Bioindication et cours d’eau : comment en évaluer la qualité ?
Consultant en écologie aquatique — Stêr
Nombreuses sont les pressions pesant sur les cours d’eau. La pollution, les entraves, la recalibration des rivières et ruisseaux ont autant d’impacts qui ont engendrés l’érosion de la biodiversité et la mise en péril de la ressource.
En France, environ 300 000 kilomètres de cours d’eau ont été répertoriés et les inventaires continuent encore aujourd’hui au sein des territoires. Sur ce linéaire, on estime à 100 000 le nombre d’ouvrages (seuils, barrages, moulins, etc.) entravant la libre circulation des organismes et des sédiments.
Ces ouvrages impactent non seulement la reproduction d’espèces (migratrices ou non) mais également la qualité de l’eau (pollution) et la morphologie des cours d’eau (bétonnage). Les rivières étant des entités mobiles, la modification de leur cheminement provoque des déséquilibres et abaisse leur capacité de résilience.
Dans ce contexte, comment dire si un cours d’eau est en bonne santé ? Quels sont les critères permettant de mesurer un « bon état écologique » ?
Les réponses à ces questions sont cruciales. Notre capacité à gérer l’eau en tant que ressource et en tant que support de biodiversité en dépend.
Ce que vous allez apprendre
- Que c'est la faute à Voltaire
- Ce qu'est la bioindication
- À quoi sert la bioindication
Thibaut Beauverger
Lorsque vous ouvrez votre robinet, pensez bien qu’il s’agit d’une ressource vectrice de vie et pas d’un simple produit de consommation.
Qu’est-ce que la bioindication des cours d’eau ?
La bioindication est la définition de la qualité biologique d’un milieu physique (ici les cours d’eau) décrit par l’analyse des assemblages d’organismes (animaux, végétaux, algues, etc.) présents en son sein.
Les principaux organismes utilisés dans la bioindication des rivières sont macroscopiques et peuplent l’ensemble de nos cours d’eau et plans d’eau : ce sont les macroinvertébrés, les macrophytes, les poissons et les diatomées.
La définition des préférences biologiques et écologiques des espèces constituant ces groupes permet notamment de repérer :
Les assemblages-types, caractéristiques des conditions dites « naturelles ».
Les espèces ou assemblages d’espèces, réagissant sous l’effet de différents types de pressions (e.g. pollution organique, assecs, etc.).
Comment définir des préférences biologiques et écologiques ?
Pour se faire, des prospections de terrain sont menées dans le lit des rivières afin d’inventorier la faune et la flore s’y trouvant. Les techniques d’échantillonnages sont nombreuses et variées.
La pêche à l’électricité qui, afin d’obtenir une vision globale des peuplements piscicoles, est la technique d’échantillonnage qui nécessite le plus de moyens matériels et humains. En effet, les poissons sont pris dans un champ électrique qui provoque une « nage forcée » vers l’épuisette les recueillant en vue de la biométrie, avant d’être rendus au milieu naturel.
Les prélèvements de macroinvertébrés et de diatomées nécessitent quant à eux moins de matériel. Les organismes sont recueillis et conservés en attendant leur identification en laboratoire.
En ce qui concerne les macrophytes, l’identification des espèces se fait généralement in situ.
Des « listes » faunistiques ou floristiques sont donc établies après identification des taxons échantillonnés. Ces listes sont ensuite comparées à des listes de référence (i.e. liste des taxons ou assemblages de taxons présents sur des rivières ayant très peu été impactées par l’activité humaine).
En résumé, c’est un écart (ou une déviation) entre cet état de référence et les organismes échantillonnés qui est calculé.
Calcul des échantillons
L’ère du « Big Data » a permis de formaliser ces connaissances pour créer des outils de surveillance et d’évaluation de l’état de nos cours d’eau.
Les réseaux RCS (Réseau de Contrôle de Surveillance) et RCO (Réseau de Contrôle Opérationnel) contribuent à une vision globale et pérenne de l’état des masses d’eaux pour l’ensemble du territoire français (DOM-TOM compris).
Ces réseaux sont notamment constitués de centaines de stations bioindicatrices échantillonnées annuellement, dont les données sont bancarisées. Elles permettent de dégager les grandes tendances quant à la santé des fleuves et rivières.
La bioindication est donc un outil de gestion et permet également de faire un état des lieux.
Les macroinvertébrés
Méconnus du grand public, les macroinvertébrés benthiques (qui vivent au fond des eaux) exercent pourtant des fonctions écologiques importantes au sein des hydrosystèmes.
Moins « sexy » que les poissons, ils ne font pas moins partie de la chaîne alimentaire des cours d’eau et constituent un lien essentiel entre le monde animal et végétal. Par rapport aux poissons, le nombre d’espèces de macroinvertébrés aquatiques est bien supérieur (de l’ordre, en France, de quelques centaines d’espèces contre une cinquantaine pour les poissons), ce qui fait de ces animaux d’excellents indicateurs et de très bons colonisateurs.
