En file indienne au milieu des oiseaux

S’accrocher.

S’accrocher pour trouver encore du sauvage en France tant notre pays est mité de centres commerciaux, d’axes routiers, de sinistres lotissements et de champs de maïs. S’accrocher pour trouver des espaces qui ne soient pas réduits à des confettis de Nature. S’accrocher pour trouver des endroits où l’emprise de l’homme se fasse oublier.

Ce que vous allez apprendre

  • Que rien ne sert de désespérer
  • Que le beau est toujours de notre monde
  • Que les oiseaux ont, comme le reste du vivant, beaucoup à nous offrir
Jérôme Fradet
Nous sommes au beau milieu des oiseaux. Ils sont derrière nous, devant nous, au-dessus de nous : partout. Eux, les éclaireurs, témoignent de la Beauté du monde.
La jungle
La jungle Alain Willer

Pourtant, alors même que je croyais tout connaître de ma ville, désespéré de la voir chaque jour un peu plus recouverte d’un sarcophage de bitume, un ami qui consacre sa vie à la défense des oiseaux m’entraîne un jour à quelques centaines de mètres d’un centre commercial. Il nous faut progresser difficilement, l’un derrière l’autre, dans un bois marécageux sous les attaques des moustiques. Traverser une végétation dense. Franchir un cours d’eau, suspendus à un tronc mort. Et nous voilà dans une roselière. Les roseaux arrivent au-dessus de nos têtes, l’air bruisse déjà du chant du loriot et des rousseroles. Quelques faucons hobereaux dans le ciel. Mon ami me montre, à travers la longue-vue, ce que nous sommes venus chercher ;: un couple de hiboux grand ducs. Ce super prédateur, qui a subi tant de persécutions, s’est installé sur une aire de cigognes. Sur le nid, deux jeunes. La roselière ressemble à une forêt vierge, le nid de grands ducs à un temple Maya. Et moi je suis Indiana Jones.

Jérôme Fradet
Prêter l’oreille et s’entraîner chaque jour à reconnaître les multiples cris et chants, comme l’apprentissage d’une langue étrangère. Avant de le voir, on entend l’oiseau. Le monde change ; par le chant on accède à une géographie nouvelle.

Nous sommes au beau milieu des oiseaux. Ils sont derrière nous, devant nous, au-dessus de nous ;: partout. Eux, les éclaireurs, témoignent de la Beauté du monde.

Suivre les oiseaux est un prétexte ;: seule compte la marche d’approche. Il s’agit avant tout de cheminer discrètement. On n’est jamais certain de quel oiseau on verra – et c’est tant mieux. Chaque promenade est une rencontre. En file indienne au milieu des oiseaux, mettre son corps et son âme en mouvement, esquiver les sentiers battus, leur préférer l’art de la fugue.

Observer les oiseaux, vivre un grand spectacle et assister à des scènes vibrantes ;; la surprise est toujours au rendez-vous. C’est explosif, le vol d’un héron, élégant – et, surtout, capricieux ;: battements d’ailes secs et nerveux, changements brusques de direction juste avant de s’évanouir dans la roselière. Le sens du vent ;: le héron, tout comme le vent, est fait de caprices. Inexplicable, le vol, soudain, furtif, du cormoran sur le dos. Sauf par le plaisir qu’il éprouve à jouir sans entrave de sa liberté…Voir jaillir en pleine lumière le rougequeue à front blanc et le gobemouche noir un court instant avant qu’ils n’endossent à nouveau l’ombre striée des feuillages.

La jungle
La jungle Alain Willer

Les oiseaux tracent le chemin, ils sont les Eclaireurs, les derniers Sioux. Ma mémoire secrète est ancrée à leurs passages migratoires ;: quoi de plus émouvant que l’arrivée des martinets noirs au printemps, quoi de plus désolant que leur départ au cœur de l’été ;? Crève-cœur heureusement soulagé par l’arrivée d’autres espèces. Ces va-et-vient rythment les saisons de leurs ailes trépidantes.

Prêter l’oreille et s’entraîner chaque jour à reconnaître les multiples cris et chants, comme l’apprentissage d’une langue étrangère. Avant de le voir, on entend l’oiseau. Le monde change ;; par le chant on accède à une géographie nouvelle. L’espace alentour soudain se peuple des clameurs des nombreuses tribus du ciel. Celle qui est là parce que le milieu est ouvert, cette autre parce que le sol est couvert de rochers et de pelouses rases… Cheminer à leur rythme, deviner quelle espérance se cache derrière les paysages et les saisons ;; ainsi l’hiver peut-on rêver entrevoir le sizerin flammé dans les branches d’un bouleau. Même les cris d’alarme portent une histoire… Le geai n’alerte pas de la même manière si l’intrus qui pénètre son territoire est un prédateur ailé ou terrestre…

Jérôme Fradet
Retrouver l’Indien en soi, retourner à l’essentiel : à suivre les oiseaux, on emprunte des sentiers de chevreaux, de ceux qui serpentent jusqu’à l’infini.

