la biodiversité » pour tous publics.

  • Une sortie « découverte de la biodiversité » pour les résidents d’un EHPAD.

Des objets de médiation et des ateliers ont été conçus dans ce cadre, afin d’éveiller la curiosité des visiteurs, mais également de recueillir leurs réactions et leurs savoirs.

Dès lors, la friche perçue d’abord comme un délaissement urbain est devenue, à travers la mise en pratique du design, un vecteur de lien social et de partage de connaissances.

Friche, biodiversité et goût

Plats imaginez pour valoriser la flore des friches
Plats imaginez pour valoriser la flore des friches Aurélie Marzoc

Découvrir les végétaux peut aussi se faire par les papilles gustatives !

Ainsi, au début du printemps, la sortie « découverte des plantes comestibles » a regroupé des curieux de tous âges.

La présentation des plantes et la préparation du menu ont été réalisées en collaboration avec une experte en la matière.

Des supports de médiation, telles que des fiches mémo sur les plantes et de la signalétique spécifique, ont été designés et produits à cette occasion.

Le sureau noir

Sureau noir accroché à une église
Sureau noir accroché à une église Emc2-damvillers

L’un des évènements programmés invitait les participants à découvrir la biodiversité nichée au cœur de la friche, mais aussi celle cachée aux alentours.

Guidés par Stanislas Zaborowski, animateur nature, nous avons exploré un minuscule sous-bois urbain ainsi que des bords de routes bouillonnants de vie, sous un trafic aérien très animé !

Dans le sous-bois, nous avons découvert un grand sureau noir (Sambucus migra L.). Le sureau aime se développer dans les friches, les lisières de forêts et les haies. Un comportement qui lui vaut d’ailleurs beaucoup d’aprioris.

Cette plante vivace se reconnaît par ses fleurs blanches et sa hauteur, pouvant atteindre trois mètres.

Stanislas Zaborowski
Jusqu’au Moyen Âge, ce Prince des décombres était un arbre considéré comme bienfaisant, pour être plus tard rattaché à la sorcellerie, l’arbre auquel se serait pendu Judas,

Dans les cultures celtique et grecque, le sureau était lié à la divinité.

Après avoir contribué au repos de l’âme des défunts, il a donc rejoint la pharmacopée des sorciers. On lui attribue des propriétés laxatives, diurétiques, adoucissantes et dépuratives.

Les fleurs et les baies se consomment. Pour profiter de leurs vertus, on peut les transformer en confiture, vin, macérat huileux, en infusion et en bain.

Attention à ne pas confondre le sureau noir avec son homonyme herbacé toxique, le sureau yèble (Sambucus ebulus L.). Ses feuilles et ses fleurs sont plus allongées et il peut atteindre 1,50 mètre. Il disparaît à l’arrivée de l’hiver.

Friche, biodiversité et jeu

Jeux d'enfants en pleine friche
Jeux d'enfants en pleine friche Aurélie Marzoc

Un enseignement ludique facilite l’assimilation des savoirs.

C’est pour cette raison que j’ai développé plusieurs jeux pour les sorties dédiées aux scolaires (niveaux CP à CE2). À partir de cartes avec illustrations, l’un des jeux créés s’inspire par exemple des chasses aux trésors traditionnelles, transposées aux plantes spontanées du lieu.

L’objectif étant bien sûr de faire découvrir la friche et sa biodiversité aux enfants et de les sensibiliser à leur intérêt au sein de la ville.

Friche, biodiversité et observation

Élaboration d'une fosse pédologique
Élaboration d'une fosse pédologique Aurélie Marzoc

Comprendre les végétaux, c’est également connaître le sol sur lequel ils se développent.

Pour cela, accompagnée d’expertes du sujet, une fosse pédagogique a été ouverte au cœur de la friche. L’intention était de permettre aux publics d’observer ce qui se cache sous le sol urbain.

L’excavation a ainsi révélé différentes strates : les plantes poussaient dans de la terre végétale apportée volontairement par l’homme, recouvrant des couches plus anciennes de remblais de briques, fers à béton et objets divers.

Friche, biodiversité et création

Création d'un herbier
Création d'un herbier Aurélie Marzoc

Valoriser friche et biodiversité, c’est enfin proposer aux visiteurs d’éveiller leur curiosité et leur créativité.

À partir des plantes en présence, des ateliers « cyanotype » ont donc été mis en place. Ce procédé photographique ancien permet d’obtenir un tirage de couleur bleue, d’où affleurent les formes.

Selon le végétal choisi, le résultat peut être approximatif. Ce flou permet de percevoir et d’appréhender les végétaux autrement. Il laisse voir les contours et les subtiles différences de motifs.

Retours d’expériences et perspectives

Ma curiosité pour ces espaces délaissés s’est manifestée relativement tôt dans ma recherche, ce qui m’a permis de construire un projet d’études dans la durée.

