Quel modèle imaginer pour la biodiversité dans les aéroports ?

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À toujours opposer industrie et environnement, notre société peine à faire progresser les démarches écologiques et reste généralement sur l’affrontement des extrêmes, avec le blocage comme conséquence.

Filiale d’Air France, HOP! est une compagnie aérienne qui crée du lien entre les régions, les territoires métropolitains et la capitale.

Lors de la création de l’entreprise en avril 2013, la volonté du PDG Lionel Guérin a été d’inclure une composante biodiversité dans la stratégie de développement durable de l’entreprise.

Le projet « Biodiversité et Territoires » était ainsi initié dès l’automne 2013 avec quatre aéroports volontaires.

Ces derniers ont dès lors mis leurs espaces verts à la disposition des personnels diligentés par HOP!. Une première évaluation de la qualité de la biodiversité a ainsi pu être menée.

La confirmation de l’intérêt environnemental ne s’est pas fait attendre.

Les grandes lignes du projet ont pris forme, testées en 2014, et un programme global a pu être présenté à la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) en janvier 2015.

Ce que vous allez apprendre

  • Ce qu’est une plateforme aéroportuaire d’un point de vue écologique
  • Comment s’impliquent les acteurs de l’aérien
  • Qui réalise les inventaires scientifiques
  • Pourquoi la démarche est à ce jour unique
Gilles Boeuf
Saurons-nous pleinement justifier, au XXIe siècle, ce terme de 'sapiens' dont nous nous sommes affublés ?

Et HOP! fut

Avec l’adhésion de la DGAC (qui dépend, via les Transports, du Ministère en charge de l’Environnement), l’association HOP! Biodiversité est née.

Reconnue d’intérêt général elle intègre aujourd’hui en sus de HOP! et Air France, la compagnie Air Corsica et treize aéroports (du géant Roissy-CDG au petit Poucet Castres), tous réunis sous l’égide d’un comité scientifique composé de chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), de l’Université et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

En 2018, de nouveaux adhérents, compagnies aériennes et aéroports, seront cooptés dans cette démarche qui s’inscrit directement dans la Stratégie Nationale pour la Biodiversité.

Celle-ci demeure unique, puisqu’elle réunit différents acteurs d’une industrie et l’Etat lui-même dans une même action en faveur de la biodiversité.

Aéroport ou zone de Nature

Gros plan sur papillon machaon sur terrain d'aéroport
Gros plan sur papillon machaon sur terrain d'aéroport Roland Seitre/HOP!Biodiversité

Passons sur la schizophrénie de notre époque où toute la société voudrait bien prendre l’avion, mais ne pas être gênée par les conséquences du trafic aérien croissant (3 à 5% par an).

Bref, les aéroports existent, les avions volent, font du bruit (mais de moins en moins, individuellement), polluent (aussi de moins en moins) et cela ne va donc pas s’arrêter.

On compte plus de 140 aéroports commerciaux en France métropolitaine et 450 aérodromes (sans les plateformes militaires).

Les passagers voient surtout l’aérogare, les riverains les clôtures. Mais la réalité est que, pour faire voler des avions, il faut des pistes de décollage et des voies d’accès.

Celles-ci se doivent d’être entourées de zones bien dégagées d’obstacles par sécurité et contrôlées pour la sûreté, par la gendarmerie en particulier.

Pour des raisons de simplicité, ces espaces verts protégés de nombreuses formes d’exploitation, 70% en moyenne des zones réservées, sont couvertes d’herbages.

Pour chaque aéroport commercial, on parle d’une centaine d’hectares d’espaces verts en zone urbaine ou périurbaine, au moins !

Mais où se cache la biodiversité dans les aéroports ?

Personnel d'aéroport en train de suivre la faune et la flore sur leur terrain
Personnel d'aéroport en train de suivre la faune et la flore sur leur terrain Roland Seitre/HOP!Biodiversité

Ce qui est plus intéressant encore, c’est que la pelouse n’est pas la norme : elle supposerait davantage d’entretien, et donc de coût, que la prairie de fauche.

