Depuis longtemps, l’exotisme et l’envie d’ailleurs ont animé l’esprit des Hommes. Découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles cultures, de nouvelles espèces. Malheureusement, avec la démocratisation des voyages (idéologiquement il n’y a rien à y redire, là n’est pas la question), la pression humaine se fait de plus en plus forte sur l'ensemble des territoires.
Le tourisme de masse me met quelque peu mal à l’aise et notamment lorsqu’il marchandise la biodiversité et devient du tourisme animalier. Il devient ainsi de plus en plus fréquent, parmi les activités proposées, de pouvoir interagir directement avec la faune sauvage : tigres, éléphants, dauphins, singes, lions, koala, etc.
Les établissements qui proposent ces divertissements accolent souvent à leur nom des termes comme « sanctuaires, éco-vallée, green ou fair » mais force est de constater qu’il s’agit de toucher, stresser, des espèces sauvages contre leur gré, contre leurs instincts.
Ceux-ci doivent d’ailleurs être le plus souvent brisés pour ne pas mettre en danger les clients. Les animaux ne sont plus alors que de pâles copies de leurs camarades sauvages. Notre plaisir, notre soif de consommation, même s'ils sont guidés par une envie de découvrir la Nature « sauvage », doivent-ils toujours primer sur le respect de cette Nature ? Ne doit-on pas être capable de renoncer ?
Ce que vous allez apprendre
- Le tourisme animalier dépend de la demande, pas de l'offre
- Nombre d'activités touristiques respectueuses de l'environnement sont dans les mêmes mains que ceux qui exploitent la biodiversité
- Une profonde réflexion doit être porté sur ce que nous voulons vraiment
- Renoncer à un plaisir personnel peut être une grande vertu
Arnaud Lardé
Il faut accepter qu’il existe des lieux ou des espèces que nous ne verrons jamais ou que nous ne caresserons jamais.
Des meilleures intentions…
Cet édito sur est pour moi l’occasion d’un mea culpa. L’Homme est faillible, je suis un Homme donc je suis faillible.
J’ai la passion des animaux, celle qui remue vos tripes et qui vous donne envie de parcourir le globe pour aller à leur rencontre. Je profite donc de cet édito pour faire acte de contrition, en vous parlant d’un article paru dans le National Geographic UK dans le numéro de juin 2019.
Intitulé « The Wildlife we see, the suffering we don’t » (« la vie sauvage que nous voyons, les souffrances que nous ignorons »), cet article pointe du doigt ces touristes, souvent dotés des meilleures intentions du monde, qui réalisent leurs rêves de vie sauvage en touchant ici un tigre, là-bas un éléphant ou en se baignant avec des dauphins. Ne nous trompons pas, l’envers du décor est tout autre !
… Au business des animaux
Ces animaux sont une source importante de revenus dans ce que l’on appelle le « business touristique », mais cet argent est sale car les pauvres bougres sont souvent drogués, ont les griffes ou les crocs élimés voire tout simplement ôtés afin d’assurer la protection des clients.
Il faut aussi savoir que ces « vedettes de façade » sont souvent retirées à leurs mères très rapidement, brisées psychologiquement pour en faire de dociles peluches vivantes, ce que dénonce la World Organisation For Animal Health.
Arnaud lardé
Il existe une sorte de label inspiré par un rapport du gouvernement anglais datant de 1965 intitulé : les Cinq libertés
Tout le monde peut s’y faire prendre
En juin dernier, lors d’un séjour à Marrakech, je me suis rendu sur la place Jemaa el Fna. En plus des magnifiques étals de fruits ou d’épices, j’ai découvert des charmeurs de serpents (naïvement, je pensais qu’il s’agissait d’une particularité indienne…). Même si je sais pertinemment que les serpents ne perçoivent, avec leur oreille interne, que les vibrations du sol et sont insensibles à la musique, j’ai commencé à flâner autour de ces charmeurs.
Cobras, vipères heurtantes, couleuvre de Montpellier sont ainsi exposés aux touristes. J’ai tout d’abord eu un mouvement de recul à la vue de ces belles espèces, peu friand de ces pièges à touristes surtout lorsqu’ils sont proposés avec insistance. Mais lorsqu’un de ces charmeurs (qui charment-ils le plus en fait, les serpents ou les touristes ?) s’est approché de moi avec une couleuvre de Montpellier qu’il se proposait de me mettre autour du cou, ma résistance s’est trop vite effritée face à cette opportunité.
J’ai bien vu que la couleuvre était plutôt inerte, pas au meilleur de sa forme. Mais voilà, approcher un cobra, porter une couleuvre de Montpellier ont suffi à me convaincre d’être un touriste irresponsable comme les autres. J’ai bien essayé de me dédouaner en me disant que de toute façon, que je participe ou non à cette mascarade ne changerait pas grand-chose à la situation. Mais, j’ai conservé un arrière-goût de défaite personnelle.