J’ai travaillé à la conception du projet durant l’hiver, tout comme l’esquisse d’un potager endormi. Cela a débuté par la constitution du réseau d’experts et son inscription dans une relation de collaboration durable. En parallèle, il a fallu trouver et obtenir la friche !

Celle où j’ai pu organiser les évènements décrits précédemment n’a pas été choisie au hasard : fermée et ancrée à la frontière du quartier historique de la ville et de l’un de ses quartiers de grands ensembles.

La présence d’un muret tout autour de la friche permis de proposer un espace propre, sans dépôt sauvage et de veiller à une sécurité pour les participants, notamment lors des ateliers avec les enfants.

Maquette scénographique
Maquette scénographique Aurélie Marzoc

Par manque de temps, de moyens humains et financiers, certaines des idées nées dans ce contexte n’ont pu être concrétisées. Dans la perspective de pouvoir adapter ces différentes propositions à de nouvelles friches, j’ai élaboré une gamme de mobilier éphémère, transportable et non dommageable pour l’environnement.

Enfin, j’ai imaginé différents dispositifs de scénographie d’espace pour éveiller encore davantage la curiosité des habitants. Il s’agit d’équipements légers sur lesquels seraient installés des cartels d’informations sur la flore et la faune, ainsi que d’imaginer des espaces préservés par des flux de circulation dessinés grâce à des pontons.

L’intention du « mobilier mobile » et d’une scénographie en cohérence avec l’endroit rend possible la transposition de ces actions et outils de sensibilisation à d’autres friches.

Cette idée de renouveler l’aventure ailleurs est moteur pour moi : explorer une nouvelle histoire, un nouveau territoire. Sans forcément aller bien loin géographiquement, de nouvelles choses seraient à apprendre, des relevés botaniques réguliers livreraient une nouvelle flore. Les observations scientifiques du sol, des insectes et des mammifères dévoileraient une écologie propre au lieu.

Une équipe d’organisation pourrait être constituée à cette occasion afin d’enrichir encore le projet et permettre l’élaboration d’une scénographie plus conséquente pour une perception accrue du lieu.

D’autre part, ce projet m’a permis de connaître des structures locales capables d’accompagner des projets de valorisation de la biodiversité. Ce fut aussi l’occasion de connaître des professionnels qui, par leurs démarches personnels ou professionnels, promeuvent la biodiversité. Ce réseau m’a permis de mettre leurs savoirs à contribution.

L’ensemble des ateliers se sont très bien déroulés et j’en ressors avec le sentiment que chaque visiteur a vécu un moment agréable et ludique.

Pour conclure

Actuellement, les villes exploitent les friches pour s’élargir à leurs dépens, ce qui a tendance à les rendre encore plus minérales et étanches en impactant la biodiversité des friches.

Il y a pourtant beaucoup à apprendre sur nous-mêmes à travers les friches urbaines, car leur flore résulte en grande partie des activités humaines.

Il est grand temps d’éveiller les consciences à l’importance de ces zones refuges : pour la biodiversité bien sûr, autant que pour les citoyens qui pourraient de surcroît y trouver des espaces propices au repos, aux activités physiques, aux immersions nature…

L’expérience dont je rends compte ici tend à prouver que la protection de ces fragments de biodiversité urbaine relève bien de l’action citoyenne !

Portrait de l'auteur

Et vous, comment abordez-vous la biodiversité des friches urbaines ?

Commenter

Sensibilisation créative et ludique à des préoccupations environnementales ou scientifiques

Ateliers pédagogiques

Conception et animation d’ateliers pédagogiques et créatifs liant contenu scientifique et culture artistique.

Ateliers pédagogiques

en savoir plus

Les spécialistes du sujet sont sur vos réseaux sociaux préférés

Logo de Métropole Grand Nancy

Métropole Grand Nancy

Logo de Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement

INRAE

Logo de Flore54

Flore54

Logo de Lutopik Magazine

Lutopik Magazine

Portrait de l'auteur

Aurélie Marzoc

Designer indépendante

Diplômée en 2018 d’un double master designer/ingénieur à l’ENSAD de Nancy, ses axes de travail cherchent à valoriser la biodiversité en ville, les interactions nature/humain ainsi que la place à l'écologie dans les stratégies du territoire.

Elle conçoit des objets pédagogiques dont les objectifs sont la diffusion de savoirs sur la biodiversité.

Ses méthodes de conception prennent en compte l'analyse des flux, la place de l'usager et privilégient des matériaux durables, produits localement et issus de filières de l'économie sociale et solidaire.

Vous aimerez aussi

Nous sommes navrés, mais suite à des problèmes techniques, le formulaire d'ajout de nouveaux commentaires est temporairement simplifié.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *