Le « Zéro Phyto », c’est demain !

Tout agent, de tout service espaces verts, de toute ville de France possède désormais, bien ancré au fond de l’oreille, la terminologie « Zéro phyto », ou « 0 phyto » ou encore « 0% phyto » !

Les chefs de services sont en ébullition et multiplient les concertations avec leurs élus référents, enclenchant pour les plus chanceux d’entre eux la mise en œuvre assumée de nouveaux modes opératoires et, pour les autres, de subtils bras-de-fers lors de joutes verbales caractéristiques de trop nombreuses et interminables réunions.

Ce que vous allez apprendre

  • Ce qu’est le « zéro phyto »
  • Depuis quand les démarches de gestion durable sont apparues
  • Quels sont les enjeux et les entraves à la suppression des produits phytosanitaires dans nos villes
  • Quelles solutions peuvent être mises en œuvre
Gilles Clément
Jardiner, c'est résister !

Une histoire d’écologie urbaine

Végétation spontanée en cimetière
Végétation spontanée en cimetière Dinkum

La loi Labbé, adoptée en février 2014, fixe deux échéances : le 1er Janvier 2020, les collectivités territoriales seront dans l’impossibilité d’utiliser tout produit phytosanitaire.

Ces mêmes produits seront interdits à la vente au grand public à l’horizon 2022. Mais en intégrant cette mesure à la loi relative à la transition énergétique, voilà que ce terme se trouve avancé… au 1er janvier 2017 pour les collectivités.

On comprend mieux alors l’état d’urgence des techniciens et le désarroi qui peut régner dans les services où les démarches environnementales sont restées au point mort.

Pourtant, la profession au sens large peut se targuer d’avoir mis en œuvre, depuis plusieurs décennies maintenant, un grand nombre d’initiatives visant à assurer une gestion durable des espaces verts.

Sans réécrire l’histoire de la pensée environnementale, il est toutefois utile de rappeler que le Canada a mis en place des pratiques écologiques et pédagogiques dans ses espaces publics dès les années 1970 ; époque où l’on voit également apparaître le concept d’écologie urbaine dans les revues spécialisées.

Une petite dizaine d’années plus tard, les pays pionniers de l’Europe du Nord établissent les premières actions de gestion différenciée.

Le début des années 1980 voit fleurir un certain nombre de démarches remarquables parmi lesquelles nous pourrions citer la ville de Rennes qui aborde la gestion naturelle non pas par le biais de la technique, de l’esthétique ou du fonctionnel mais par le biologique et le scientifique.

La notion d’écosystème fait son entrée dans la ville.

Orléans, Montpellier ou Nantes font partie des villes-pilotes qui ouvrent la voie d’une pensée nouvelle, ce qui aboutira au colloque de Strasbourg en 1994, sur le thème de la gestion différenciée.

Ce concept fut ainsi définit comme « une nouvelle approche où la défense de notre environnement n’est pas seulement basée sur une autre technicité, mais sur la notion de diversité et, par là-même, sur l’idée de respect et d’intégration des différences. »

La gestion différenciée place donc la biodiversité au cœur de la réflexion de par :

Le saviez-vous ?

Arrosage de pelouse
Arrosage de pelouse Domaine public

L’arrosage d’un mètre carré de gazon dans le sud de la France nécessite environ 1 000 litres d’eau par an ainsi qu’une tonte hebdomadaire.

Une herbe spontanée est verte au printemps, sèche en été et reverdit à l’automne.

Ne serait-il pas temps d’accepter que nos espaces verts et nos jardins soient jaunes durant deux mois de l’année ?

Dans la continuité, bon nombre de paysagistes s’emparent de ces concepts et élargissent la réflexion à l’ensemble des métiers du paysage et ce, dès la conception de nouveaux espaces.

Le « Jardin en mouvement » (G.Clément), apparu dans la création des jardins sériels au parc André Citroën, la « Gestion harmonique » (A. Samel), les « Parcs forestiers et naturalistes » (M. Corajoud)… sont des créations qui rendent le statut de la mauvaise herbe de plus en plus flou.

C’est ainsi que se multiplièrent de remarquables initiatives, tant pour des espaces publics que pour des résidences privées.

