Il est assez rare qu’on choisisse d’allaiter son enfant pour des raisons écologiques.
Et pourtant… une comparaison rapide entre l’allaitement au sein et l’alimentation avec un lait infantile (nom officiel : préparation commerciale pour nourrissons, PCN ou PPN) montre une différence de taille pour ce qui est de l’empreinte carbone de l’un et de l’autre.
Ce que vous allez apprendre
- Que est l'impact écologique du lait en poudre
- Quels sont les nombreux avantages écologiques du lait maternel
- Qu'allaiter son enfant permet de lutter contre la pollution de l'air
Claude Didierjean-Jouveau
On peut dire que le lait de femme est une ressource naturelle mondiale à protéger : il est fabriqué par les mères dans les quantités exactes que réclament les bébés, sans gaspillage et sans peser sur l’environnement.
Empreinte carbone et allaitement
Une étude parue en 2019, financée par l’OMS et l’Université suédoise des sciences agricoles, a ainsi calculé que l’allaitement avait une empreinte carbone systématiquement inférieure à celle des substituts du lait maternel.
Cela était vrai pour les quatre pays étudiés (Royaume-Uni, Chine, Brésil et Vietnam), où l’impact de l’allaitement était respectivement de 40%, 53%, 43% et 46% inférieur à celui résultant de l’utilisation de laits infantiles. Sachant que « cette étude a uniquement évalué l’impact sur le climat de différentes approches en matière d’alimentation infantile, mais [que] la production alimentaire a également une incidence sur l’environnement dans de nombreux autres domaines, notamment via la pollution et la contamination des cours d’eau et des sols, la perte de biodiversité et l’utilisation de ressources limitées ou non renouvelables telles que la terre, l’eau et les combustibles fossiles (sujets justement abordés dans la suite de cet article). Dans l’idéal, une comparaison complète de l’impact environnemental de l’allaitement et des laits industriels devrait en tenir compte ».
Nicole Petit-Maire
Le premier biberon réchauffé, c’est la première contribution de chaque bébé à la pollution de l’atmosphère.
« Mammifère », de Marion Cadet
Les illustrations de cet article sont issues du livre « Mammifère », de Marion Cadet aux éditions « Le Hêtre Myriadis », avec leurs aimables autorisations.
Dans cet ouvrage, retrouvez de magnifiques aquarelles accompagnées d’informations étonnantes à propos des diverses manières dont les femelles du règne animal allaitent leurs petits.
Chaque page contient également de courtes phrases présentant tous les bienfaits de l’allaitement.
CO2 et préparations pour nourrissons
Une autre étude, publiée en 2020, constatait qu’en 2016, « les émissions de gaz à effet de serre en Amérique du Nord (en tonnes d’équivalent CO2) attribuables aux ventes de préparations pour nourrissons (PPN) étaient de 70 256 tonnes pour le Canada, 435 820 tonnes pour le Mexique, et 655 956 tonnes pour les États-Unis. En se basant sur la consommation de PPN de la naissance à 36 mois, cela représentait au minimum 59,06 kilogrammes d’équivalent CO2 par habitant. »
D’après une troisième étude publiée en 2021, les préparations pour nourrissons vendus en 2012 dans 6 pays de la zone Asie-Pacifique (Australie, Chine, Corée du Sud, Inde, Malaisie, Philippines) ont été à l’origine de l’émission de 2 893 030 tonnes d’équivalents CO2 de gaz à effet de serre. Les « laits de suite » (ou laits deuxième âge), qui représentaient la majorité des ventes de PPN dans ces pays, étaient les principaux contributeurs à l’émission de ces gaz. Les projections à partir de ces chiffres pour 2017 étaient de 4 219 052 tonnes d’équivalents CO2 pour les PPN vendus rien qu’en Chine.
Claude Didierjean-Jouveau
En se basant sur la consommation de PPN de la naissance à 36 mois, cela représentait au minimum 59,06 kilogrammes d’équivalent CO2 par habitant.
