Sauvegarder le Grand Tétras dans les massifs forestiers : entre conciliation des usages et conservation

Oiseau emblématique de la forêt primitive, le Grand Tétras (Tetrao urogallus), est une espèce particulièrement sensible au dérangement.

Comment peut-on prendre en compte sa quiétude dans le développement touristique et dans les divers dispositifs de protection de l’environnement ? Comment sauvegarder le Grand Tétras ?

Ce que vous allez apprendre

  • Qui est le Grand tétras 
  • Quelles sont les causes de sa régression et quels sont les enjeux de sa préservation
  • Que le Grand tétras occupe une place centrale dans les conflits d’usage des milieux forestiers 
  • Comment concilier valeur écologique et valeur d’usage de la nature sur des territoires qui sont à la fois espaces récréatifs, lieux de production et réservoirs de biodiversité
Clara Erard
L’enjeu étant d’aboutir à un dispositif bénéficiant à l’ensemble de la biodiversité forestière en évitant une hiérarchisation dans l’ordre du vivant difficilement justifiable.

Généralités sur l’espèce

Morphologie

Grand Tétras mâle accompagné de deux femelles
Grand Tétras mâle accompagné de deux femelles C. Cuenin

Le Grand Tétras appelé aussi Coq de bruyère ou Grand coq, est le plus gros galliforme sauvage d’Europe et le plus gros oiseau forestier de France.

  • Poids des coqs adultes : de 2,5 à 5 kilogrammes

  • Poids des poules adultes : de 1,5 à 2,5 kilogrammes

  • Poids des poussins à l’éclosion : 35 grammes

Ce taux de croissance est le plus fort de notre avifaune à l’exception des canards, plus performants !

Le plumage des coqs est dominé par le noir et présente des reflets métalliques bleu- violets ou verts. Les rectrices sont brun-noir, ornées de taches blanches. Dressées, elles forment un éventail caractéristique de l’espèce lors des parades nuptiales. La tête est ornée d’une petite barbe noire et les yeux marrons surmontés de caroncules rouges érectiles. Le bec recourbé est de teinte jaunâtre. Chez la poule, le plumage est dominé par le roux. La tête est également ornée de caroncules rouges beaucoup moins développés que chez le mâle. Le bec, plus modeste que celui du coq, est brun foncé.

Un oiseau adapté au froid

Cet oiseau présente diverses adaptations au froid et à l’enneigement, dont les plus remarquables sont :

  • Les narines et les tarses emplumées.

  • La présence d’appendices cornés qui poussent de la fin de l’été à l’hiver, élargissant les doigts en raquettes à neige.

  • L’existence de deux longs appendices branchés sur l’intestin, appelés cæcum, permettant à l’espèce la digestion de végétaux très ligneux. Des bactéries proches de celles des ruminants permettent la détoxification des résines de conifères, seule nourriture possible lorsque tout est recouvert de neige.

Répartition et situation

 Répartition géographique du Grand Tétras occidental Tetrao urogallus
Répartition géographique du Grand Tétras occidental Tetrao urogallus IUCN Red List spatial data

L’aire de répartition du Grand Tétras s’étend du nord-ouest de l’Espagne à la Sibérie orientale. Neuf sous-espèces sont reconnues, dont deux se rencontrent en France : Tétrao urogallus major dans les Vosges et le Jura, et Tétrao urogallus aquitanicus, plus petite, dans les Pyrénées. Les deux sous espèces ont été réintroduites dans les Cévennes entre 1976 et 2004 mais on ne sait actuellement pas laquelle des deux subsiste aujourd’hui. L’espèce a disparu des Alpes dans les années 2000.