Relayées tantôt par les élus locaux, tantôt par la société civile, le monde associatif ou encore les comités de quartiers. Les jardins pédagogiques se développèrent tout comme les jardins collectifs et le retour en force des jardins ouvriers…

Mais alors, si la conscience écologique semble se consolider à l’orée du XXIe siècle, pour quelles raisons la loi Labbé et le « zéro phyto » rendent-ils nos élus et nos techniciens si fiévreux ?

Du plan de désherbage au zéro phyto : logique… en théorie

Zone de fauchage tardif au lycée Pasteur Lille
Zone de fauchage tardif au lycée Pasteur Lille Lamiot

Nous avons pourtant aujourd’hui suffisamment de recul positif sur de nombreuses pratiques alternatives et les expériences continuent en permanence aux quatre coins de nos régions.

Plus de la moitié des villes du territoire national semblent avoir considérablement réduit l’emploi de pesticides durant ces cinq dernières années (les sources et les statistiques divergent).

Plusieurs centaines de villes ont déjà atteint l’objectif zéro phyto.

Malgré tout, qu’adviendra-t-il des villes où la conscience environnementale n’est pas même restée au niveau des pâquerettes ?

Prenons l’exemple de la ville d’Apt, en Vaucluse. Cette sous-préfecture de 12 000 habitants est située au cœur du parc naturel du Luberon, région éminemment touristique, aux paysages grandioses et soleil provençal.

Malgré cette carte postale méridionale, la ville d’Apt peine à trouver une orientation cohérente en terme de gestion des espaces publics.

Pourtant, quelques tentatives furent entreprises ces dernières années : essais d’implantation de prairies fleuries aux abords de certains grands carrefours giratoires, diminution de l’emploi de glyphosate, diminution du fleurissement annuel au profit de plantes vivaces moins gourmandes en eau, etc.

En 2012, la ville s’est dotée d’un plan de désherbage, diagnostic et étude réalisés par une société spécialisée.

Ce document a vocation à recenser l’ensemble des espaces du territoire, les classifier par zones et y affecter des modes d’intervention adaptés.

En résumé, il en résulte une suppression de l’herbe manuellement en centre historique et une acceptation progressive des délaissés enherbés aux périphéries.

Cette conclusion, aussi louable et légitime soit-elle, pose deux difficultés majeures : la baisse des budgets et par conséquent des effectifs, ainsi que le manque de volonté politique nécessaire au changement de regard des habitants sur la végétation spontanée.

En effet, la diminution considérable des dotations de l’État engendre l’impossibilité pour les services espaces verts de recruter une main-d’œuvre saisonnière permettant le désherbage manuel.

Il est essentiel de supprimer l’emploi de désherbant, mais encore faut-il pouvoir mettre des agents derrière la binette !

Par ailleurs, les heures passées à lutter contre les herbes ne seront pas dédiées à l’arrosage et à la tonte.

C’est donc bien un changement radical dans la gestion des espaces verts qu’il conviendrait d’engager.

Cette mutation ne pourrait se faire que par une volonté politique affirmée, capable de mettre en œuvre une communication claire, efficace et systématique.

L’acceptation de l’herbe en ville n’est certes pas une initiative des plus électoralistes et de telles actions ne pourront recevoir l’approbation de la population qu’à grands renforts d’interventions informatives et pédagogiques.

Le danger réside souvent dans la demi-mesure.

Pour reprendre l’exemple des prairies fleuries aux périphéries de la ville d’Apt, cette action aurait pu être une vraie réussite si ordre n’avait pas été donné de tout faucher à la fin du mois de juillet, et empêcher ainsi la dispersion des graines, source de renouvellement de la prairie l’année suivante.

Cette anecdote a pour unique but d’illustrer les relations parfois complexes entre techniciens et élus d’une part et élus et population d’autre part.

William Shakespeare
Le personnage que nous sommes, c’est un jardin, et notre volonté le cultive.

La formation, l’une des clefs de la réussite ?

jardin sec mucem de marseille
Jardin sec mucem de marseille Emmanuel Malaret

Malgré tout, de plus en plus de villes exigent de leur responsable espaces verts un positionnement vers des solutions alternatives aux traitements et aux fleurissements annuels.

Par conscience environnementale pour certaines d’entre elles, mais surtout parce que la baisse des budgets de fonctionnement entraine inévitablement un questionnement sur les modes de gestion.

Et c’est exactement le phénomène qui a eu lieu dans les années 1980 et qui a amené aux réflexions sur l’écologie urbaine et la gestion différenciée.