Quelques semaines après mon séjour marocain, l’article de National Geographic a d’abord ravivé ma culpabilité puis il m’a surtout permis de me remettre les idées en place.
Arnaud lardé
Il ne s’agit, une fois de plus, que de la satisfaction immédiate d’un caprice que nos sociétés modernes nous offrent sur un plateau.
Il ne doit pas y avoir de compromission
Nous ne devons, sous aucun prétexte, participer à ces jeux de dupes. Ne nous y trompons pas, comme dans tout commerce, il n’y a d’offre que s’il y a demande.
Les réseaux sociaux ont, depuis quelques années, largement contribué à la diffusion de ce tourisme animalier par la volonté de chacun d’immortaliser ce souvenir de cajoler un tigre inerte. Il s’agit en fait et surtout de partager cette photo le plus vite possible sur ses réseaux afin de montrer aux « amis » et autres followers, la richesse de nos vacances.
De nombreux pays, où la législation en termes de droits des animaux (sans parler des droits humains !) est assez floue, proposent ces activités. Thaïlande ou Inde pour les tigres, éléphants ou encore les singes. Brésil pour toucher les dauphins de l’Amazone. Pérou pour découvrir les fourmiliers géants ou encore Russie avec des delphinariums itinérants où dauphins et bélougas s’ébattent dans ce qui n’est finalement qu’une grande baignoire.
Vers une prise de conscience des pièges du tourisme animalier
De plus en plus de touristes prennent conscience de ce problème tant éthique qu’économique et se renseignent sur le bien-fondé de ceux qui proposent ces activités. Ils optent alors pour des centres types « Elephant Eco Valley : où les éléphants sont entre de bonnes mains ». Là-bas, il n’est pas possible de monter sur le dos des éléphants, d’assister à des spectacles où le pachyderme fait de la peinture (disponible en vente après bien sûr), activité pour laquelle il a été conditionné depuis tout petit. Les visiteurs peuvent seulement voir les animaux dans un parc.
Cela semble bien plus respectueux de la vie sauvage et du bien-être des animaux. Malheureusement ce n’est pas le cas. D’abord, ce n’est pas, par définition, de la vie sauvage puisqu’ils sont en captivité. De plus, beaucoup de ces pachydermes, par exemple, sont utilisés également en toute discrétion pour les spectacles d’autres centres. Enfin, ce que les touristes ignorent, c’est que ces « écocentres » appartiennent aux mêmes personnes qui proposent les activités moins flatteuses dont nous parlions.
Ainsi, en essayant de participer à une démarche écoresponsable, nous ne faisons qu’entretenir un engrenage dont le rouage final est toujours l’exploitation et la souffrance d’espèces sauvages… ainsi que la contribution à leur extinction !
Arnaud lardé
Quand on y réfléchit bien, qu’apporte à nos vies une photo de soi-même derrière un tigre ?
Des idées pour encadrer le tourisme animalier ?
Il existe quelques moyens, pas toujours évidents pour se renseigner sur la nature de l’activité proposée et éviter de tomber dans les travers du tourisme animalier.
La seule possibilité est déjà, me semble-t-il, de ne participer qu’à une observation en pleine nature et à distance de l’espèce convoitée. Il existe une sorte de label inspiré par un rapport du gouvernement anglais datant de 1965 intitulé « Les cinq libertés » :
Liberté de manger et boire sans contrainte.
Liberté de ne pas subir d’inconfort : l’environnement de l’animal doit être adapté, avoir un abri, de l’espace, un lieu où se reposer loin des observateurs, etc. En gros, être dans son milieu naturel !
Liberté de ne pas subir de douleur, de blessure ou de maladie.
Liberté d’exprimer un comportement normal : pas de « performance », de tour sur son dos, etc.
Liberté de ne pas ressentir de peur ou de détresse : les pratiques de dressage résultent le plus souvent de séparation mère-enfant précoce, de brimade psychologique quand ce n’est pas physique.
Ces engagements à respecter pourraient être revus à la lumière des avancées en termes de connaissances scientifiques. Les pratiques ont beaucoup évolué depuis 1965 !
Néanmoins, en se posant ces questions, on peut déjà éliminer un bon nombre de mauvais élèves. Le site « Wildlife Watch » fournit également nombre d’informations. Il n’existe en revanche pas de site facilement accessible et référençant officiellement les lieux ne respectant pas ces cinq libertés. Ou alors une liste ce ceux les respectant, ça serait plus rapide !
Faire différemment ou ne pas faire du tout !
Au final, j’aimerais vous renvoyer à mon article précédent dans lequel je discutais de la hiérarchie l’Homme impose sans cesse sur les autres « animaux ». Au XXIe siècle, il devient « facile » de voyager partout dans le monde et donc d’aller visiter des lieux autrefois inaccessibles. Ainsi, pour beaucoup d’entre nous qui sommes sensibles au respect de l’environnement, de la biodiversité, il devient difficile de résister à l’appel de l’exotisme.