Bien qu’au niveau mondial, les préoccupations soient mineures, son statut français et régional est très préoccupant :

Repartition communale du Grand Tétras en 2009. En Jaune : aire de présence régulière de l'espèce - En Rouge , rose et orange : Aires de présence anciennes - En vert : secteurs de recolonisation
Repartition communale du Grand Tétras en 2009. En Jaune : aire de présence régulière de l'espèce - En Rouge , rose et orange : Aires de présence anciennes - En vert : secteurs de recolonisation Observatoire des Galliformes de Montagne

Avec une population de moins de 300 adultes (et 200 dans le Jura Suisse), la population jurassienne est actuellement la deuxième de France, avant les Vosges (environ 50 adultes) et bien après celle des Pyrénées (environ 6 000 adultes).

La sous-espèce major n’est plus chassée depuis 1974. En revanche, les coqs de la sous-espèce pyrénéenne aquitanicus, sont encore chassables dans les départements où l’indice de reproduction annuel est supérieur à un jeune par poule.

Habitat

Comparaison schématique des structures des peuplements en futaie jardinée (gauche) et futaie régularisée (droite)
Comparaison schématique des structures des peuplements en futaie jardinée (gauche) et futaie régularisée (droite) La filière forêt-bois du Parc, Vercez, Prost, Pesce, et al,

Hôte discret des forêts d’altitude âgées et claires, le Grand tétras vit entre 400 et 1 400 mètres d’altitude dans les Vosges et dans le Jura, et jusqu’à 2 400 mètres dans les Pyrénées.

Son habitat préférentiel relève de la pessière : sapinière accompagnée de hêtre, gérée en futaie jardinée. Ce traitement sylvicole se caractérise par une diversité structurale, au niveau vertical (étagement des hauteurs) et horizontal (variabilité des diamètres). Le maintien des clairières, la permanence du couvert forestier, la persistance d’arbres de gros diamètres et la diversité des essences bénéficient à la biodiversité forestière via des interactions complexes. Un recouvrement de la futaie inférieur à 70% permet à la lumière d’arriver au sol et favorise ainsi le développement de la strate basse, en particulier de la myrtille, élément clé de la survie de l’espèce. Un sous étage arbustif clair permet un camouflage aisé des nichées.

La présence de résineux tels que le pin à crochets et le sapin pectiné, unique nourriture hivernale du Grand Tétras, est un élément clé des zones d’hivernage. Cette gestion s’est largement imposée dans le Haut-Jura par sa capacité à maintenir une production de bois régulière et de qualité malgré la lente croissance végétale.

Cycle de vie : les 4 saisons du Grand tétras

Saisonnalité de l’utilisation de l’habitat forestier par le Grand Tétras selon son cycle biologique. Ce schéma traduit d’une grande différence dans l’habitat utilisé et les ressources consommées entre l’hiver et l’été.
Saisonnalité de l’utilisation de l’habitat forestier par le Grand Tétras selon son cycle biologique. Ce schéma traduit d’une grande différence dans l’habitat utilisé et les ressources consommées entre l’hiver et l’été. Groupe Tétras Jura

Le cycle biologique du Grand Tétras est marqué par une forte saisonnalité.

  • En hiver, il recherche la présence de conifères (sapins et pins) dont il se nourrit des aiguilles.

  • Au printemps, les coqs se retrouvent sur les places de chant pour parader et se reproduire.

  • L’été marque la période des pontes et l’élevage des poussins. Les poules nichent alors dans une strate herbacée nourricière et protectrice dominée par la myrtille. Les poussins s’y nourrissent d’insectes jusqu’à l’âge de 4 semaines.

  • En automne, le Grand Tétras trouve la majorité de leur nourriture au sol : framboises, sorbes, mures et surtout myrtilles (jusqu’à 59% du régime alimentaire des femelles dans les Alpes).

Le saviez-vous ? Le Grand Tétras est une espèce parapluie !

Cette dépendance à un type d’environnement particulier rend sa présence révélatrice des conditions du milieu, lui valant souvent le statut d’espèce indicatrice. La prise en compte de la guilde d’espèces associée au Grand Tétras est un moyen de caractériser la qualité, la naturalité et l’intégrité des milieux forestiers.

