Éléphants sans défenses : la chasse, seule responsable ?

Il y a un peu moins d’un an, je vous parlais de la levée de l’interdiction de la chasse à l’éléphant par le Botswana. Je m’étais alors interrogé sur la place que se donnait l’Homme dans la Nature.

Au cours de mes recherches, j’avais lu de nombreux articles de médias généralistes qui parlaient d’études montrant que de plus en plus d’éléphants sans défenses étaient observés dans plusieurs régions africaines (jusqu’à 98% en Afrique du Sud) et que cette tendance était une conséquence de la chasse à l’ivoire par l’Homme, exemple « en direct » d’une sélection naturelle d’individus provoquée par l’Homme.

Ce que vous allez apprendre

  • Que les humains peuvent être responsables de l'évolution d'une espèce
  • Que corrélation n'est pas forcément causalité
  • Qu'il y a trois raisons aux Éléphants sans défenses
  • Qu'il faut se méfier des biais de réflexion provoquée par notre cerveau
  • Que deux phénomènes génétiques peuvent avoir des causes différentes
Arnaud Lardé
Le hasard est un paramètre que les scientifiques n’aiment pas beaucoup et qui est souvent mal appréhendé par le public.

Emballement médiatique et conclusion hâtive

Voilà quelques exemples :

Dans ces articles, le lien est clairement établi entre deux faits : le braconnage pour l’ivoire (orchestré par l’Homme) et l’augmentation du nombre d’éléphants qui naissent sans leurs défenses. La relation de causalité est indiscutablement posée.

Avant de revenir sur le mécanisme de sélection naturelle, je voudrais donc commencer par cette notion de relation de causalité. En sciences, comme dans le langage courant d’ailleurs, la relation de causalité implique une relation de cause à effet.

Le principe de correlation illustré avec humour
Le principe de correlation illustré avec humour

Un évènement A étant responsable d’un événement B, A est la cause de B. Seulement, cette relation directe, évidente parfois, n’est pas toujours avérée. Un principe fondamental en Sciences nous dit que « corrélation n’est pas causalité » : deux événements peuvent sembler corrélés sans pour autant être responsable l’un de l’autre.

Cela peut être l’inverse, ils peuvent avoir une cause commune ou encore il peut avoir une responsabilité l’un sans l’autre. Voilà un exemple amusant pour illustrer ce principe : (merci au site Cortecs pour celui-ci)

« Les climatologues ne peuvent nier le phénomène : plus la température globale de la planète augmente, plus les sous-vêtements féminins rétrécissent. Peut-on en conclure que le réchauffement climatique entraîne la diminution de la taille des culottes ? Il semble pourtant que la véritable explication soit à chercher du côté de la mode… »

Arnaud Lardé
L’Homme, par son braconnage, induit donc une sélection naturelle des éléphants ayant une mutation inhibant le développement des défenses. CQFD.

La sélection naturelle appliquée aux éléphants d’Afrique

Quid de l'utilité sociale des défenses d'éléphants ?
Quid de l'utilité sociale des défenses d'éléphants ?

Revenons à nos éléphants. Dans ces articles, le lien entre chasse et augmentation du nombre de naissances d’éléphants sans défenses s’établit à travers le prisme de la sélection naturelle. La sélection naturelle est un mécanisme de l’évolution des êtres vivants.

Postulée par Charles Darwin, elle part du principe que des mutations aléatoires se produisent dans nos gènes. Suite à ces mutations, des caractères d’un individu peuvent être modifiés. Si le nouveau caractère apporte un avantage, le porteur vivra mieux ou plus efficacement, ou plus longtemps : bref, il aura statistiquement plus de chances de se reproduire et donc de transmettre sa mutation avantageuse à sa descendance. Ainsi, la fréquence de cette mutation augmentera dans la population. À l’inverse, si la mutation apporte un désavantage, le porteur parviendra moins à se reproduire donc cette mutation sera moins transmise et sa fréquence diminuera dans ladite population.