Sur les aéroports où travaille l’association, le gestionnaire surveille une prairie semi naturelle, voire naturelle, qu’il entretient au minimum, sans labours et sans engrais, et ce depuis des décennies. Quant aux produits phytosanitaires, ils ne sont peu ou pas utilisés.

La Nature, surtout si la construction initiale n’a pas entraîné trop de délabrement, a pu y conserver des droits.

Treize aéroports, ce sont trente-cinq espèces d’orchidées répertoriées, l’auriez-vous cru ?

La prairie étant aujourd’hui le biotope le plus menacé d’Europe occidentale, des aéroports responsables représentent un potentiel de préservation d’écosystèmes et d’espèces d’environ 500 kilomètres carrés.

C’est un véritable archipel prairial intégrables aux trames vertes partout dans le pays, des îlots de préservation de la biodiversité à l’abri de bien des agressions et acteurs d’autres services écosystémiques.

Frédéric Denhez
Un sol, c’est une pompe à eau, un réservoir de biodiversité, stock de carbone, ralentisseur d’écoulement, dépolluant, un empêcheur d’éboulement.

Opposition entre l’industrie et l’environnement ?

Pour l’industrie aéronautique, il existe un réel problème lié à la biodiversité dans les aéroports : c’est le risque animalier.

Autrefois elle parlait de « lutte aviaire ». L’évolution des termes est déjà un progrès !

Mais qui resterait indifférent à une collision au décollage qui entrainerait, suite à l’ingestion d’un ou plusieurs oiseaux par des réacteurs, le crash d’un avion ?

À cette réalité, l’association répond qu’il faut prendre en compte cette absolue priorité mais que la gestion du risque passe aussi par une meilleure compréhension de l’écologie et du comportement des oiseaux.

Mieux gérer les prairies par exemple, par la hauteur des fauches et leur temporalité notamment, permettra de diminuer les risques tout en améliorant une partie de la biodiversité.

Le soutien à cette démarche par l’organe de contrôle, la DGAC, est d’ailleurs sans ambiguïté.

Lapins, oiseaux et biodiversité

Nuée d'oiseaux en premier plan d'un avion de ligne
Nuée d'oiseaux en premier plan d'un avion de ligne Webdo

Quand on évoque la biodiversité dans les aéroports, les deux réactions immédiates concernent les lapins (pour les usagers surtout) et les collisions aviaires (pour les professionnels).

Il est vrai que les lapins pullulent sur certains secteurs d’Orly et de Roissy-CDG. Mais est-ce que la biodiversité se limite aux grands vertébrés ?

Etudier la biodiversité fait évoluer les mentalités, en interne et en externe. À moyen terme, cela permet à plus d’aéroports de se tourner vers une meilleure gestion des prairies et de trouver des solutions pour tendre vers le « zéro-phyto ».

Patrick Gandil, Directeur Général de l’Aviation Civile
Le meilleur moyen d’éviter les risques animaliers pour l’aviation c’est le développement d’écosystèmes équilibrés sans prolifération de telle ou telle espèce sur les prairies si nombreuses sur nos plates-formes. Valorisation du patrimoine public, sécurité de l’aviation et protection de la biodiversité vont de pair.

Le choix de la science citoyenne

Nombreuses personnes volontaires pour participer au suivi de la faune et de la flore sur leur lieu de travail
Nombreuses personnes volontaires pour participer au suivi de la faune et de la flore sur leur lieu de travail Roland Seitre/HOP!Biodiversité

Le choix original de la science participative (programmes Vigie Nature du MNHN et programmes personnalisés), impliquant les personnels des aéroports, les volontaires de tous bords et les personnels naturalistes de l’association, recouvre plusieurs enjeux et objectifs.

  • Le premier objectif est intégré dans la Stratégie Nationale pour la Biodiversité et consiste à faire partager une « culture de la biodiversité », avec sa déclinaison en Responsabilité Sociétale de l’Entreprise. Cet environnement de travail n’est pas du tout tel qu’on l’imaginait !

  • Cette vie qui profite des espaces verts de bords de piste, diverse voire plus riche qu’en zone agricole ou urbaine périphérique, est un avantage pour le territoire.