Allaitement et climat
En l’an 2000, la spécialiste en paléoclimatologie Nicole Petit-Maire, déclarait : « Depuis le début du siècle, la température moyenne a augmenté de 1° Celsius sur les continents et de 0,6° Celsius sur les océans. Lorsqu’on voit sur nos cartes les bouleversements écologiques provoqués par une si petite différence de température, on peut se rendre compte que, s’il ne modifie pas profondément sa façon d’agir, l’homme risque d’aller vers la catastrophe. Le premier biberon réchauffé, c’est la première contribution de chaque bébé à la pollution de l’atmosphère. »
Que dirait-elle plus de 20 ans après, alors que l’ONU parle aujourd’hui d’un « chemin catastrophique vers 2,7° Celsius de réchauffement » ?
L’allaitement (ou plutôt le non-allaitement ou l’alimentation aux PCN) a bien un impact environnemental, et ce dans de nombreux domaines : conversion énergétique, pollution, déforestation, démographie, etc.
Claude Didierjean-Jouveau
Il faut 4700 litres d’eau pour fabriquer un kilogramme de lait en poudre !
Et si lait datait d’avant les mammifères ?
Toute femme qui allaite ou a allaité sait bien que l’allaitement, c’est bien plus qu’alimentaire. C’est une relation intime entre la mère et son bébé, qui mobilise tous les sens de l’un comme de l’autre et les immerge tous deux dans un bain d’« hormones de l’amour » (prolactine et ocytocine).
Mais c’est aussi, et de très nombreuses études le démontrent jour après jour, ce que la Nature a prévu pour aider à la construction du système immunitaire du petit humain. Et cela ne date pas d’hier puisque l’on pense pouvoir faire remonter cela aux ancêtres des mammifères, chez qui existaient des sécrétions proto-lactées destinées à tuer les bactéries dans le nid et à la surface des œufs.
Sécrétées par des glandes cutanées, elles augmentaient les chances de survie des œufs et des petits une fois éclos, lesquels devaient alors aussi ingérer ces sécrétions, qui les aidaient sans doute à optimiser leur flore intestinale :
« Suite à des évolutions dues au partage et à la duplication de gènes, deux de ces enzymes anti-microbiens, XOR (xanthine oxidoreductase) et le lysozyme, ont développé des rôles supplémentaires dans l’épithélium mammaire, entraînant la sécrétion de gouttelettes de gras, la présence d’une protéine de petit-lait et de sucre, et l’accumulation d’eau. La présence dans un fluide corporel de ces composants nutritionnels majeurs et de sources de calories a donné au lait une valeur nutritionnelle unique en plus de son rôle protecteur immunologique. »
Les mammifères sont les seuls êtres vivants à nourrir leurs petits grâce à un fluide nutritif complexe élaboré dans des glandes cutanées élaborées. Mais à l’origine, ce fluide n’était pas une nourriture, mais plutôt une sorte d’antibiotique naturel.
Et en devenant une nourriture, il a gardé ses propriétés anti-infectieuses d’origine, et son rôle de constructeur du système immunitaire. On peut donc dire à juste titre que le lait maternel est le premier et le meilleur des alicaments !
Claude Didierjean-Jouveau
La production d’un kilogramme de lait en poudre au Mexique coûte 12,5 mètre carré de forêt tropicale.
Une immense chaîne de production
Tout d’abord, c’est le plus évident, l’allaitement abaisse les besoins en produits laitiers. Or l’on sait combien l’élevage a une empreinte carbone importante. Dans un rapport publié en 2013, la FAO estimait que l’élevage est responsable d’environ 14,5% des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine.
Il abaisse également les besoins en matières premières et les pollutions induites par la fabrication, le transport et l’utilisation des laits industriels pour nourrissons. Savez-vous par exemple qu’il faut environ 940 litres d’eau pour produire un kilogramme de lait entier liquide. Un kilo de lait donnant 200 grammes de lait en poudre, il faut donc 4 700 litres d’eau pour fabriquer un kilogramme de lait en poudre !
Il faut de l’eau pour fabriquer le lait en poudre. Il en faut aussi pour l’utiliser, que ce soit pour diluer la poudre ou pour nettoyer biberons et tétines.