Appliqué à notre étude, cela donne le raisonnement suivant : dans plusieurs régions d’Afrique, les éléphants ayant des défenses en ivoire sont chassés. Ainsi ils ont moins de chance de se reproduire et de transmettre le gène « présence défenses ». À l’inverse, les éléphants qui, suite à une mutation, ne développent pas de défenses, ne sont pas chassés (car inutile pour les braconniers). Ils ont donc plus de chance de transmettre leur mutation. La fréquence de la mutation « absence défenses » augmente dans la population des éléphants. L’Homme, par son braconnage, induit donc une sélection naturelle des éléphants ayant une mutation inhibant le développement des défenses. CQFD.

commerce d'ivoire, ghana, 1690
Commerce d'ivoire, ghana, 1690 Rutger van Langervelt

J’ai donc voulu me faire une idée plus précise de ce raisonnement car il s’agissait d’un superbe (mais tragique) exemple de sélection naturelle « en direct » puisqu’il est souvent reproché à cette théorie de ne pas être observable à échelle humaine. Cet exemple est en plus très pédagogique pour une situation d’enseignement.

Plusieurs questions doivent cependant être posées afin d’attester de la véracité de cette relation de causalité :

  • Quelles sont les fréquences des éléphants avec et sans défenses avant et après les périodes de braconnage ?

  • Le trafic d’ivoire est-elle la seule « motivation » d’une chasse à l’éléphant ?

  • Le lien est-il observé dans d’autres zones en Afrique ?

  • L’absence de défenses pose-t-elle un problème dans la survie des éléphants ?

Evolution de la population d’éléphants sans défenses dans le Parc Gorongoza, Mozambique

Éléphants d'Afrique avec défenses
Éléphants d'Afrique avec défenses Muhammad Mahdi Karim

Les études concernent principalement les éléphants du Parc Gorongoza au Mozambique (Sud Est de l’Afrique). De 1977 à 1992 le pays a traversé une terrible guerre civile dont les victimes n’étaient pas seulement humaines. De nombreux éléphants ont été abattus pour leur viande ou leur ivoire en vue de financer l’achat d’armes, faisant ainsi passer la population de 4 000 à quelques centaines.

Sur les 200 femelles adultes ayant survécu, 51% étaient dépourvus de défenses. Pour les éléphantes nées après la guerre, 32% n’en possèdent pas. Le pourcentage habituel d’éléphants ne développant pas de défenses ne dépasse pas les 4% chez les femelles.

Ainsi, il est factuel de dire que dans le Parc Gorongoza, on observe de moins en moins d’éléphants possédant des défenses. De surcroît elles sont de plus en plus petites selon une étude de 2015 menée par l’université de Duke (USA) et le Kenya Wildlife Service qui a montré par la comparaison des défenses d’éléphants capturés de 2005 à 2013 à celles d’individus abattus entre 1966 et 1968 que les défenses des mâles étaient 20% plus petites et celles des femelles 33%. La nette diminution d’un tel caractère, les défenses, pose la question de la survie des individus qui en sont dépourvus.

Lorsqu’elles sont présentes, les défenses servent à creuser pour accéder à l’eau, à arracher l’écorce d’arbres pour se nourrir ou encore entre mâles lors de combats pour l’accès aux femelles.

Il devrait donc y avoir des modifications dans le comportement des individus qui en sont privés. Les éléphants dépourvus de défenses utilisent davantage leur trompe et leurs dents pour les situations précédentes. Ces nouveautés semblent avoir compensé l’absence de défenses puisque les éléphants dépourvus de ce caractère sont en bonne santé et ne manifestent pas un désavantage particulier qui pourrait provoquer leur contre-sélection.

Les individus ayant eu une mutation les privant des défenses sont clairement favorisés dans leur survie et donc dans leur chance de reproduction dans un environnement où l’Homme, via le braconnage lié à l’ivoire, exerce une forte pression de sélection. Il s’agit d’un très séduisant exemple de sélection darwinienne.

Il existe un autre parc où le déséquilibre est encore plus exceptionnel. Dans le Parc National Addo en Afrique du sud, ce n’est pas 40, 50 ni même 60% des éléphants qui ne développent plus de défenses mais 98% ! 170 des 174 femelles du parc n’en possèdent pas.

Deux individus possèdent leurs deux défenses, une la défense droite et la dernière la défense gauche. La casse d’une défense est tout à fait possible en milieu naturel (elles peuvent d’ailleurs repousser) mais une casse totale des deux défenses n’a jamais été observée, encore moins 170 fois ! En revanche les 150 mâles possèdent leurs défenses.

Étrange, étrange… Le braconnage ne devrait pas exclure un des sexes. Comment expliquer cette disparité ? Voilà une première faille dans le raisonnement précédent. Afin de mieux comprendre les chiffres du Parc Addo, reprenons l’histoire de sa population.

