Interview de Patrick Paré, Président de l’Association des biologistes du Québec

Patrick Paré est Président de l’Association des biologistes du Québec.

Il est également Directeur Conservation et Recherche au Zoo de Granby, entre autres casquettes.

Une belle opportunité que d'interviewer un tel personnage pour DEFI-Écologique et faire ainsi découvrir les problématiques environnementales de nos amis québécois.

Ce que vous allez apprendre

  • Comment le Québec aborde la problématique environnementale
  • De quelle manière les parcs animaliers sont investis dans cette mission
  • Quel rôle joue la société civile québécoise dans la protection de l'environnement
Proverbe Québécois
Bien faire vaut mieux que bien dire.

Patrick Paré

Biologiste de formation et détenteur d’une maîtrise en comportement animal de l’Université Laval, il a développé, depuis plus de 25 ans, une expertise de pointe en zoologie, en éducation relative à l’environnement et en conservation de la faune.

Il a notamment travaillé au Jardin zoologique du Québec, au Muséum National d’Histoire Naturelle de France, au Zoo sauvage de Saint-Félicien et au Centre des sciences de Montréal, avant de s’installer au Zoo de Granby en 2002, où il dirige actuellement le département conservation et recherche.

Il siège également comme président au conseil d’administration de l’Association des biologistes du Québec et participe à de nombreux comités environnementaux ou scientifiques liés à sa profession.

De quelle façon s’organisent les projets de protection et de conservation des espèces portés par des organismes québécois, sur votre territoire, et comment ces structures travaillent-elles ensemble ?

Avec les mesures d’austérité de nos gouvernements fédéral et provincial, les différents ministères s’adjoignent les services de nombre d’organismes de conservation dans leurs mesures de protection et de conservation des habitats et des espèces en péril. Évidemment, les espèces gibiers récoltent davantage de budget, mais le vent tourne légèrement du côté de la préservation de la biodiversité depuis une vingtaine d’années.

Si je développe davantage pour le Québec, nous avons actuellement quinze équipes qui travaillent au rétablissement de trente espèces désignées en vertu de la loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV). Ces équipes sont formées de représentants du gouvernement (Environnement Canada, Ministère des forêts, de la faune et des parcs (MFFP), d’entreprises privées et d’organismes de conservation à but non lucratifs (OBNL).

Comme les OBNL ont accès aux programmes de soutien financier des deux paliers de gouvernement, les fonds investis dans la préservation des espèces menacées peuvent être substantiels. Par exemple, le Zoo de Granby travaille sur deux équipes de rétablissement, le groupe des chauves-souris et la tortue molle à épines. Chaque équipe gère un budget de fonctionnement octroyé annuellement par le MFFP. Ainsi, le sort d’une trentaine d’espèces semble être entre bonnes mains.

Notons toutefois qu’il y a actuellement 38 espèces fauniques et 78 espèces floristiques en péril au Québec. Notons également que rien n’est simple quand le principe du développement durable n’est pas bien appliqué. Autrement dit, si la politique désire davantage développer l’économie de la province ou du pays, ce sera souvent au détriment de l’environnement…

Tortue molle à épines
Tortue molle à épines Domaine public

Je demeure toutefois optimiste quant aux actions entreprises par les dizaines d’organismes de conservation au Québec et constate le dynamisme des équipes de travail en place.

Pour donner un exemple concret, le Zoo de Granby travaille au rétablissement de la tortue molle à épines en dirigeant un programme de suivi de la ponte en nature et une initiative d’incubation artificielle des œufs et de relâche des juvéniles dans leur habitat naturel.

En 2017, nous en serons à une millième relâche ! Parmi les partenaires les plus importants qui collaborent aux projets de protections d’habitats et d’espèces en péril, je tiens à souligner le travail des organismes de bassins versants (ROBVQ) qui travaillent en fonction des systèmes hydrologiques et de la gestion intégrée de l’eau.

D’autres partenaires œuvrent en intendance d’habitat et tentent d’encourager les particuliers et les municipalités, notamment, à céder leurs propriétés (milieux naturels d’importance) pour des fins de conservation à perpétuité. L’objectif du gouvernement du Québec est d’atteindre 17% d’aires protégées en 2020 et les résultats à date se résument à 9,3%. Nous sommes donc loin du compte.