Il faut de l’énergie pour fabriquer le lait en poudre, il en faut aussi pour l’utiliser, essentiellement pour chauffer l’eau avec lequel on va le diluer. Dans les pays non industrialisés, on utilise souvent du bois pour ce faire. On estime que pour chaque bébé nourri aux PCN, cela nécessite 73 kilogrammes de bois par an. Côté fabrication, une étude a estimé que la production d’un kilogramme de lait en poudre au Mexique coûte 12,5 mètre carré de forêt tropicale.
Les laits infantiles contiennent pratiquement tous de l’huile de palme qui, de par son mode de production et la déforestation qu’elle induit, est une menace majeure pour l’environnement.
Les emballages (en métal, aluminium, papier, plastique) des laits industriels utilisent des matières premières et créent des déchets, souvent polluants et non biodégradables (voir la catastrophe que représentent les déchets de plastique dans les océans et ailleurs). On estime que pour 3 millions de bébés nourris au biberon, 450 millions de boîtes de lait sont utilisées chaque année, ce qui représente des dizaines de milliers de tonnes de métal et de carton.
Claude Didierjean-Jouveau
On peut dire à juste titre que le lait maternel est le premier et le meilleur des alicaments !
Au contraire, l’emballage du lait de femme, en plus d’être esthétique, est réutilisable à l’infini ! Et il sert à la fois d’emballage et de distributeur du produit !
Et concernant la pollution plastique, qui dit lait infantile dit également biberon, presque toujours en plastique. Or selon une étude faite par des chercheurs du Trinity College de Dublin(10), les biberons en polypropylène libéreraient une quantité impressionnante de microparticules absorbées ensuite par les bébés : d’après leurs calculs pour 48 régions du monde, l’absorption quotidienne moyenne par chaque enfant serait de 1,58 million de particules, avec des variations régionales qui s’expliquent par la fréquence de l’allaitement maternel, la consommation journalière de lait et des préférences plus ou moins marquées pour les bouteilles en plastique.
Claude Didierjean-Jouveau
Les biberons en polypropylène libéreraient une quantité impressionnante de microparticules absorbées ensuite par les bébés.
Des impacts positifs « collatéraux » sur l’environnement
Dans la mesure où il diminue la prévalence des maladies, l’allaitement diminue aussi l’utilisation de médicaments, qui sont une source de pollution bien connue. Ainsi, dans une étude qui a suivi plus de 40 000 enfants de 5 mois à 2 ans, ceux qui avaient été en allaitement mixte avaient reçu 106 traitements antibiotiques supplémentaires par 1 000 enfants par année, par rapport à ceux qui avaient été allaités exclusivement : c’était 138 traitements supplémentaires par 1 000 enfants par année pour ceux qui n’avaient eu que du lait artificiel.
L’allaitement est en outre, grâce à l’aménorrhée lactationnelle, un facteur de régulation démographique. Je ne suis pas d’accord pour dire que ne pas faire d’enfants fait partie du combat écologique, mais en faire moins et limiter l’explosion démographique en fait sans doute partie. Et cette aménorrhée lactationnelle, en retardant le retour de couches, évite l’utilisation d’un grand nombre de protections périodiques qui, comme les couches jetables pour bébés, sont une importante source de pollution.
Au final, on peut dire que le lait de femme est une ressource naturelle mondiale à protéger : il est fabriqué par les mères dans les quantités exactes que réclament les bébés, sans gaspillage et sans peser sur l’environnement.
Et le bébé allaité est le premier des locavores : sa nourriture va directement du producteur au consommateur, sans aucun intermédiaire !
Comme l’écrivait IBFAN (l’International Baby Food Action Network) en 2015, « nous préconisons l’investissement dans les énergies renouvelables et durables pour éviter la pollution de l’air qui provoque des maladies respiratoires chez des milliards de personnes. Or, nous devrions aussi investir dans une ressource naturelle, renouvelable et durable : l’allaitement maternel ». Et comme il l’écrit en 2019, « l’allaitement maternel fait partie d’une économie circulaire sûre, renouvelable et exempte de substances toxiques, il repose sur des cycles biologiques et non sur les industries extractives ».