Romain Gary
L'Afrique perdra lorsqu'elle perdra les éléphants. Comment pouvons-nous parler de progrès, alors que nous détruisons encore autour de nous les plus belles et les nobles manifestations de la vie ?

La population d’éléphants du Parc Addo, une toute autre histoire

Pour chasser l'éléphant, il faut s'armer
Pour chasser l'éléphant, il faut s'armer Dr Homer LeRoy Shantz

Avant l’arrivée des colons blancs, les éléphants étaient nombreux et largement distribués dans toute l’Afrique du Sud. Dans les années 1900 la chasse a presque éradiqué cette espèce de tout le pays laissant quatre populations isolées les unes des autres. La plus grande ne comptait plus que 130 éléphants.

En 1919, le tristement célèbre chasseur P.J Pretorius a encore sévèrement réduit cette population à la demande des fermiers qui souhaitaient se débarrasser de ces géants qui empiétaient, selon eux, sur leurs plates-bandes… Suite à ce carnage, en 1931, l’AENP (Addo Elephant National Park) a été créé : il ne restait alors que onze éléphants pour fonder la population initiale. Triste constat.

Entre 1931 et 1954, les barrières peu efficaces de ce parc n’ont, dans un premier temps, pu empêcher des évasions donnant une mortalité élevée parmi les chasseurs-fermiers, 5% des individus. À partir de 1954, des barrières « elephantproof » ont été posées (donc plus de flux d’éléphants possibles entre les différentes populations), permettant au groupe de se reformer à hauteur de 324 individus. Ouf, on respire du côté des éléphants et de leurs défenseurs.

Dans la population de départ du parc Addo, en 1931, 50 à 62% des éléphants n’avaient pas de défenses, ce qui est déjà bien supérieur à la fréquence habituelle. Depuis, seulement 6 femelles ont développé des défenses pour arriver à ce pourcentage de 98% d’éléphantes sans défenses aujourd’hui.

Ainsi, pour confirmer le scénario vu dans le parc Gorongoza, il reste à rappeler jusqu’à quand la chasse à l’ivoire a été possible dans le parc Addo. Il s’agit de 1934. Aïe.

Jacky Bonnemains
Sur le marché noir actuel, la majorité des défenses pèsent entre 3 et 4 kilos, ce qui signifie qu'elles ont été arrachées à des jeunes ayant à peine atteint leur maturité sexuelle

Dans le Parc Addo, la pression de sélection n’est pas la chasse pour l’ivoire

chasse à l'éléphant du président théodore Roosevelet
Chasse à l'éléphant du président théodore Roosevelet Van Altena, Edward

Nous sommes en train de dire que dans ce parc, la fréquence d’éléphants sans défenses augmente inexorablement dans un environnement où il n’y a pas de pression de sélection, le braconnage étant absent.

De plus, la chasse importante réalisée par Pretorius ou par ses sinistres successeurs entre 1931 et 1954 concernait l’élimination d’éléphants qui empiétaient sur les parcelles des fermiers et n’était donc pas dépendante de la présence ou non d’ivoire. Dans ses écrits, Pretorius précise même « je tirais sur tous les éléphants que je voyais ! », sans distinction donc de présence ou d’absence de défenses.

Avant 1919, la chasse à l’ivoire pourrait expliquer la diminution de la fréquence des individus porteurs de défenses mais l’arrêt du braconnage sélectif par la suite aurait dû enrayer l’évolution de ces fréquences. En Afrique du Sud, deux populations d’éléphants sur les quatre sont isolées les unes des autres depuis 1700. Si l’augmentation de la fréquence des éléphants sans défenses était causée par la chasse à l’ivoire, on s’attendrait à voir la même évolution dans toutes les populations d’Afrique du Sud comme celle de Knysna connue pour être un haut lieu de la chasse à l’ivoire. Or là-bas, on n’a pas observé d’augmentation particulière de la fréquence des éléphants sans défenses.

Mince, notre illustration de la sélection naturelle ne colle plus ici. Cela ne remet pas en cause celle du Parc du Gozongoza. On peut seulement dire qu’elle n’explique pas la grande fréquence d’éléphants sans défenses dans le parc Addo en Afrique du Sud. Le lien mis-en en évidence n’est pas généralisable.

