Les déchets sont-ils le propre de l’homme ?

15 milliards de tonnes, voilà ce que nous, les humains, jetons chaque année sous forme de déchets solides de par le monde.

Il ne s’agit pas que de nos ordures ménagères, nos poubelles familiales, mais des déchets de toutes nos activités : l’agriculture, la construction, l’industrie, l’artisanat, le commerce et les services.

Cela représente 2 tonnes par être humain et par an. En France chacun produit 7 fois plus que cette moyenne mondiale : 14 tonnes par Français, chaque année… près de 800 millions de tonnes pour l’ensemble du pays, soit l’équivalent de 80 000 tours Eiffel ! Si on répartissait ce poids sur le territoire, cela représenterait 2 tours Eiffel sur chaque commune française, chaque année.

Devant ces chiffres qui nous paraissent hallucinants, la réponse semble claire : oui, les déchets seraient bien le propre de l’homme. Et en tout cas de l’homme moderne, industrialisé, urbanisé. Mais, quand on y regarde de plus près, force est de constater que ce n’est pas tout à fait le cas.

Ce que vous allez apprendre

  • Tout le monde vivant produit des déchets et a bien failli en mourir
  • Pour échapper à cette crise, le vivant a « inventé » le recyclage des déchets
  • Il faut transformer notre économie linéaire en économie circulaire et éviter que l’accumulation de nos déchets menace notre avenir
  • À l’image des écosystèmes naturels, la transition vers une économie circulaire passe par des expériences à différentes échelles
Benjamin Franklin
C’est quand le puits se tarit que nous nous rendons compte de la valeur de l’eau.

Remontons le temps…

Il y a 200 ans, à la veille de la révolution industrielle, nous étions à peine plus d’un milliard sur la planète, 7 fois moins nombreux qu’aujourd’hui, et chacun de nous produisait en moyenne deux fois moins de déchets. Le calcul est vite fait : l’humanité « pesait » 14 fois moins sur la planète en termes de déchets.

Il y a 5 000 ans, nous devenions des agriculteurs et des éleveurs, un peu partout sur Terre. Nous étions alors seulement quelques dizaines de millions et chacun produisait à peu près quatre fois moins de déchets qu’aujourd’hui. Nous rejetions globalement environ mille fois moins de déchets qu’en 2016.

Il y a 50 000 ans nous n’étions qu’une « poignée », certainement un million et demi sur toute la Terre, et tous des chasseurs-cueilleurs, produisant seulement quelques centaines de kilos de déchets chaque année, et rien d’autre alors que des excréments, des déchets de boucherie et de taille des outils de pierre, d’os, de bois. Que du biodégradable, ou presque. Mais nous produisions quand même des déchets ! Et nous n’étions pas les seuls.

Le vivant et ses déchets… toxiques !

Vue macro d'une Parachaos zoochlorellae
Vue macro d'une Parachaos zoochlorellae Ferry Siemensma

Depuis l’aube du vivant sur Terre, il y a 4 milliards d’années, tous les organismes produisent des déchets. C’est une obligation, une loi naturelle, un mode de fonctionnement incontournable car la vie ne peut se maintenir qu’en métamorphosant de la matière et de l’énergie, en transformant des ressources qui entrent dans l’organisme en déchets qui en sortent.

Ceux-là s’appellent des déchets métaboliques. Tous les êtres vivants en produisent, depuis la plus petite bactérie jusqu’aux plantes et aux animaux les plus imposants. Donc, non, les déchets ne sont absolument pas le propre de l’homme.

Et il y a 2,5 milliards d’années, nos ancêtres encore à l’état de micro-organismes ont bien failli en mourir ! A cette époque apparaît en effet une bactérie au métabolisme révolutionnaire, capable d’utiliser la lumière du soleil comme source d’énergie. C’est la photosynthèse.

Le résultat de cette évolution métabolique ? Le déchet produit par ces organismes est du dioxygène, O2, la molécule d’oxygène gazeux que nous respirons aujourd’hui.

Mais pour tous les micro-organismes de l’époque, y compris nos ancêtres, c’est un déchet toxique, une molécule dévastatrice que personne ne peut métaboliser.

Les bactéries photosynthétiques qui la produisent prolifèrent peu à peu grâce à l’avantage énergétique que leur procure la lumière. En quelques centaines de millions d’années, l’oxygène s’accumule partout sur la planète, dans les océans, les sédiments, les roches, l’atmosphère et menace d’éradiquer toute forme de vie.

La vie sur Terre a bien failli disparaître, victime de l’accumulation de ses propres déchets !

Comment le vivant s’en est-il sorti ?

Rond d'air sous l'eau
Rond d'air sous l'eau Domaine public

Par le jeu complexe de l’évolution : une série de mutations successives va permettre à un groupe de bactéries d’utiliser l’oxygène comme une ressource. Nouvelle révolution, encore plus déterminante que la précédente. Ces organismes « inventent » le recyclage et l’économie circulaire !

Que d’avantages :

  1. Ils disposent d’une ressource abondante car l’oxygène, déchet des organismes photosynthétiques est omniprésent.
  2. Ils disposent grâce à l’oxygène d’un métabolisme extraordinairement énergétique qui va permettre à leurs descendants une cascade d’innovations biologiques qui va conduire à la constitution des organismes pluricellulaires, les plantes, les animaux, et à la conquête de la terre ferme.

Ce qui était une menace a été transformé en avantage révolutionnaire.