Pour conclure
Et comme le résumaient bien S. Francis et C. Mulford en 2000 : « Le lait humain n'est ni écrémé, ni transformé, ni pasteurisé, ni stocké, ni transporté, ni reconditionné, ni déshydraté, ni reconstitué, ni stérilisé, ni gaspillé… Il ne nécessite aucun combustible pour le chauffage, aucune réfrigération et est toujours prêt à servir à la bonne température. Bref, c'est l'aliment le plus ami de l’environnement (environmentally friendly) qui soit. »
Et vous, avez-vous allaité votre enfant pour des raisons écologiques ? Hésitez-vous encore ?
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Claude Didierjean-Jouveau
La Leche League
Claude Didierjean-Jouveau
Autrice — La Leche League
Elle explore le continent du maternage proximal depuis plus de quarante ans. Elle est animatrice de La Leche League France, dont elle fut la présidente dans les années 1990 et dont elle édite le magazine Allaiter aujourd’hui !
Elle a écrit une quinzaine d’ouvrages sur la naissance et les pratiques de maternage proximal, notamment : Porter bébé, Le cododo, pourquoi, comment, Petit guide de l’allaitement pour la mère qui travaille, Allaiter plus longtemps, Ne pleure plus bébé !, Développer l’empathie chez les enfants.
C’est un plaisir de lire cet article, merci Claude Didierjean-Jouveau. l’impact des laits pour nourrissons qu’il soit animal ou végétal ont un énorme impact sur l’environnement de la production au déchet.
J’ai allaité mes deux enfants , 5 ans l’un, 3,5 le deuxième. L’allaitement était le meilleur moyen naturel de les nourrir autant au point de vue naturel, alimentaire, écologique, de la santé. Je suis écologiste depuis très longtemps, faisant attention à minimiser mon impact sur l’environnement et à me protéger des effets néfastes de produits que l’on peut trouver en alimentation, en soins, en hygiène. Il était inconcevable pour moi de ne pas allaiter mes enfants.
Le lait sortant du sein est toujours adapté aux besoins de l’enfant, à tout moment, il contient des anticorps. Le lait maternel permet aussi de soigner quelques petites blessures, conjonctivite. Mes enfants, surtout mon aîné, me dit souvent que sa santé est très bonne grâce à l’allaitement qu’il a eu, il est rarement malade. Je me souviens des paroles d’un pédiatre à l’hôpital, un jour que j’emmenais mon fils de 18mois aux urgences à cause d’une très grosse montée de fièvre et surtout d’inquiétude pour moi, « vous allaitez votre fils ! son carnet de santé est vierge. Comment voulez-vous qu’on travaille avec des enfants comme lui ? , J’espère que vous allez continuer encore un peu »
. Pour la femme ce lait maternel, naturel est protecteur.
Ceux qui prônent la consommation de lait maternisé, de produits laitiers, sont les mêmes que ceux qui en commercialisent à grande échelle.
Nous sommes les seuls mammifères à consommer du lait d’un autre mammifère toute notre vie.
Bonjour,
En tant qu’homme, qui plus est plus concerné par une paternité, j’ai découvert dans cet article toutes les facettes surprenantes, et écologiques, de l’allaitement maternel.
Ces arguments avérés devraient être enseignés dans tous les cours de préparation à l’accouchement, plutôt que d’offrir, dans les maternités, des kits d’allaitement PPN aux nouvelles mamans.
J’ai regardé récemment, sur Fr5, un doc sur les cachalots (illustration dans votre article)et ce sont les séquences sur l’allaitement par la mère, mais aussi par la nourrice, qui m’ont le plus impressionné.
Bravo pour cet article
Génial cet article, j’aurais tellement aimé découvrir tout cela avant la naissance de mes enfants, adultes aujourd’hui. La désinformation au sujet de l’allaitement était incroyablement forte, y compris dans les cliniques. Il n’est plus temps de la colère… n’empêche, je suis très très fière de ma fille devenue récemment animatrice de LLL, et qui allaite Lyana, 4 ans depuis peu.