Cortège d'espèces favorisé par l'amélioration de l'habitat du Grand Tétras
Cortège d'espèces favorisé par l'amélioration de l'habitat du Grand Tétras Clara Erard

Toutes les actions mises en place en sa faveur bénéficient à tout un cortège d’autres espèces, telles que la Gélinotte des bois (Bonasia bonasia), la Bécasse des bois (Scolopax rusticola), la Chouette chevêchette (Glaucidium passerinum), le Pic tridactyle (Picoides tridactylus (L.)), mais également des insectes saproxyliques (inféodés au bois mort) ou encore des mousses et des lichens. À ce titre, le Grand Tétras est considéré comme une espèce parapluie, gage d’une biodiversité forestière importante !

Clara Erard
Il a été démontré, aujourd’hui, que toutes ces activités, peuvent être source de dérangement pour les espèces.

Les causes de régression

Si les écosystèmes d’altitude apparaissent plutôt préservés (peu peuplés et objets d’une agriculture extensive), ils sont aujourd’hui, dans leur ensemble, menacés par diverses activités anthropiques auxquelles s’ajoutent les effets du changement climatique.

L’évolution de l’habitat

Agissant comme un accélérateur des facteurs d’influence déjà actifs en montagne, le dérèglement climatique est source de déplacement des cycles biologiques et d’évolution des biotopes forestiers. Un accroissement de la dynamique des feuillus en altitude provoque ainsi une fermeture rapide du sous-étage forestier et une disparition des clairières forestières.

Le moindre investissement dans les travaux sylvicoles et la disparition progressive du pâturage en forêt sont des facteurs aggravant cette fermeture. Ainsi les pelouses et pré-bois riches en espèces végétales, conditionnant la présence des galliformes, sont aujourd’hui en déclin.

La destruction directe d’individus

La prédation est la première cause de mortalité de l’oiseau avec 58% de mortalité constatée dans les Pyrénées, la deuxième cause étant la percussion avec les câbles aériens. Parmi les prédateurs, quatre espèces sortent très nettement du lot : la Martre (Martes martes), le Renard (Vulpes vulpes), l’Aigle royal (Aquila chrysaetos) et l’Autour des Palombes (Accipiter gentilis). Le Sanglier, aujourd’hui présent sur l’ensemble de la chaîne jurassienne, est de plus en plus accusé de prédater les pontes et les jeunes poussins.

Le sanglier, qui était rare ou absent en altitude, tend à devenir fréquent, avec le réchauffement climatique et le nourrissage.

La multiplication des infrastructures tend aussi à attirer des espèces prédatrices ubiquistes et opportunistes. Ces changements d’utilisation des terres et la pratique de l’agrainage semblent être des facteurs d’augmentation des contacts entre prédateurs généralistes et tétraonidés induisant un accroissement du risque de prédation.

Clara Erard
le Grand Tétras est considéré comme une espèce parapluie, gage d'une biodiversité forestière importante

Le dérangement de l’espèce en période sensible

Méthode d’estimation de la surface impactée par le dérangement provoqué par une ou plusieurs pistes de ski.
Méthode d’estimation de la surface impactée par le dérangement provoqué par une ou plusieurs pistes de ski. Thiel et al.
Schéma montrant que le dérangement ajoute des effets de stress à ceux de la prédation. Pour Frid & Dill (2002) ces deux types d'effets sont comparables : tous deux induisent des stratégies anti-prédateurs coûteuses en temps et en énergie, ce qui diminue l'espérance de vie de l'animal.
Schéma montrant que le dérangement ajoute des effets de stress à ceux de la prédation. Pour Frid & Dill (2002) ces deux types d'effets sont comparables : tous deux induisent des stratégies anti-prédateurs coûteuses en temps et en énergie, ce qui diminue l'espérance de vie de l'animal. Frid & Dill