La majeure partie des espèces n’accomplit qu’une partie de leur cycle de vie sous l’eau, il s’agit du stade larvaire. Après plus de quatre ans parfois, arrivent l’émergence et le stade adulte. Afin de survivre durant tout ce temps sous l’eau, certains déploient des merveilles d’ingéniosité pour se protéger. Ici, un porte-bois ou trichoptère dans son fourreau.
Ils sont à la fois les témoins des perturbations liées à l’anthropisation et à la bonne santé des rivières.
Thibaut Beauverger
La bioindication est un outil de gestion et permet également de faire un état des lieux.
La bioindication des cours d’eau, une longue histoire
Dès le XVIIIe siècle, des travaux de description des espèces et de leurs préférences écologiques et biologiques sont menés par des naturalistes-explorateurs, tels que Johann Hermann (1738-1800) ou encore Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829). Leurs démarches ont permis de jeter les bases de la taxonomie, indispensable à l’identification des espèces et donc à la bioindication.
Les balbutiements
En France, le premier bioindicateur, basé sur l’analyse des assemblages de macroinvertébrés aquatiques, date de 1967. Depuis, de nombreuses méthodes ont été créées et améliorées pour tenter de se représenter du mieux possible les rivières.
Les plus utilisées sont l’IBGN (pour Indice Biologique Global Normalisé), devenue obsolète dans les années 2000 et « améliorée » pour donner l’IBG-DCE (Indice Biologique Global de la Directive Cadre Européenne sur l’Eau) et l’I2M2 (pour Indice Invertébrés Multi Métriques) qui est, à l’heure actuelle, le nec plus ultra de la bioindication.
Cette succession de méthodologies témoigne de la complexité d’établir des outils pour mesurer la bonne santé des cours d’eau surtout quand les espèces envahissantes elles-mêmes deviennent des bioindicateurs.
Cette complexité s’explique également par le fait que la bioindication est le résultat d’un processus ô combien politique !
Une première loi
En 1964, la première « loi sur l’eau » est votée et un premier indice biotique apparaît. À noter que cette loi a également permis le découpage de la France en bassins versants, toujours en vigueur de nos jours.
Une seconde loi sur l’eau voit le jour en 1992 et un nouvel indice s’en suit.
En 2000, c’est l’Europe qui s’engage dans une politique commune de l’eau. Cet engagement est traduit en 2006 en droit français, et implique le développement d’outils de bioindication harmonisés au sein de l’UE. Comme en 1992, un nouvel indice est créé (en 2019).
Vers le futur et au-delà
Demain étant déjà là, les progrès en matière d’ADN environnemental représente sans doute l’avenir de la bioindication.
Les progrès réalisés ces dernières années sont spectaculaires et le séquençage de l’ADN des espèces présentes dans nos rivières offre de nouvelles perspectives.
Cette pratique tend à se développer mais demeure toutefois complémentaire des analyses « classiques ».
Voltaire
Les rivières ne se précipitent pas plus vite dans la mer que les hommes dans l'erreur.
Le saviez-vous ? La faute à Voltaire !
L’illustre philosophe manque (une fois n’est pas coutume) de précision, tout comme certains en réponse à cette question d’apparence simple : qu’est-ce qu’une rivière ? D’aucuns diraient de l’eau douce s’écoulant d’une source à la mer. Pas faux ! Mais encore…
En effet, il existe une terminologie autour des cours d’eau : fossé, ruisseau, rivière, fleuve. Chacun de ces mots induit des caractéristiques. Par exemple :
Un fossé n’est pas connecté à une source.
Un ruisseau au contraire est alimenté par une source mais présente une largeur et un débit faibles.
Une rivière possède une largeur et un débit plus important et est le produit de la confluence de plusieurs ruisseaux.
Les fleuves, enfin, sont les cours d’eau les plus imposants et leur exutoire est la mer.
Les fleuves sont le produit de la confluence de plusieurs rivières et présentent des débits pouvant atteindre 207 000 mètres cubes par seconde (embouchure du fleuve Amazone, débit le plus important au monde).
À titre de comparaison, capter un tel débit durant trente secondes suffirait à assurer la consommation en eau potable d’une agglomération de 150 000 habitants pendant un an, soit 5,8 millions de mètres cubes.
À quoi ça sert la bioindication ?
Services écologiques
Pourquoi tout ce battage technico-politico-scientifique ? Parce que l’eau est essentielle pour l’Homme et ses usages sont nombreux.
La bioindication répond à un besoin de connaissances des hydrosystèmes, afin de pouvoir les gérer aux mieux et ainsi pérenniser la ressource.
