Médicaments et environnement : vautours et étourneaux sous Prozac

Récemment, l’une des crises écologiques les plus tristement célèbres fut l’extinction des vautours en Inde, catastrophe écologique qui a vu s’éteindre en une dizaine d’années plus de 97% de la population de vautours chaugoun (Gyps bengalensis), vautours indiens (Gyps indicus), ainsi que des vautours à long bec (Gyps tenuirostris).

Environ 80 millions de Vautours chaugoun ont disparu, ce qui représente l’extinction la plus rapide d’oiseaux de notre histoire.

Le fait qu’une population si florissante puisse être si rapidement exterminée fut une alerte in extremis des conséquences imprévues de l’entrée des produits pharmaceutiques dans la chaîne alimentaire.

Cette catastrophe rappelle celle du DDT une trentaine d’années plus tôt.

Médicaments et environnement ne semblent pas vraiment faire bon ménage.

Ce que vous allez apprendre

  • Quel impact peuvent avoir les antidépresseurs sur l’environnement
  • Sur quelle base les recherches ont commencé
  • Quelles contraintes restent encore sur le chemin d’une meilleure connaissance de cette problématique
Sylvain Tesson
La pollution est l'ombre du progrès.

Note : Cet article a été rédigé en anglais sous le titre « Science, Vultures and Starlings on Prozac » et traduit en français par Marie-Blanche Llorca et complété par Julien Hoffmann, de DEFI-Écologique.

Médicaments et environnement

Différentes boîtes d'antidépresseurs
Différentes boîtes d'antidépresseurs Victoria L. Welch

C’est en remontant jusqu’à l’utilisation du diclofenac, qui est un anti-inflammatoire administré au bétail, que l’on trouva finalement la raison de l’extinction des vautours en Inde.

D’un tel désastre écologique résulte la nécessité absolue de tester l’impact environnemental de tout produit pharmaceutique à usage médical ou vétérinaire.

Cet été, un groupe de scientifiques de l’état de New-York et du Maryland aux Etats-Unis ont publié une étude sur une nouvelle méthode d’évaluation de la toxicité des produits pharmaceutiques, et plus spécifiquement du Prozac sur les oiseaux.

Comme tous les médicaments prescrits, le Prozac finit par laisser des traces dans nos égouts.

Puisqu’il est impossible à nos stations d’épuration et de traitements des eaux de filtrer tous les produits chimiques, tôt ou tard, de faibles quantités de toutes sortes de médicaments finissent par se répandre dans notre environnement, posant un réel danger de toxicité.

Etant donné que quatre millions de Britanniques et un Américain sur dix prennent une dose quotidienne de Prozac ou d’un équivalent, tout effet secondaire potentiel sur l’environnement nécessite d’être étudié de près.

En France les chiffres sont moins clairs avec une consommation de 50 doses de Prozac pour 1 000 habitants.

Vers une démarche scientifique

Sturnus vulgaris sur mangeoir
Sturnus vulgaris sur mangeoir Andy / Andrew Fogg

L’un des enjeux principaux d’une étude sur la contamination de l’environnement est de trouver exactement quelle quantité d’une drogue donnée finit dans le système digestif de différentes espèces ingérant de la nourriture contaminée par le médicament.

Cet élément, nommé la bioaccessibilité, est compliqué, en partie car les systèmes digestifs de chaque espèce fonctionnent différemment.

Le même médicament peut aussi avoir des effets différents selon l’environnement. Cela signifie, par exemple, qu’un étourneau mangeant un ver de terre issu d’un sol infecté par des eaux usées peut ingérer une dose de médicament différente de celle ingérée par un martin pêcheur se nourrissant de poissons d’une rivière contaminée.

La substance digérée en même temps que le médicament, que ce soit un poisson, de la viande, ou un végétal, a également un impact : certains aliments retiennent plus ou moins le médicament dans les intestins, même si la dose ingérée à la base était la même.

C’est un peu la même chose qui se produit lorsqu’on compare l’ingestion d’une dose donnée d’alcool après un bon repas ou un léger en-cas.

Quand le prozac influence le comportement des étourneaux

Explication de Kate Arnold de l'altération du comportement chez les étourneaux par le prozac présent en milieu naturel. Cette vidéo est en anglais.

Regarder la vidéo sur YouTube

Au vu de la complexité du sujet, il n’est sans doute pas surprenant que la communauté scientifique débatte encore de la meilleure façon d’aborder cette étude de la contamination de l’environnement.

L’été dernier, Dr. Tom Bean, Prof. Alistair Boxallet leurs collègues ont contribué à ce domaine par une étude sur l’action des gésiers et des intestins sur les divers médicaments ingérés par hasard.

Ils ont principalement adapté des méthodes de simulation de la digestion humaine, appelées les expérimentations PBET.

De même que les tests PBET, la méthode utilisée commence avec une dose précise du médicament étudié, avant de simuler les conditions de digestion des gésiers et des intestins pour voir la totalité des effets.

Certains animaux ont un système digestif plus acide que d’autres, ainsi qu’une température corporelle différente.