Mais ce n’est pas tout. Avec le recyclage de l’oxygène, le vivant inaugure les principes de base de son organisation complexe : les syntrophies (Relation de nécessité entre deux bactéries qui ne peuvent se développer séparément) et les écosystèmes, où les déchets de l’un deviennent les ressources de l’autre.

Ce mode de fonctionnement est toujours le fondement des écosystèmes actuels, en particulier des plus matures et durables.

A l’école du vivant

Revenons à l’humanité et à ses déchets, et même à ses hyper-déchets, produits par la société d’hyperconsommation la plus récente. Quels enseignements peut-on tirer de la belle histoire de la vie sur Terre, longue de plusieurs milliards d’années ?

Crocodile stylisé fabriqué avec des pneus
Crocodile stylisé fabriqué avec des pneus Yong Ho JI

Tout d’abord que oui, l’accumulation de déchets peut menacer la survie même de l’espèce qui les produit. La crise de l’oxygène en est l’illustration la plus marquante. Et cela pourrait bien nous arriver si nous ne faisons rien pour changer nos modes de consommation des ressources et de production de déchets.

Les premiers signes de cette accumulation menaçante ? Les gaz à effet de serre, déchets gazeux de notre production d’énergie à partir de combustibles fossiles et de notre production agricole intensive.

Pour ce qui concerne les déchets solides, nous savons déjà que si rien n’est fait pour infléchir notre rythme actuel, nous en produirons 25 milliards de tonnes en 2050 et 45 milliards en 2100. Cela est-il soutenable ? Durable ? Plus personne ne le pense sérieusement.

D’abord parce que les ressources non renouvelables, comme les combustibles fossiles, vont probablement manquer, ensuite parce qu’il est aussi fort probable que l’accumulation de déchets atteigne des limites insupportables, physiquement, chimiquement et biologiquement.

Mais heureusement, le vivant nous apprend également que ce scenario n’est pas une fatalité et que des solutions existent, expérimentées depuis des milliards d’années par les écosystèmes.

C’est le principe de base de ce que l’on appelle l’économie circulaire, inspirée du vivant.

Roger Molinier
Vivre, c'est bien. Savoir vivre, c'est mieux. Survivre, c'est sans doute le problème des hommes de demain.

Les déchets au cœur d’une nouvelle économie ?

Conteneur à verre réalisé par DEFI-Écologique
Conteneur à verre réalisé par DEFI-Écologique DEFI-Écologique

Notre économie actuelle est une économie très largement linéaire : elle consomme massivement des ressources non renouvelables, croît rapidement, colonise l’ensemble de la planète et tous ses milieux, et y accumule ses déchets.

Y règnent la compétition, la concurrence et la domination par les acteurs économiques qui ont le rythme de croissance le plus élevé. Ce mode de fonctionnement est exactement celui de certains écosystèmes, dits « pionniers ».

On sait très bien désormais que ces écosystèmes ne sont durables que s’ils ont accès à une source illimitée de matière et d’énergie et un réservoir infini pour leurs déchets, ce qui n’est pratiquement jamais le cas. Et en particulier ce n’est pas le cas pour notre société humaine mondialisée, occupant une planète limitée aussi bien en ressources qu’en capacité à accepter les déchets.

A l’inverse, l’économie circulaire est une stratégie du long terme et de la soutenabilité.

Il s’agit de « faire mieux avec moins » : moins de ressources non renouvelables, moins de déchets non valorisables, c’est-à-dire moins de déchets qui ne peuvent pas devenir la ressource de quelqu’un d’autre.

Et ce principe peut très bien s’appliquer à tous les secteurs de l’économie, comme le montrent les expériences d’écologie industrielle, du Danemark (site de Kalundborg) à la Chine (Tianjin), entre autres.

Dans les écosystèmes naturels, la circularité se met en place grâce à la biodiversité : sans diversité, toutes les espèces consomment les mêmes ressources et le déchet de l’un ne peut pas devenir la ressource de l’autre.

Grâce à la diversité des espèces et des fonctions qu’elles remplissent, les mutualismes se mettent en place et la collaboration devient au moins aussi importante que la compétition.

Mais, dans les écosystèmes, un mode linéaire n’est jamais remplacé du jour au lendemain par un mode circulaire : ce dernier se met en place progressivement, d’une façon qu’on pourrait qualifier d’expérimentale, d’abord dans des sortes d’îlots. C’est ce qu’on appelle un écosystème en transition.

Puis les îlots grandissent, se multiplient et se connectent en réseau. La circularité, qui n’était auparavant qu’une exception dans un océan de linéarité devient peu à peu la règle.

Pour conclure

A l’image des systèmes naturels, il se pourrait bien que notre écosystème humain soit actuellement en transition : des îlots de circularité sont expérimentés un peu partout, à différentes échelles, de celle des quartiers à celle des états.

Mais, tout comme un écosystème naturel en transition, cette étape est fragile et doit être protégée et soutenue si nous voulons que notre avenir soit placé sous le signe du déchet-ressource et non pas du déchet-fléau.

Portrait de l'auteur

Peut-être avez-vous des îlots de transition dont vous voudriez nous parler ?

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Portrait de l'auteur

Christian Duquennoi

Ingénieur chercheur — INRAE

Il est physicien et ingénieur chercheur à l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture).

Dans son équipe de recherche sont réunis également des microbiologistes et des chimistes. L’équipe fait régulièrement les poubelles, et se rend dans les déchetteries pour récupérer les ingrédients qui seront testés dans de grandes éprouvettes.

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