L’urbanisation croissante, le développement des transports et l’acquisition d’une autonomie de pratique grâce aux outils numériques (GPS et topographies en ligne) engendrent une sur-fréquentation des espaces naturels qui rend complexe la possibilité de sauvegarder le Grand Tétras. Cet usage récent de la montagne en tant qu’espace récréatif prend de plus en plus d’ampleur aux yeux des élus et des pouvoirs publics étant donné les flux financiers qu’ils génèrent. Par ailleurs, l’enneigement, de plus en plus déficitaire et irrégulier, est aussi à l’origine d’une accessibilité précoce et croissante des forêts d’altitude. Se confrontent alors activités traditionnelles (exploitation forestière, agriculture, pastoralisme) et activités plus récentes liées aux infrastructures modernes (loisirs). Il a été démontré, aujourd’hui, que toutes ces activités, peuvent être source de dérangement pour les espèces.

En effet, en période hivernale, le Grand tétras a une stratégie comportementale visant à minimiser ses dépenses d’énergie, ce qui lui permet de limiter au maximum ses besoins trophiques. En régime de survie, les animaux réagissent aux dérangements par des taux d’hormones de stress accrus. Ce stress prolongé se solde généralement par un affaiblissement du système immunitaire et par conséquent, une diminution des chances de survie et de reproduction (fitness). La fuite engendre souvent un abandon des sites favorables et des nichées ainsi que des collisions mortelles avec des câbles aériens.

La réduction et le dérangement des habitats peuvent alors confiner les populations dans des zones restreintes et peu favorables.

Clara Erard
Le cycle biologique du Grand Tétras est marqué par une forte saisonnalité.

Les actions pour sauvegarder le Grand Tétras

En 2012, suite au lancement de la stratégie nationale de la biodiversité, le ministère de l’environnement a piloté la production d’une stratégie nationale d’actions en faveur du Grand Tétras 2012-2021, requalifiée en juillet 2016, de Plan national d’actions (PNA) par la loi biodiversité. Afin de permettre une adaptation des actions aux enjeux locaux, une déclinaison conjointe sur le Jura et les Vosges a été proposée pour ces deux massifs hébergeant les principales populations françaises. La DREAL Bourgogne-Franche-Comté en lien avec les DREAL Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes coordonne cette déclinaison, en étroite collaboration avec les Parcs naturels régionaux du Haut-Jura et des Ballons des Vosges, chargés de l’animation de ce plan.

Les Zones Naturelles Protégées

Zones protégées sur la Réserve naturelle nationale de la Haute Chaîne du Jura. Le périmètre du Site Natura 2000 se superpose à celui de la RNN. Réserve Naturelle Nationale de la Haute-Chaine du Jura.
Zones protégées sur la Réserve naturelle nationale de la Haute Chaîne du Jura. Le périmètre du Site Natura 2000 se superpose à celui de la RNN. Réserve Naturelle Nationale de la Haute-Chaine du Jura. Réserve Naturelle Nationale de la Haute-Chaine du Jura

Un réseau d’aires protégées a été mis en place afin sauvegarder le Grand Tétras en facilitant la sauvegarde de ses sites vitaux et des noyaux centraux de ses populations. Le niveau de protection repose sur deux approches complémentaires : l’engagement volontaire (contractualisation via Natura 2000) et la réglementation (Arrêtés Préfectoraux de Protection de Biotope et Les réserves naturelles nationales).

Dans les Vosges, 25% de la population se trouve au sein de quatre réserves naturelles et les 75% restants au sein des 6 réserves biologiques créées par l’ONF sur plus de 7 000 hectares.

Dans le Jura, 32% de l’aire de présence régulière du Grand Tétras se trouve dans la réserve naturelle nationale de la Haute Chaine du Jura et 4 arrêtés de protection de biotope (APPB). Par ailleurs, 5 sites Natura 2000 représente 56% de l’aire de présence (12 000 hectares).

Dans les Pyrénées, le coq de bruyère est présent dans le Parc National des Pyrénées, ainsi que dans neuf réserves naturelles, six réserves biologiques domaniales et sur la réserve nationale de chasse et de faune sauvage d’Orlu.