    On remarque en particulier l’abondance des insectes pollinisateurs.

  • Le personnel impliqué directement dans cette découverte s’approprie mieux le capital que représente la biodiversité dans les aéroports.

  • L’implication des personnels permet l’intégration d’une gestion adaptée plus rapidement.

  • La science participative permet la collecte de données significatives, mais pas de réaliser des inventaires exhaustifs. Il n’y a donc pas conflit avec les études d’impact, les objectifs étant différents. Mais à terme, après plusieurs années, les résultats peuvent se rejoindre.

Le mouvement de fond des acteurs de la société vers une vision environnementale plus équilibrée et saine se retrouve sans surprise chez les interlocuteurs et participants. L’association joue un rôle déclencheur et accompagnant.

Denis Leluc, Directeur de l’aéroport de Perpignan-Sud de France
Je n’avais jamais imaginé que je gérais aussi un espace naturel !

Pourquoi la démarche est, à ce jour, unique ?

Flore variée sur fond d'avion et d'infrastructure aéroportuaire
Flore variée sur fond d'avion et d'infrastructure aéroportuaire Roland Seitre/HOP!Biodiversité

Les industriels ne voient généralement l’environnement qu’à travers les contraintes que la loi impose.

Sauf exception, l’environnement n’est perçu que comme un coût et donc n’améliore par les performances financières de l’entreprise.

Chantal Jouanno
Beaucoup pensent préserver la nature pour sa beauté. Or, nous devons raisonner en termes de capital (naturel).

La plupart de ceux qui vont à la messe, ne croient pas pour autant. Difficile de dépasser les préjugés, l’association a beaucoup de chance d’avoir un bureau et un conseil d’administration prestigieux et convaincus !

À noter que la démarche est unique en France, de par l’association d’acteurs différents d’une même industrie, tandis qu’au niveau international, l’aéronautique n’a pas pris conscience que les aéroports possèdent un capital environnemental positif.

Pour conclure

Depuis le début du projet il y a quatre ans, les partenaires commencent à voir les bénéfices de leurs actions.

Certes, des espèces ou des écosystèmes intéressants émergent, mais surtout les femmes et hommes qui accompagnent la démarche y trouvent intérêt et plaisir.

Leur lieu de travail prend une autre couleur, leurs actions un autre sens. Et c’est là que le pari se gagne, parce que la biodiversité sans l’homme n’a pas d’avenir, tout comme l’humanité n’en a pas sans biodiversité.

Cette vision holistique est pourtant encore trop rare dans la gestion de l’environnement.

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Julia Seitre

Coordinatrice scientifique — HOP! Biodiversité

Julia est une docteur vétérinaire, attachée au MNHN.

Elle a une expérience mondiale de la Nature et de la faune.

Après trente ans à parcourir la planète pour réaliser en freelance des reportages sur la préservation comme l’exploitation de l’environnement par l’homme, et donc les liens entre l’espèce humaine, les écosystèmes et les espèces autres, elle a participé au montage de HOP!Biodiversité et dirige l’association depuis sa création en juin 2015.

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Roland Seitre

Spécialiste en biodiversité animale

Roland est un docteur vétérinaire, attaché au MNHN.

Engagé depuis 35 ans dans la préservation de l’environnement et de la faune.

Analyse et mise en pratique de différents modes de gestion : exploitation, protection, recherche, écotourisme.

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4 réponses à “Quel modèle imaginer pour la biodiversité dans les aéroports ?”

        • Le fait est que les fleurs ou les insectes se fichent de savoir à qui appartient la bande fleurie ou quelle est la finalité d’un aéroport.
          Ces lieux sont ce qu’ils sont, et en l’état ils présentent de nombreux intérêts écologiques. On peut discuter de la manière dont Hop utilise ces programmes à des fins de greenwashing, mais le gain pour la biodiversité est concret (le gain du programme, pas le gain de l’aéroport bien entendu).
          En d’autres termes, on peut être pour ou contre l’aviation, mais on ne peut pas nier que ADP est l’un des plus gros propriétaires fonciers de l’Ile de France. Dès lors, il convient d’agir !

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