Quelles peuvent être alors les autres hypothèses des éléphants sans défenses ?

  • Une végétation différente ?

    Éléphant en pleine végétation typique du parc Addo
    Éléphant en pleine végétation typique du parc Addo Werner Bayer

    Dans le parc Addo, on observe surtout une végétation arbustive, peu de grands arbres. Les défenses semblent donc peu nécessaires, ce qui engendreraient une faible pression de sélection sur les individus qui en seraient dépourvus : ils ne sont pas particulièrement défavorisés.

    Cependant, l’isolement de la population de cette zone a eu lieu il y a environ 300 ans, ce qui peut sembler beaucoup mais qui ne représente qu’une trentaine de générations d’éléphants. C’est une période considérée trop brève pour qu’une absence de pression de sélection liée à l’alimentation aboutisse à la perte d’un caractère aussi complexe que des défenses.

  • Disponibilité en nutriments ?

    La composition du régime alimentaire, par sa teneur en différents nutriments, peut influencer l’investissement individuel de son énergie dans la reproduction ou la croissance. Si le régime est riche en azote, phosphore, potassium, les mécanismes reproductifs seront favorisés. En revanche si le régime est riche en glucides, les mécanismes liés à la croissance de l’individu seront privilégiés.

    Les éléments disponibles dans le parc Addo semblent favoriser plutôt les mécanismes reproductifs. Mais les observations de terrain ne suggèrent pas pour autant que cela impliquerait une réduction de la croissance globale ni même celle de caractères précis comme les défenses donc encore moins une absence totale !

    La taille ou le diamètre pourraient éventuellement être influencés par un régime riche ou carencé mais n’expliquerait pas le non-développement des défenses.

  • Le hasard ?

    Dire qu’un mécanisme évolue selon le hasard, cela ne veut pas dire que l’on n’y comprend rien, que c’est au pif ! Cela signifie que ce paramètre n’est pas influencé par d’autres, et que l’évolution de sa fréquence dans une population ne dépendra que de sa transmission aléatoire lors de la reproduction, chaque parent apportant, au hasard, la moitié de son génome.

    En effet, si un caractère apporte un avantage ou un désavantage, on comprend aisément, comme dans le cas de la chasse à l’ivoire dans le parc Gorongoza, que l’individu vivra mieux ou moins bien et donc aura plus ou moins la possibilité de transmettre ses gènes. C’était la sélection naturelle. Mais ici, dans le cas du parc Addo où il n’y pas de pression de sélection car pas de chasse à l’ivoire et où l’on va vu que l’absence de défenses n’était pas préjudiciable pour la vie de l’animal, on ne peut pas dire que l’absence de défenses soit un caractère avantageux ou désavantageux. On dit de ces caractères qu’ils sont neutres.

    Dans ce cas, comment décrire l’évolution de la fréquence des caractères neutres ? C’est ici que le hasard intervient. Puisqu’il n’y a pas de force qui oriente sa transmission, tel un bateau à la dérive, le dernier paramètre est le hasard. Ce caractère pourra donc voir sa fréquence augmenter, stagner ou diminuer. On parle de dérive génétique ou de changement génétique non sélectif (expression beaucoup moins employée). Le hasard ou plutôt son impact, même s’il semble n’obéir qu’à lui-même dépend néanmoins d’un paramètre, la taille de l’échantillon.

    La probablité de voir un éléphant, même asiatique comme ici, peindre est infime…
    La probablité de voir un éléphant, même asiatique comme ici, peindre est infime… Deror Avi

    En effet, si vous jetez 150 000 fois une pièce, vous aurez beaucoup de mal à notablement vous éloigner d’une proportion de 50% de pile et de 50% de face. En revanche, si vous la jetez quatre fois, il devient tout à fait possible de faire 100% de pile ou 100% de face alors que l’évènement « pile ou face » n’a pas changé de probabilité de se produire. C’est ce qui s’est passé dans la population d’éléphants du parc Addo.

    Dans les années 1930, il ne restait alors plus que onze spécimens. Le hasard (puisque l’abattage n’était pas lié à l’ivoire dans cette région mais aux conflits entre fermiers et éléphants) a pu faire que la proportion d’éléphants sans défenses survivants soit supérieure à la proportion habituelle. Ajoutez à cela une vraie consanguinité qui limite beaucoup la diversité génétique disponible, vous obtenez ce qu’on appelle en biologie un goulot d’étranglement.