Au sein de ces aires protégées, le ski de fond et la randonnée hivernale, sont interdits en dehors des itinéraires balisés. La circulation des véhicules à moteur est interdite en dehors des voies ouvertes à la circulation publique et la recherche, l’approche ou l’affût d’animaux pour la prise de vues sont interdits du 1er décembre au 30 juin.

Clara Erard
Cette anthropisation du massif affecte grandement la tranquillité de la faune sauvage.

Restauration de son habitat

Grâce à des crédits Natura 2000, des travaux de restauration d’habitat sont menés sur différents sites du massif jurassien. Ces travaux consistent à réduire de façon drastique le hêtre en sous étage pour favoriser le développement de la strate basse : myrtilles, herbacées, etc.

Les « clauses de tranquillité tétras »

Des « clauses tétras » existent dans les Pyrénées et le Jura. Elles réglementent l’exploitation forestière en imposant des calendriers de travaux et d’exploitation afin d’éviter les dérangements sur les zones d’hivernage, de parade et de nidification durant les périodes critiques. Aujourd’hui, ce système de clause s’applique sur environ 3700 hectares de forêt dans le Jura.

Dans le cas du massif vosgien, une directive Tétras de l’ONF (Office National des forêts) définit également un zonage validé dans les documents d’objectifs Natura 2000 au sein duquel les interventions sylvicoles sont proscrites du 1er décembre au 30 juin.

Equipement des câbles de remontées mécaniques

Des systèmes de visualisation sont élaborés pour limiter les risques de collision avec les téléskis, télésièges et autres câbles aériens de transport.

Zones de quiétude

Signalétique présente sur le terrain afin de matérialiser les Zones de Quiétude de la Faune Sauvage
Signalétique présente sur le terrain afin de matérialiser les Zones de Quiétude de la Faune Sauvage Réserve Naturelle Nationale de la Haute-Chaine du Jura

Afin d’assurer la tranquillité de la faune, un arrêté préfectoral peut instituer des zones de quiétude de la faune sauvage. Dans celles-ci, la pratique de la randonnée sous toutes ses formes (à pied, en raquettes à neige ou à ski) est strictement interdite du 15 décembre au 30 juin. Elles sont au nombre de 7 dans le Haut -Jura.

Clara Erard
Il convient donc de faire du dispositif de tranquillité un objet d’adhésion et d’engagement collectif via une résolution des conflits d’usage émergents et une organisation collective des pratiques.

Vous avez dit tranquillité ? Focus sur les dispositifs volontaires et concertés.

Malgré cette réglementation la situation d’ensemble a continué de se dégrader.

Aujourd’hui, la prise en compte de la notion de tranquillité dans le développement touristique est ressentie comme une contrainte par les pouvoirs publics et comme une atteinte à la liberté individuelle par les pratiquants. Au vu de la crispation inhérente aux outils règlementaires, il devient nécessaire d’envisager des dispositifs volontaires et concertés, conciliant les usages de ces espaces multifonctionnels.

Situation géographique et délimitations officielles du Parc naturel régional du Haut-Jura (PNRHJ) : les régions et départements concernés
Situation géographique et délimitations officielles du Parc naturel régional du Haut-Jura (PNRHJ) : les régions et départements concernés Clara Erard

La forêt haut-jurassienne est un bon exemple. Elle est le socle de toute une économie locale (plus de 2 500 emplois) et un espace de loisir privilégié. Abritant 5% des effectifs jurassiens (Jura français) du galliforme, le massif de Champfromier constitue avec la Haute-Chaîne du Jura, la dernière zone de présence du Grand Tétras dans l’Ain mais également à l’échelle de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il s’avère aussi être l’un des sites les plus fréquentés du massif jurassien à l’année. Cette anthropisation du massif affecte grandement la tranquillité de la faune sauvage.