L’oiseau est talisman, amulette de protection. Grâce au talisman, on contre la banalité et on maintient la fatalité à distance. Une plume comme une ode à la vie, un serment avec le pouls du cœur, qui en redemande encore et encore. Regarde le verdier ;: juste une ligne jaune, celle de son aile. Lui aussi passerait presque inaperçu malgré sa couleur vert olive. Mais il y a cette ligne jaune vif, farouche, celle de son aile, frappante lorsqu’il s’envole. Peinture de guerre, on dirait un Iroquois. Peinture de guerre et visage austère. A la mangeoire, il rappelle aux voisins la hauteur de son rang. Le chardonneret, son cousin cheyenne, et le gros-bec, ce Bororo aux ailes ciselées de bleu, lui rappellent quand même qu’eux sont des rivaux avec qui il faut compter.

Combat rituel
Combat rituel Jérôme Fradet

Etre en file indienne au milieu des oiseaux et tisser un talisman. Mettre du vivant autour de soi. C’est comme ça, toutes les passions ne sont pas égales ;: celle pour les oiseaux a ceci de particulier qu’elle rassemble toutes les autres. Le théâtre, la danse et la peinture bien sûr. Et puis aussi, dans nos sociétés qui se rétrécissent et où l’exilé, l’immigré, est systématiquement pointé du doigt, l’oiseau, éternel nomade et navigateur intrépide, nous rappelle l’absurdité des frontières. Parce qu’il est talisman, l’oiseau porte en lui aussi toute une dimension ésotérique ;: il est celui qui permet de déserter la banalité et de nettoyer l’âme de la poussière du quotidien. Le martinet dont le cri fait vibrer nos villes de mai à juillet ;: qui sait donc que cet être de quelques grammes est un aventurier qui mène une existence héroïque ;? Il passe sa vie dans les airs. Il chasse, dort, boit, se reproduit en vol ;; une vie à tire d’ailes. Se familiariser avec les oiseaux, les regarder vivre, se forger une culture naturaliste permet d’aiguiser ses sens et d’accéder ainsi à de hautes sphères, celles des perceptions intimes de la Nature. La culture naturaliste, cette belle culture, cette haute culture…

Jérôme Fradet
Et puis, après tout, l’expressivité des oiseaux ne se lit pas dans leurs yeux. C’est dans leur envol qu’elle se révèle. Etre en file indienne au milieu des oiseaux et les chérir car chez eux tout étonne et tout détonne.

Oiseau ésotérique, oiseau sorcier. Dans son livre L’homme des Haies, Jean-Loup Trassard décrit comment il a vu s’évanouir comme par magie une portée de jeunes perdrix grises qui n’avaient pourtant nul endroit où se cacher et ne savaient pas voler. Tiens tiens, des oiseaux volatilisés…

Surtout ne pas se fier au regard morne de la buse variable perchée sur un poteau en bordure d’autoroute. A l’affût, œil affûté comme une lame, un éclat. Et puis, après tout, l’expressivité des oiseaux ne se lit pas dans leurs yeux. C’est dans leur envol qu’elle se révèle. Etre en file indienne au milieu des oiseaux et les chérir car chez eux tout étonne et tout détonne. Les oiseaux, c’est du vert et du vent ;:

Chanson de nomades afghans
Chanson de nomades afghans

Désarmé,

Retenir son souffle face au rassemblement des œdicnèmes criards,

Rester sensible au grabuge joyeux des moineaux, goulus de vie, et au vol des hirondelles au-dessus des prés un jour de pluie,

Surprendre l’élanion blanc et le faucon émerillon. Se laisser surprendre par la guifette leucoptère qui moucheronne sur l’eau, délicate,

Suivre le hibou des marais dans le ciel vendéen ;: du vent, de l’eau partout et le regarder chalouper dans cette immensité. C’est ainsi ;: le hibou des marais chaloupe tandis que son cousin le busard glisse. Tout est question de nuances dans l’art du vol,

Donner rendez-vous au monticole bleu qui trône en majesté sur les côtes rocheuses de Ramatuelle,

La joie pure dans la poitrine lorsque crient le grand corbeau et le pic noir. C’est primitif, primordial et ça sent la forêt.

Etre seul face à un tichodrome échelette, l’oiseau papillon, sur les ruines d’un château. Un oiseau, ça papillonne aussi. Des ailes rouge vif. Il me chante une chanson de nomades afghans ;:

Chanson de nomades afghans
Je suis la fleur sauvage, je ne dois rien à personne, je vis dans la steppe et partage la nature de l’antilope. Je ne bois que l’eau de pluie et celle de la source, je ne pousse pas dans vos jardins, c’est trop étroit là-bas.
En file indienne avec les oiseaux
En file indienne avec les oiseaux
En file indienne avec les oiseaux
Le printemps est arrivé, le monde va refleurir,
Les rossignols vont à nouveau enchanter la terre.