Mais concrètement, la gestion des rivières c’est quoi ? C’est avant tout savoir si la rivière est toujours capable de nous rendre des services tels que :
l’alimentation en eau (pour l’agriculture, l’industrie, nos foyers…),
l’épuration de nos eaux usées,
l’accueil de la faune et de la flore,
la régulation des ruissellements.
La bioindication permet de décrire l’état biologique de la rivière à un moment donné.
À l’heure actuelle, nous sommes capables de déterminer non seulement si un cours d’eau est en bonne santé, mais également les types de perturbations qui l’ont empêché de rendre tout ou partie de ces services écologiques.
Il s’agit donc bel et bien d’un « état des lieux » ou d’une « photo biologique » de la rivière et des organismes qui la peuplent.
La restauration
Dans un second temps, lorsque les éventuelles perturbations sont identifiées, s’enclenche un processus de restauration (ou renaturation).
Cela prend parfois la forme de travaux de construction et, à l’inverse, de travaux de déconstruction.
Après ces aménagements plus ou moins coûteux effectués dans des délais plus ou moins longs, on va de nouveau utiliser l’outil de bioindication pour contrôler si les travaux réalisés ont permis la guérison du cours d’eau ou, au moins, l’amélioration de son état de santé.
La bioindication va nous permettre de prendre une photo biologique après travaux, et de comparer ainsi l’avant et l’après, pour déterminer s’il y a bien eu des progrès.
Par exemple, la France a entamé le plus grand chantier de restauration de la continuité écologique d’Europe avec le démantèlement de barrages hydroélectriques (seize et trente-six mètres de haut) sur la Sélune.
Ce projet, inédit par son ampleur, fait de ce site un laboratoire à ciel ouvert où la bioindication est un outil majeur afin de comprendre et d’anticiper les réactions des écosystèmes et de mieux répondre aux problématiques socio-économiques qui en résultent (tourisme, urbanisme, etc.).
Le contrôle qualité
Autre domaine d’application : le contrôle qualité de l’eau à proprement parler.
Les stations constituant les réseaux RCS et RCO font l’objet d’analyses afin de renseigner la qualité des eaux de surfaces et des nappes. Cela permet une veille sanitaire sur les captages d’eau potable notamment. Ces données sont en libre accès sur les sites des agences de l’eau.
La bioindication va, en complément d’analyses physico-chimiques, nous informer sur la qualité de la ressource et des écosystèmes.
S’appuyant sur des êtres vivants, la bioindication intègre toutes perturbations dans le temps et offre un portrait de la rivière à l’échelle temporelle des cycles de vie des taxons qu’elle abrite.
Thibaut Beauverger
La bioindication permet de décrire l’état biologique de la rivière à un moment donné.
Urbanisation et bioindication
L’aménagement de nos territoires connait une dynamique importante qui tend à l’urbanisation.
La bioindication est un outil de gestion des territoires et d’aide à la décision pour les publiques. Par exemple, une zone nouvellement construite induit de manière presque systématique l’imperméabilisation d’une surface. Lors de précipitation, l’eau va gagner le cours d’eau sans avoir été « filtrée » à travers les horizons du sol.
Des dispositifs sont prévus afin de compenser ce manque de filtration, mais l’eau est alors « usée », soit chargée d’éléments de nature anthropique (limaille des freins de nos véhicules, fibres synthétiques, hydrocarbures, etc.).
Si la santé du cours d’eau censé réceptionner ces eaux usées est trop dégradée, d’autres solutions doivent être avancées.
Pour conclure
L’ère industrielle dans laquelle nous nous trouvons actuellement a démultiplié l’exploitation des ressources naturelles, nécessitant l’apprentissage de nouveaux savoirs et modes de gestion.
La bioindication est une des réponses apportées par la science afin de répondre à ce besoin de connaissance.
La technologie et les dernières avancées scientifiques nous permettent de nous rapprocher au plus près de la réalité des cours d’eau afin de prendre les meilleures décisions quant à leur gestion.
L’enjeu est de taille : l’eau est vitale bien sûr, mais est également indispensable à la bonne marche de notre civilisation (économie, santé, énergie, etc.) et son usage ne cesse de croître
La bioindication est un outil indispensable pour évaluer l’état de santé de nos rivières et ainsi gérer l’eau et protéger les milieux aquatiques avec toute la richesse qu’ils abritent.
Avez-vous déjà utilisé des bioindicateurs pour évaluer des milieux aquatiques ?
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Thibaut Beauverger
Consultant en écologie aquatique — Stêr
Après sept ans d'expérience dans l'écologie et l'hydrobiologie, il a souhaité mettre ses compétences au service des territoires pour préserver les rivières et la vie qu'elles abritent.
En 2018, il a créé Stêr (rivière, en breton), un bureau d'étude situé en Côtes d'Armor (22) et traitant des problématiques liées à la l’eau et aux écosystèmes aquatiques.
Spécialisé dans la bioindication, la réalisation de dossier réglementaire, la gestion écologique et l'animation nature en français et en breton.
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