 Vue depuis le sommet du sentier de la Chouenne dans le Parc national des Grands-Jardins au Québec
Vue depuis le sommet du sentier de la Chouenne dans le Parc national des Grands-Jardins au Québec Mathématicien joyeux

Bon nombre de cadres administratifs ont été mis en place en France à travers Réserves Marines, PNA et autre TVB pour ne citer que ceux-là. Comment, dans les grandes lignes, le gouvernement québécois a-t-il règlementairement organisé la protection des espèces menacées ?

Le Québec compte quelques lois pertinentes à ce sujet. La loi sur la qualité de l’environnement, la loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune et la loi sur les espèces menacées ou vulnérables constituent de bons cadres de référence pour nos biologistes, aménagistes, géographes, ingénieurs forestiers, promoteur de projets immobiliers, municipalités, etc.

Le nombre d’agents de protections de la faune n’est toutefois pas suffisant pour veiller au respect des différents articles de ces lois sur le terrain. Et les fonctionnaires manquent de ressources également, d’où le besoin de travailler de concert avec les ONG et les entreprises privées.

Par exemple, même si le Québec a désigné 116 espèces menacées ou vulnérables à ce jour, 115 espèces fauniques et 507 espèces floristiques susceptibles d’être désignées attendent toujours leur statut officiel d’espèces en péril. N’oublions toutefois pas que le Québec est très vaste et que chaque fonctionnaire ou agent de terrain tente d’optimiser et même de maximiser les actions de protection de la nature. Je demeure aussi optimiste sur ce point.

En France, la société civile s’organise principalement en associations ou, plus rarement, en collectifs afin de participer à la protection des espèces et des milieux.
Hormis celles qui sortent de leur rôle en proposant des services, les associations permettent à la fois de porter des problématiques environnementales aux yeux du grand public et d’influencer les politiques publiques pour faire bouger les lignes.
Quelle forme prend l’action citoyenne en la matière au Québec ?

La force du nombre ! C’est ce qui fait évoluer nos sociétés. On constate une croissance marquée dans le nombre et l’implication des comités de citoyens partout au Québec, notamment où des projets de développement viennent potentiellement perturber l’équilibre écologique de certains milieux naturels.

La conscience collective est tellement grande à cet égard que lors des dernières élections municipales de 2013 au Québec, bon nombre de partis politiques ayant la fibre verte ont remporté leur élection. Les groupes de citoyens s’organisent, se mobilisent et agissent également par des moyens de pression ou des actions de conservation en collaboration avec les organismes environnementaux.

Je constate également que les projets intègrent de plus en plus la participation citoyenne aux plans de protection mis en place. Le Zoo de Granby, par exemple, travaille sur deux projets localement où les citoyens prennent part aux activités. On les invite à installer des nichoirs pour oiseaux, des dortoirs à chauves-souris, etc. On les encourage et on les assiste dans l’aménagement de bandes riveraines, de corridors fauniques, etc. On forme des groupes de bénévoles qui deviennent nos yeux et nos oreilles sur le terrain.

En 2015, la petite municipalité de Pike River en Montérégie, lieu où habitent cinq espèces de tortues, a décidé d’inaugurer son nouveau festival annuel : le festival des tortues. Les élus et les citoyens sont proactifs dans ce village de 800 âmes. C’est ce qui me motive profondément dans mon travail de biologiste de la faune.

De quelle manière intégrez-vous les problématiques de conservation des espèces aux rôles de vos parcs animaliers ?

En Amérique, l’Association of Zoos and Aquarium (AZA) représente plus de 241 institutions zoologiques. Les standards et les conditions d’accréditation sont très élevés. Chaque institution zoologique accréditée par l’AZA doit être en mesure de tendre vers un investissement de 3% de son budget d’opération en conservation in situ.

En 2015, 221 des 241 institutions zoologiques ont dépensé près de 186 000 000$ dans plus de 3 200 projets de conservation dans 121 pays. Le Zoo de Granby ne fait pas exception à cette règle.

L’enjeu de la conservation et de la recherche fait évidemment partie de la mission du zoo. Je vous présente la liste des principaux projets du Zoo de Granby en 2016, localement et au niveau international :

  1. Mise en valeur et préservation des Boisés-Miner (124 hectares) à Granby.

    • Inventaires de la faune et de la flore (18 espèces menacées répertoriées).
    • Sensibilisation et éducation (conception de panneaux didactiques et d’activités d’interprétation).
    • Participation citoyenne (210 propriétés voisines des boisés, cahier des bonnes actions éco-citoyenne, pose de nichoirs à oiseaux et dortoirs à chauves-souris).
  2. Rétablissement de la tortue molle à épines dans la région du Lac Champlain.