Après des heures d’avion, avoir traversé le globe au prix d’un sacrifice financier important, la réaction est parfois « je n’ai pas fait 10 000 kilomètres pour refuser de monter sur un éléphant, et puis tout le monde le fait ». Je pense qu’il faut accepter qu’il existe des lieux ou des espèces que nous ne verrons jamais ou que nous ne caresserons jamais.
Évidemment, qui ne rêverait pas de faire un câlin à un tigre, ou mieux un bébé tigre ? Mais voilà, ils ne sont pas là pour notre bon plaisir et les savoir protégés et en liberté devrait suffire à notre bonheur.
Il est déjà possible de voir beaucoup d’espèces dans nos zoos (la pertinence de certains zoos est un autre débat, peut-être y reviendrons-nous) pour ne pas aller les chercher dans leur milieu naturel. De plus, les reportages, chaînes de TV spécialisées sont suffisamment nombreux et de qualité pour découvrir ces espèces.
Ce n’est pas parce que notre argent peut nous permettre d’accéder à d’innombrables loisirs que ceux-ci sont légitimes pour autant.
Pour conclure
Il faut savoir renoncer à un plaisir personnel pour briser cette chaîne d’offres et de demandes.
Et quand on y réfléchit bien, qu’apporte à nos vies une photo de soi-même derrière un tigre ? Ou d’avoir porté un serpent ? Doit-on se sentir courageux, privilégié, ressentir un sentiment de puissance ?
Après cet instant fugace, nous ne sommes au fond ni plus heureux, ni plus comblés. Il ne s’agit, une fois de plus, que de la satisfaction immédiate d’un caprice que nos sociétés modernes nous offrent sur un plateau.
Pour celles et ceux qui le désirent, il existe bien des sanctuaires, associations ou fondations pour lesquels il est possible de s’engager pour concilier plaisir de découvrir et respect de la Nature. Comment pratiquer un tourisme responsable ? S'interroger sur les droits des animaux ? S'interroger sur sa position de citoyen, de touriste ?
CommenterPrémunissez-vous contre les écueils habituels de montage de projets de protection des espèces
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Reporterre
Arnaud Lardé
Professeur agrégé en SVT
Professeur agrégé en Sciences de la Vie et de la Terre au Lycée Thibaut de Champagne à Provins depuis 2006.
Pur produit de la faculté des Sciences de Marseille, il tient sa vocation de sa passion pour la nature en général et la zoologie en particulier. Il transmet également sa passion en Anglais puisqu’il est responsable d’une section européenne.
Il participe également régulièrement la revue Espèces par la rédaction d’articles scientifiques de vulgarisation.
100 % d’accord avec tous ça, mais j’ai bien peur, malheureusement, que l’exprimer ne change pas grand chose. Et pourquoi s’arrêter aux animaux exotiques ? Quand on voit tous les jours des êtres humains ACHETER des chiens et des chats à des prix exorbitants alors qu’ils y en a tant dans les refuges qui attendent un peu d’affection ! Qui n’a pas succombé à l’exigence du petit dernier qui réclame à corps et à cris l’achat d’une tortue de « floride » (4,5 millions de vendues en 10 avant l’interdiction de l’espèce mais pas de leurs consœurs), d’un hamster, d’un lapin ?
Le tourisme « nature » est certes négatif pour la vie sauvage (mais relativement limité par le coût), mais celui de l’animal de « compagnie » est bien plus néfaste pour le bien être des autres espèces animales que la notre.
Mais je ne veux pas être rabat joie, c’est tellement « humain » de considérer les autres formes de vie pour des objets de consommation.
Bien amicalement
Jean Louis
(irrémédiablement déçu par ses semblables)
bonjour, merci de votre message;
je souscris à votre propos; je ne parlais que du tourisme exotique (je ne pouvais malheureusement pas être exhaustif) mais vous avez raison de parler du même type de constat au niveau « local »; cela ramène à chaque fois à notre comportement de consommateur face à la Nature.
bien cordialement
Arnaud
Bonjour
Je vous invite à vous rendre encore cette semaine à Perpignan ou sur le site internet de Visa pour l’image, le plus grand festival de Photo journalisme.
Les deux expositions de KIRSTEN LUCE sur la face cachée du tourisme de la faune et de BRENT STIRTON sur les Rangers y sont présentées avec ,cette dernière semaine , la présence des deux photos-reporters.
merci beaucoup pour l’information, j’imagine que cela illustre mon propos avec en plus les personnes qui s’impliquent pour la protection de la biodiversité comme les Rangers;
bien cordialement
Arnaud Lardé
Bonsoir à tous
Exprimer les choses est le point de départ de toute contestation, sinon autant rester au coin du feu et passer son à maudire le monde qui est peuplé de méchants, ce qui au passage, nous positionne au-dessus de la mêlée. J’aime l’authenticité du propos, la remise en cause de sa propre histoire, une sorte de psychanalyse bienvenue, tout cela je suppose dans une vie bien remplie, je vous encourage à continuer, votre texte est vivant, nous sommes vivants. A bientôt marc spaccesi