Le Parc naturel régional du Haut-Jura, en tant qu’animateur du Plan national d’action Grand Tétras, a souhaité agir de manière complémentaire sur l’organisation collective des pratiques et sur la communication envers les acteurs et pratiquants en donnant naissance à un dispositif de tranquillité non règlementé. À travers le prisme de ce massif forestier multifonctionnel, voyons ensemble sur quels fondements repose cette expérience de schéma de tranquillité concerté qui se veut écologiquement fonctionnel et socialement respecté :

Une approche volontaire

Compte tenu des règlementations en faveur du Grand tétras existantes sur le territoire, les initiatives le concernant sont mal acceptées. L’abandon de toute approche réglementaire semble à même d’augmenter les chances de réussite en évitant les crispations. Il convient donc de faire du dispositif de tranquillité un objet d’adhésion et d’engagement collectif via une résolution des conflits d’usage émergents et une organisation collective des pratiques.

Une échelle écosystémique et paysagère

Méthodologie de délimitation d’une zone de quiétude écologiquement pertinente et socialement acceptée et respectée. Ce schéma est une superposition de couches, correspondant à la succession des données utilisées au cours de ce travail. Il se lit du haut vers le bas, chaque couche symbolisant les éléments à superposer au cours de la réflexion pour aboutir à un zonage fonctionnel.
Méthodologie de délimitation d’une zone de quiétude écologiquement pertinente et socialement acceptée et respectée. Ce schéma est une superposition de couches, correspondant à la succession des données utilisées au cours de ce travail. Il se lit du haut vers le bas, chaque couche symbolisant les éléments à superposer au cours de la réflexion pour aboutir à un zonage fonctionnel. Clara Erard

Face au manque d’organisation globale des pratiques sur le site, une canalisation de la fréquentation à grande échelle, afin de la rendre prévisible dans le temps et dans l’espace, sera plus efficace qu’une mise en défense locale.

Une canalisation des flux augmente théoriquement la taille des zones intactes et réduit donc le dérangement pour la faune. La démarche repose donc sur le principe de canalisation par incitation (principe des « Nudges » : Oullier & Sauneron, 2011) : c’est à dire, orienter la fréquentation en rendant les itinéraires non recommandés peu accessibles et peu attractifs et les itinéraires balisés facilement identifiables :

  • Barrières naturelles au niveau des points de sortie connus : adaptation du plan de débroussaillement, plantation de résineux, entassement des rémanents, souches et chablis au niveau des jonctions (collaboration avec les sylviculteurs).

  • Prétraçage des itinéraires après les chutes de neige.

Il faut donc prioriser la rationalisation des itinéraires, la gestion des pratiques les plus dérangeantes et la pose d’une signalétique adaptée, pédagogue et positive. Optimiser le réseau d’itinéraires global à l’échelle du massif permettra de restaurer la tranquillité sur des unités plus ou moins connectées. Cette « trame tranquille » dans laquelle les concepts de « forêts à haute valeur écologique », « zones prioritaires » ou « zones de quiétude » ont vocation à être intégrés, favorisera ainsi la recolonisation des espaces propices aujourd’hui non utilisés par l’espèce.

Une entrée « habitat »

Pour finir, une démarche centrée sur les cortèges d’espèces est préférable à une entrée monospécifique pour intégrer les enjeux environnementaux globaux et éviter un discours stéréotypé sur une espèce devenue bouc émissaire. L’enjeu étant d’aboutir à un dispositif bénéficiant à l’ensemble de la biodiversité forestière en évitant une hiérarchisation dans l’ordre du vivant difficilement justifiable. Une meilleure compréhension par le public et les acteurs locaux des enjeux relatifs à la biodiversité et à la conciliation de tous les usages devra permettre, sur le long terme, une réduction des pratiques dérangeantes.