    • Suivi des femelles et des activités de ponte.
    • Suivi des juvéniles.
    • Programme d’incubation artificielle des œufs et de relâche des juvéniles en nature.
    • Initiative de marketing social avec cinq clientèles cibles (écoles, plaisanciers, producteurs agricoles, monde politique, citoyens riverains).
  3. Rétablissement des chauves-souris.

    • Inventaires et suivis de maternités.
    • Sensibilisation à ce monde méconnu et mal-aimé.
    • Formation des firmes d’extermination (gestion parasitaire).
    • Opération d’un refuge au Zoo de Granby.
  4. Conservation et mise en valeur du Parc national de Campo Ma’an au sud du Cameroun.

    • Lutte contre le braconnage (priorité sur éléphants, gorilles et chimpanzés).
    • Éducation et sensibilisation des communautés riveraines (dont peuples autochtones bagyeli et bantou).
    • Soutien dans les conflits entre homme et faune (migration des éléphants).
    • Mise en place d’une initiative écotouristique soutenue, notamment au niveau du premier groupe de gorilles habitués à la présence humaine au Cameroun.
    • Recherche scientifique et acquisition de connaissance.
  5. Soutien financier à plusieurs organismes de conservation.

Éléphanteau et sa mère
Éléphanteau et sa mère Domaine public

Évidemment, avec plus de 180 millions de visiteurs dans les institutions AZA annuellement (2,6 million au Québec, 700 000 au Zoo de Granby), les zoos et aquariums ont un pouvoir de sensibilisation indéniable au niveau de la préservation de la nature.

Bien sûr, chaque institution doit montrer l’exemple et faire en sorte que ses pratiques soient en lien avec cette mission. De la quarantaine d’espèces menacées gardées au Zoo de Granby, la majorité font partie de programme de gestion génétique et de reproduction. Les projets internationaux auxquels nous collaborons en milieu naturel concernent les animaux exotiques de notre plan de collection.

Par contre, le Zoo de Granby collabore à de nombreux projets locaux même s’il ne présente aucune faune indigène au sein de son institution. Agir localement demeure une action très appréciée de la part de nos visiteurs, des organismes subventionnaires québécois et canadiens… et des médias !

La quasi absence de fonds privés et l’assèchement des fonds publics en règle générale ainsi que l’allocation des budgets dédiés à l’environnement principalement orientés vers les énergies renouvelables, et donc l’industrie, rendent la période très délicate pour ceux qui, comme nous, essayent de vivre en protégeant la biodiversité. Qu’en est-il au Québec ?

Les questions précédentes résument assez bien mon point de vue à ce sujet.

En résumé, il y a de l’argent au Québec et au Canada pour la protection de la biodiversité, mais les projets doivent être très bien montés, il doit y avoir des investissements de la part d’autres partenaires privés (souvent à hauteur de 50% du projet global) et une capacité évidente de l’organisme demandeur de mener à terme et d’évaluer les performances de son projet.

J’aimerais porter à votre attention la façon de fonctionner de la Fondation de la Faune du Québec (FFQ), organisme de conservation d’importance au Québec, dans l’octroi de soutiens financiers pour des projets de conservation et de protection d’habitats.

La FFQ engrange des revenus très importants grâce à une entente avec le gouvernement du Québec. En effet, 60% de ses revenus proviennent de la contribution des pêcheurs, des chasseurs et des trappeurs lors de l’achat de leur permis de pêche, de chasse et de piégeage. La fondation redistribue par la suite ces sommes aux divers intervenants en conservation. Ainsi, pour l’exercice 2015-2016, la FFQ a versé près de 6 000 000$ à des projets fauniques sur tout le territoire du Québec.

Proverbe Québécois
Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il n'a pas de culotte pour passer l'hiver ?

Les Espèces Exotiques Envahissantes (EEE comme définies par l’INPN) constituent une problématique écologique mondiale. De quelle façon sont-elles gérées au Québec ?

Une espèce envahissante, La moule zébrée (Dreissena polymorpha)
Une espèce envahissante, La moule zébrée (Dreissena polymorpha) Domaine public

Le Conseil québécois des Espèces Exotiques Envahissantes gère une bonne partie de la problématique au Québec. Autrement, des universitaires et les municipalités font leur part afin d’enrayer ou de contrôler la présence d’EEE.