    Dans cette situation, l’évolution de la fréquence d’un caractère peut alors aller très vite et c’est ce qui a dû se passer pour arriver aux 98% actuels. En modifiant ainsi radicalement la composition génétique d’une population, le hasard couplé à une population très réduite participe à ce qu’on appelle un « effet fondateur » c’est-à-dire la formation de nouvelles populations très éloignées génétiquement de la population de départ, parfois même tellement éloignées que l’apparition d’une nouvelle espèce est possible.

    Si aujourd’hui, cela n’est pas un problème pour cette population d’éléphants d’être ultra majoritairement sans défenses, le danger d’un groupe démuni en variabilité génétique est qu’en cas de modification environnementale qui rendrait la possession de défenses importantes, cette population serait directement menacée.

On peut donc dire qu’une même conséquence, l’observation de plus en plus fréquente d’éléphants sans défenses, s’explique par deux causes différentes :

  • La sélection naturelle par la chasse à l’ivoire qui a contre-sélectionné les porteurs des gènes « développement défenses » pour le parc Gorongoza.

  • La dérive génétique par le hasard qui, lors de la loterie de la reproduction, a tiré au sort les gènes « inhibition développement défenses » pour le parc Addo.

Pour conclure

Cette analyse détaillée a le mérite de montrer qu’il faut se méfier des raccourcis de raisonnements qui peuvent mener à de mauvaises interprétations. Ceux-ci ne sont pas forcément volontaires ou machiavéliques. Elles proviennent simplement du fonctionnement intrinsèque de notre cerveau.

En effet, il est très enclin à établir des liens, chercher des relations de causalité, définir un sens, une raison aux événements. Dans ce cas précis, à partir d’une même observation, l’esprit établit, en fonction du vécu, des connaissances personnelles, un raisonnement qui convient à la situation (parc Gorongoza). Lorsque la même situation se présente (parc Addo), la pensée choisit naturellement, si on n’y prend pas garde, la même explication. Pas de chance, cela ne colle pas ! Deuxième biais de cette étude de cas, la propension de notre esprit à définir une raison, une finalité à chaque évènement. Le fameux « Pourquoi ? ».

Lors d’un cursus en biologie, on apprend qu’au « pourquoi », il vaut mieux préférer le « comment ». Le « comment » implique la compréhension d’un phénomène, pas forcément sa raison. Ici, on a dû mal à imaginer que les éléphantes du parc Addo soient devenues sans défenses à 98% sans raison ! Il y en a forcément une ! Rien n’arrive sans raison pour les fatalistes. Or ici, s’il y a bien une explication (la dérive génétique, l’effet de fondation liée à une population à faible effectif), il n’y a pas de « raison » pour autant.

Mon propos a été de montrer que parfois, si l’on n’est pas attentif ou rigoureux on peut tendre à une simplification du problème qui peut tomber dans la caricature : « En Afrique, le braconnage est responsable de la disparation des éléphants à défenses ». Stricto sensu, c’est faux. Cela dépend du contexte. Je ne peux donc pas terminer sans vous mettre en garde contre tous ces biais cognitifs qui peuvent nous berner, et donc sans vous dire que la vie c’est comme les éléphants, ça trompe énormément !

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Portrait de l'auteur

Arnaud Lardé

Professeur agrégé en SVT

Professeur agrégé en Sciences de la Vie et de la Terre au Lycée Thibaut de Champagne à Provins depuis 2006.

Pur produit de la faculté des Sciences de Marseille, il tient sa vocation de sa passion pour la nature en général et la zoologie en particulier. Il transmet également sa passion en Anglais puisqu’il est responsable d’une section européenne.

Il participe également régulièrement la revue Espèces par la rédaction d’articles scientifiques de vulgarisation.

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6 réponses à “Éléphants sans défenses : la chasse, seule responsable ?”

  1. Je pensais que c’était le fait que ce soient les grands porteurs, donc les grands mâles avec les plus belles défenses qui ont été massacrés en priorité pour leur ivoire, qui avait donc empêché la reproduction de ces grands porteurs et donc que de fil en aiguille des individus plus faibles s.étaient développés avec des défenses moins grandes. Votre article est très intéressant sur l’usage des défenses également et l’adaptation au milieu.
    Je trouvais intéressant sur les rhinocéros de teinter leurs cornes pour les rendre inutilisables et neutraliser ainsi les braconniers.
    Quel est le meilleur moyen de protéger les éléphants?