Par contre, l’avantage de notre période actuelle réside dans le retour d’expérience dont nous disposons sur un grand nombre d’initiatives.

Il aura pourtant fallu attendre près de 30 ans pour que l’enseignement agricole commence à remettre en question ses préceptes éculés, hérités du monde agricole productiviste.

Aujourd’hui, la « demande environnementale » s’est fort heureusement généralisée et devient un critère de sélection lors des marchés publics, elle apparaît dans les cahiers des charges, dans les plaquettes des offices de tourisme, dans les panneaux publicitaires… et surtout dans les catalogues de formation.

Nous touchons là l’un des points essentiels de la réussite à la mise en œuvre d’une politique locale de préservation de notre cadre de vie.

En effet, quand bien même la volonté des élus et des responsables de services culminerait au sommet de la conscience environnementale, encore faudrait-il concrètement mettre en œuvre les actions de terrain avec une efficience suffisante à convaincre les administrés.

Il devient alors nécessaire de sensibiliser les agents aux pratiques alternatives et, dans une certaine mesure, les obliger à « désapprendre » un métier pour en apprendre un nouveau.

Oublier le métier de « technicien de surface » pour devenir des jardiniers, observateurs et botanistes !

Pour conclure

S’il est essentiel de changer le regard de la population sur l’herbe, il appartient aussi aux agents de collectivités de reconsidérer les délaissés, les friches, les bas-côtés, les fossés, etc. comme des zones d’une grande richesse en terme de biodiversité.

Ce que Gilles Clément a nommé « Le tiers-paysage », en référence au tiers état, et qu’il convient désormais pour nous tous d’encourager, de contempler et d’accueillir.

Des idées pour arriver à nos fins ?

Portrait de l'auteur

Quel avenir pour le «?Zéro Phyto?», d'après vous ?

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Portrait de l'auteur

Emmanuel Malaret

Gestionnaire du patrimoine espaces naturels et espaces verts — Ville de Saintes

Paysagiste, géographe, graphiste, jardinier.

Auparavant responsable du bureau d’études de la ville d’Apt de 2012 à 2019.

Auparavant responsable du bureau d’étude d’ingénierie culturelle « Au Fil du Temps » notamment sur les thématiques paysagères et environnementales.

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4 réponses à “Le « Zéro Phyto », c’est demain !”

  1. Tres joli article qui néanmoins ne donne pas une idée trés juste de la situation qui est celle que nous vivons réellement. Si il reste trés interressant de developper des concepts et des paradigme differents de ce que nous avions jusqu’a maintenant ( par exemple comme le concept de « tiers paysage » comme developpé dans l’article) la situation institutionelle des phytos dans notre pays est loin d’etre aussi idyllique puisque l’arrêté pris par le ministère de l’Agriculture pour empêcher les pulvérisations de pesticides par grand vent vient d’être abrogé par le Conseil d’État. C’est un recul net. C’est trés joli de developper les « tiers paysage » (representant au mieux et à vu de nez 3% de la surface de ce pays…) mais si vous ne voulez pas faire passer ces heureuses initiatives pour de la schizophrenie avérée ou de « l’ecolo-tartufferie » il serai bon de rappeller et de dire quelle est la situation sanitaire des phyto pour 80 % de la SAU de ce pays… https://resistanceinventerre.wordpress.com/2016/07/23/cest-pour-notre-pomme/

    • Bonjour, et merci de votre intervention ! Je pense que l’on aurait gagné à mettre un titre plus clair quant au fait qu’on abordait là le paysage urbain. Nous savons effectivement qu’en ce qui concerne la surface agricole utile ou même l’évolution des IFT en règle générale sans compter le background institutionnel en matière agricole sur le sujet du phytosanitaire, on est loin de faire des progrès. Sans pour autant cautionner, loin de là, faut-il cependant dresser un tableau totalement noir ? Nous ne le pensons pas… Et souhaitions surtout aborder le fait qu’il existe des possibilités quant aux services des espaces verts urbain (un chaînon en somme) de conduire différemment leurs travaux sur le sujet. Des personnes de terrain, au bout du système décisionnel qui pourtant s’attellent à la tâche dans le concret, on a connu pire. Peut être voudriez-vous aborder le sujet chez nous à travers un article dont on peut discuter ?

  2. Bonjour, Et merci de faire tourner votre article par ailleurs très intéressant. Je pense qu’il intéressera nos lecteurs ! N’hésitez pas à faire tourner également le notre.

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