Seulement dans le fleuve Saint-Laurent, plus de 36 EEE sont présentes et amènent bien des maux de tête. En milieu urbain, l’agrile du frêne est entrain de décimer les populations de frênes au sud du Québec. 13 000 frênes ont été abattus depuis 2011 sur l’île de Montréal et cette action malheureuse se prolonge dans les autres municipalités voisines.

Il a fallu plusieurs années au gouvernement pour bien comprendre la problématique associée aux EEE. Mais quand cela concerne directement les citoyens, on dirait que nos élus se réveillent !

Si en un claquement de doigts vous pouviez faire comprendre à tous les êtres humains un et un seul principe de biologie au sens large, lequel serait-il ?

Penser globalement, agir localement. Et agir maintenant, car demain, c’est aujourd’hui ! L’Homme est la plus grande menace sur Terre, mais aussi la meilleure solution au point où nous en sommes rendus. A lui de rééquilibrer le tout intelligemment par les grands principes du développement durable.

Pour conclure

Nombre de projets sur la table et certainement d'autres dans les cartons, Patrick Paré aura certainement encore des choses à nous conter à l'avenir. Espérons que la cause environnementale avancera dans le bon sens autant au Québec qu'ailleurs !

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Julien Hoffmann

Rédacteur en chef — DEFI-Écologique

Fasciné depuis 20 ans par la faune sauvage d'ici ou d'ailleurs et ayant fait son métier de la sauvegarde de celle-ci jusqu'à créer DEFI-Écologique, il a également travaillé à des programmes de réintroduction et à la valorisation de la biodiversité en milieu agricole.

Il a fondé DEFI-Écologique avec la conviction qu'il faut faire de la protection de l'environnement un secteur économique pour pouvoir réellement peser sur les politiques publiques.

 Julien est membre de DEFI-Écologique.

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2 réponses à “Interview de Patrick Paré, Président de l’Association des biologistes du Québec”

  1. Bonjour, je souhaiterais revenir sur la première partie de l’article qui traite de la protection réglementaire des espèces animales et végétales. Le cadre législatif québécois semble très proche de celui de la France (article L. 411- 2 du code de l’environnement en particulier). Par contre, je note que la législation québécoise introduit une distinction entre espèce menacée et espèce vulnérable. Si cette notion existe chez nous via la cotation du statut de menace UICN, cette distinction n’apparaît pas dans les articles traitant spécifiquement de la protection des espèces. Dans les faits, est-ce que le niveau de protection réglementaire au Québec est différent selon ces deux cas? Par ailleurs, est-ce que vos outils de protection intègrent la notion de perturbation intentionnelle (cas par exemple du dérangement occasionné par la chasse photographique, l’utilisation de pièges lumineux pour attirer les hétérocères…)? S’agissant du nombre d’espèces bénéficiant d’un statut de protection, je note que celui-ci est plutôt faible comparativement à la France alors même que sa superficie est bcp plus importante et que le nombre d’espèces végétales (par exemple) en danger est de 375 selon l’atlas de la biodiversité québecoise (http://www.cdpnq.gouv.qc.ca/pdf/Atlas-biodiversite.pdf). En France, la portée de la protection est très variable selon les groupes d’espèces (très forte chez les oiseaux par exemple et très réduite par exemple chez certains ordres d’insectes tels que les coléoptères…) mais globalement le nombre d’espèces bénéficiant d’un statut de protection est sensiblement plus élevé. Merci pour votre article très intéressant, Bien cordialement, David HAPPE

    • Merci pour votre commentaire. Selon la loi au Québec, les espèces vulnérables (dont la survie est précaire) et les espèces menacées (dont la disparition est appréhendée à court/moyen terme) ont la même protection. La notion de perturbation est toujours prises en considération à travers nos projets de conservation. Je pense notamment aux plaisanciers qui naviguent et dérangent dans certaines zones sensibles pour les tortues, ou encore le propriétaire qui doit tenir son chien en laisse et demeurer dans les sentiers dans un parc faunique. Pour le pistage et la photographie, il y a des codes d’éthique à respecter selon la notion du gros bon sens, mais rien au niveau de la loi à ma connaissance. Concernant votre dernier commentaire, il est vrai que le Québec est plus vaste, mais il est beaucoup moins peuplé que la France. Certaines zones demeurent donc très intéressantes pour la faune et la flore. Salutations aux cousins français!

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