    • Bonjour et merci de l’intérêt que vous avez porté à mon article. Vous n’avez pas tort au début de votre commentaire en disant que ce sont les éléphants ayant les plus belles défenses qui ont été massacrés en priorité. C’est tout à fait ce qui s’est passé dans le parc Gorongoza. Cependant cette chasse n’est pas particulièrement dirigée contre les mâles, les femelles ayant de belles défenses également. Il n’en demeure pas moins que le pourcentage d’éléphants à défenses a beaucoup baissé dans ce parc. Et il est observé également une baisse importante de la taille des défenses pour les individus qui en possèdent. La réalité biologique est complexe car il n’y a pas un gène « porteur de défense » avec donc deux cas soit on le possède soit on ne le possède pas. De multiples gènes interviennent rendant les cas combinaisons multiples. Ce qui est clair c’est la tendance à la perte et à la réduction des défenses dans ce parc.
      Pour la protection des éléphants, si seulement il y avait une meilleure solution. Je pense à titre personnel qu’aucune solution extrême ne marcherait. Exécuter les braconniers, interdire tout, partout depuis l’Europe n’est pas la solution car les populations locales sont confrontées à des problèmes qui dépassent la protection des éléphants. Je pense donc qu’il faut accompagner le plus possible les populations locales, par la création de parcs, en délimitant bien les zones agricoles et les zones pour les éléphants. Si les populations comprennent qu’elles ont plus à gagner en protégeant les éléphants qu’en vendant leurs défenses, ils feront le bon choix tout seul!
      N’hésitez pas à me demander d’autres précisions si nécessaires!
      bien cordialement
      Arnaud

  2. Bonjour,
    Merci pour cet article tres intéressant. Concernant le parc Addo, quel explication au fait que tous les mâles soient porteur de défense ? sont elles de taille réduite, en moyenne ? Caractère sexuel ? un tel dimorphisme, aussi rapidement acquis, est étonnant.
    Le cas du parc addo semble particulier, isolement de la population,très faible diversité genetique de l’ascendance…
    y a til des études qui etudient le phénomène sur une échelle plus grande ?
    Merci a vous,
    cordialement
    g desgonqueres

    • Bonjour, merci de l’intérêt que vous avez porté à mon article.
      Le fait que dans le parc Addo, les mâles soient tous porteurs de leurs défenses contrairement aux femelles confirme bien déjà que ce n’est pas la sélection naturelle qui intervient, car la chasse à l’ivoire ne différencierait pas les sexes.
      L’explication provient de l’emplacement d’un des gènes du développement des défenses. Il semble établi que l’absence de défenses est liée à un gène sur un chromosome sexuel ou contrôlé par un gène situé sur un chromosome sexuel. L’existence d’un véritable complexe de gènes est avérée.
      Effectivement qu’un tel dimorphisme se développe aussi rapidement est exceptionnel et ne peut se produire qu’à partir d’une population initiale très faible et une répartition génétique déséquilibrée. On parle d’effet fondateur. Le parc Addo semble un vrai laboratoire pour zoologues et généticiens!
      Pour ce qui est d’une étude à une échelle plus grande, il y a beaucoup d’études de génétiques de populations qui sont faites y compris dans notre espèce où on peut voir de vraies particularités génétiques dans certaines populations (Amérique du Sud, Asie…)
      J’espère que ces éléments répondent à vos interrogations.

  3. Bonsoir, je ne suis pas un spécialiste des éléphants, mais j’ai appris des choses qui me permettront d’avoir un avis plus éclairé sur la question, car l’article est très bien construit, argumenté, donc maîtrisé, sans ce côté quelquefois un peu trop condescendant que l’on trouve chez certains « professionnels ». J’aime beaucoup cette vision pédagogique des articles de monsieur Lardé qui m’incite à suivre votre site. A bientôt marc spaccesi

  4. Bonjour, j’ai adoré suivre l’article qui, parallèlement, m’a rapproché de la pensée suivante: cet exemple des éléphants en Afrique du sud et au Mozambique pourrait-il représenter de près les propos de Darwin sur l’évolution de l’espèce humaine? Que diriez-vous sur ce point?
    Très intéressant! À recommander! 8/10

Répondre à desjonqueres Guillaume Annuler la réponse

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