Tous ces facteurs peuvent avoir un impact différent sur la quantité totale ingérée par les sucs digestifs et ainsi un taux d’absorption final différent selon les espèces.

Pollution des eaux

Canette en aluminium au fond de l'eau
Canette en aluminium au fond de l'eau Domaine public

La pollution des eaux est un sujet à elle seule.

Il existe tellement de formes de polluants en milieux aquatiques que leur liste est déjà longue, alors leurs effets…

Les pathogènes qui proviennent des eaux usées, l’azote et le phosphore des égouts municipaux, les écoulements des villes et le lessivage des terres cultivées en sont les principales sources, les pesticides en tous genres et autres substances toxiques nuisibles (on ne parle pas là d’espèces nuisible) comme les métaux lourds (plomb, mercure) et les hydrocarbures, les pluies acides, et les matières radioactives sont autant de sources de pollutions des eaux.

Et, bien sûr, toutes les molécules provenant de médicaments et qui ont un impact sur les poissons : changements de comportements, abandon des juvéniles ou des larves par les parents, et bien trop d’autres conséquences…

Le protocole

Une partie importante de la digestion d’un oiseau est le gastrolithe (appelé aussi « pierre d’estomac » ou « caillou (ou grit) de gésier »).

C’est pourquoi la nouvelle méthode prend soin d’examiner les effets de différents types de gastrolithes sur le médicament.

L’un étant à base de calcium et l’autre plus siliconé et sableux.

Tandis que le gastrolithe à base de calcium réduit naturellement le taux d’acidité du gésier, on peut s’attendre à ce que l’effet sur la digestion de nourriture contaminée soit différent de celle du gastrolithe siliconé, qui n’a pas les mêmes propriétés.

Cette méthode « PBET » avait été utilisée auparavant pour étudier les effets de métaux lourds sur les oiseaux, mais pas pour les produits pharmaceutiques.

Pour utiliser cette méthode, l’équipe anglo-américaine a élevé des vers dans un sol contaminé par le Prozac, avant de les faire digérer par le simulateur de gésier et d’intestins qu’ils avaient conçu.

Ils ont pris soin d’inclure une petite quantité du sol contaminé, afin de reproduire au mieux la situation à l’état sauvage, où les oiseaux ingèrent généralement une petite quantité de l’environnement dans lequel ils puisent leur nourriture.

Un espoir malgré tout complexe

Personne sautant de joie
Personne sautant de joie Domaine public

Il est facile de s’enthousiasmer d’une nouvelle découverte scientifique, mais une nouvelle méthode ne jouit pas toujours du même succès populaire.

Cependant, il est fréquent que de plus grands progrès découlent de la mise en place d’un nouveau procédé : après tout, une nouvelle technique permet souvent de nombreuses découvertes scientifiques.

La technique PBET a ouvert la voie pour de nombreuses expérimentations et cette dernière étude en date illustre bien son potentiel en simulant l’effet de médicaments sur l’ingestion de nourriture contaminée par les oiseaux.

Ce sont les méthodes comme celle-ci qui pourraient éventuellement permettre d’éviter une autre crise telle que celle des vautours d’Inde. Et du point de vue d’un ami de la nature, c’est une excellente chose !

George W. Bush
Ce n'est pas notre pollution qui attaque l'environnement. Ce sont les impuretés dans notre air et dans notre eau.

Et qu’en est-il du Prozac ?

Les résultats de l’étude ont prédit que le taux de ce médicament dans les sucs digestifs des oiseaux serait similaire à ceux retrouvés dans les sucs digestifs des mammifères, bien que les deux systèmes digestifs opèrent sur le médicament de manière légèrement différente.

Cela signifie par exemple qu’un oiseau qui digère de la nourriture portant des traces de Prozac ingère la même dose qu’un rat qui mangerait la même nourriture.

Pour conclure

Pour d’autres médicaments cependant, l’équation pourrait être différente : les oiseaux pourraient ingérer un taux supérieur aux mammifères, et réciproquement.

Les études sur les relations entre médicaments et environnement seront toujours complexes. C’est pourquoi cette étude en particulier n’est qu’un pas en avant sur ce qui reste à découvrir.

Cependant, du fait de l’importance de la protection de l’environnement, cela reste une avancée qui est la bienvenue. Ne trouvez-vous pas ?

Portrait de l'auteur

Peut-être que d'autres avancées en la matière seraient utiles, mais lesquelles et dans quel ordre d'importance ?

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Portrait de l'auteur

Victoria Neblik

Auteur Scientifique

Dr. Neblik est une ancienne Maître de Conférences en Communication Scientifique et chercheuse biologiste à l'université d'Oxford.

La majorité de ses recherches concernent les insectes et leur coloration. Plus récemment, elle a diversifié ses centres d’intérêts.

Elle travaille maintenant comme auteur scientifique tout en vivant à Jérusalem.

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Une réponse à “Médicaments et environnement : vautours et étourneaux sous Prozac”

  1. Un article plus que intéressant. Merci pour toutes ces précisions…Malgré le fait que ce soit toujours au prix de la « médecine ».

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