Pour conclure

Retrouver l’Indien en soi, retourner à l’essentiel ;: à suivre les oiseaux, on emprunte des sentiers de chevreaux, de ceux qui serpentent jusqu’à l’infini.

Et si le merle noir et la fauvette à tête noire continuent à chanter à tue-tête dans nos jardins, en s’alliant au lierre, plante redoutable qui leur offre gîte et couvert mais qui, surtout, tient tête à l’homme, c’est que les tribus oiseaux les ont choisis comme émissaires. Pour faire le lien entre leur monde et le nôtre ;: donner le désir à quelques-uns d’entre nous d’être des passeurs et des interprètes. Garder chevillé au corps le souvenir d’une aube et d’un air saturés du chant des merles alors qu’on marche seul dans la ville. Avec l’espoir, ténu mais vivant, que l’exubérance de la Nature à laquelle notre pays est depuis toujours destiné puisse un jour, enfin ;! faire son retour. Pour que les peintures de guerre de la pie-grièche à poitrine rose et celles du traquet oreillard illuminent à nouveau nos paysages.

Portrait de l'auteur

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Portrait de l'auteur

Jérôme Fradet

Animateur nature

Il a servi pendant vingt ans à l’armée (notamment en qualité d'analyste-rédacteur au ministère de la défense) avant de devenir animateur-nature.

Diplômé de l’Institut national des Langues et Civilisations Orientales (INALCO) en persan et en pashto, il allie deux passions, celle de l’Asie Centrale en général (et de l’Afghanistan en particulier) et celle de la nature sauvage.

Il pratique l’ornithologie au quotidien et est relecteur du blog DEFI-Écologique.

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10 réponses à “En file indienne au milieu des oiseaux”

  1. Merci de cette écriture pleine de poésie. Restons français, si vous le voulez bien. Notre littérature regorge( sans jeu de mots) de strophe, vers etc… à l’honneur des Oiseaux et de Dame Nature.
    Si vous évoquez la littérature afghane, n’hésitez pas à citer les auteurs français tels que Victor Hugo, Baudelaire, Prévert, avec des extraits de texte. Notre civilisation française judéo Chrétienne est belle. Soyez fier d’elle! bien cordialement

  2. Merci Jérôme de nous faire partager vos passions et de dépasser les frontières tracées par les Hommes. Ne restons pas français, nourrissons nous de la diversité et de la richesse des cultures qui est comme un écho à la diversité des chants des oiseaux, de leurs vols, leurs couleurs…

  3. Bonjour,
    Je ne l’ai encore pas dit : J’aime bien vos article. « On » a besoin de ce regard direct, dépouillé de cellules, de neurones, etc. qui font briller la science ailleurs mais ne scelle pas grand’chose entre l’humain et la nature.
    Continuez 🙂

  4. Merci Jérôme pour ce texte en forme de sortie de route. Quel bel éloge de l’invisible pourtant si près de nous, autour de nous au-dessus de nos têtes. Vous restituez parfaitement l’art de la balade, les joies de la contemplation et l’étonnement souvent glorieux de trouver ce que l’on ne cherche pas. La poésie afghane vient couronner de délicatesse vos observations, elle vient nous dire que la nature est sauvage et doit le rester. A notre tour de nous ré-ensauvager.

  5. Merci pour nous rappeler l’importance du contact avec les oiseaux. Pour moi, les plantes sont beaucoup plus faciles à approcher, et la communication avec elle se produit sur plusieurs plantes. Mais les oiseaux les complètent pour l’ouïe et la vue en est toujours un enchantement.

  6. Oui merci pour cette ode à la biodiversité de nos compagnons ailés, ce petit chapelet (pas judéo-chrétien, M.Cheminat, ne vous en déplaise!) des noms inconnus du grand public, dont je fais partie, et qui nous font rêver, mais aussi nous donnent envie de chausser nos bottes de 7 lieues pour aller voir ailleurs s’ils y sont…A cette saison de canicule (j’habite dans le Gard)je mets des coupelles d’eau dans le jardin et j’aperçois aussi, à travers les arbres, tout un défilé empressé d’assoiffés de toutes plumes, le soir il y a 2 hérissons qui viennent aussi!Gratitude… internationale et universelle!

  7. Votre mise en mots m enchante ! Je partage chacun d’autres eux ! Si seulement nous pouvions être plus nombreux à ressentir ces mêmes émotions ; La nature est une bible ! Elle m’apporte souvent une sagesse plus accessible que celle des livres ;
    Imaginez des journées sans aucun cris d’oiseaux ? Glaçant…

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