Pour conclure

La réduction du dérangement semble donc nécessiter d’intervenir sur trois points : la quantité du flux de fréquentation, sa qualité (usagers sensibilisés et réseau d’itinéraires adapté) et le degré de pénétration dans le milieu. Compte tenu de l’importance historique et économique du tourisme pour les communes de moyenne montagne, la réduction de la quantité du flux apparait souvent impossible car perçue comme un retour en arrière sur l’offre des pratiques. Une meilleure communication envers les pratiquants ainsi qu’une rationalisation des réseaux d’itinéraires semblent être les leviers d’action les plus acceptables pour assurer une qualité de cheminement des usagers compatible avec la tranquillité des espèces. Puisqu’elle implique l’organisation des activités entre elles, la question de la tranquillité ouvre les débats sur la question de la conciliation de tous les usages. Lorsque des attentes à priori incompatibles se confrontent, la concertation permet de mettre en lumière les conflits mais ne les résout pas nécessairement. Il est donc indispensable que des objectifs de résolution de conflits d’usage soient assignés aux dispositifs afin que les enjeux écologiques ne soient plus considérés comme des visions stratégiques exclusives.

S’il est encore difficile de choisir définitivement en termes d’efficacité entre règlementation et concertation, il est clair que les dispositifs volontaires et concertés offrent des opportunités pour les gestionnaires. En plus de présenter une réelle plus-value en termes d’acceptabilité, ce concept de schéma de tranquillité concerté pourrait s’envisager à des échelles beaucoup plus larges en intégrant ainsi la notion de résilience et de connectivité des milieux naturels. La « trame tranquille » apparait alors comme un outil déclinable pour mieux faire face aux évolutions rapides des milieux dues au changement climatique et améliorer l’adaptation des projets au contexte local.

Comment ce concept de trame tranquille peut-il contribuer à conserver la biodiversité des secteurs très fréquentés ? Il est encore tôt pour le dire, mais le lancement d’initiatives similaires, pour un bon maillage du territoire, offre pour mieux faire face aux évolutions rapides des milieux dues au changement climatique et améliorer l’adaptation progressive des projets au contexte local.

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Cela pose la question de la matérialisation de ces dispositifs : selon vous, doit-elle être identique aux outils réglementaires pour être mieux respectée ou différente pour être mieux acceptée ?

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Clara Erard

Ingénieure d'étude R&D Biodiversité — Total Energies

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6 réponses à “Sauvegarder le Grand Tétras dans les massifs forestiers : entre conciliation des usages et conservation”

  1. Dommage que le grand Tétras soit encore sur la liste des espèces chassable ! Que ce soit par destruction directe d’individu ou par le dérangement du aux parties de chasse, voilà un triste exemple de protection de la biodiversité made in France…

  2. Merci pour cet article intéressant, qui permet à la fois de mieux connaître cette espèce emblématique de la région tout en informant sur les mesures de conservation mise en œuvre. Je pense que je ne suis pas le seul dans ce cas, mais cette espèce m’évoque immédiatement les gourdes de la marque Le vieux Campeur, et de beaux souvenirs de randonnée. J’espère que grâce à la bonne gestion de ces milieux naturels (réduction de flux de passage etc), cet oiseau ne deviendra pas de sitôt un simple logo d’une espèce disparue.

  3. Bonjour,
    Merci pour cet article transversal et enrichissant. Concernant la signalisation, est-ce que la signalétique reglementaire ne fait pas appel à une réflexion logique d’interaction homme-milieu (ne pas faire de feu en milieu forestier) et dès lors la contrainte est plus facile à excepter ?
    Dans le même temps un affichage sensibilisateur, reprenant partiellement les éléments amenés dans cet article, permettrait de façonner une légitimité autour de l’idée de respecter le milieu des tétras et de la guilde associée.
    La logique écologique est complexe et systémique, elle nécessite une expertise pour être diagnostiquée comme pour être vulgarisée et transmise au néophyte. La construction d’une trame de tranquillité, questionnant les usages et les pratiques dans leur fondement (le randonneur se pense fervent défenseur de l’environnement vs les randonneurs arrivant massivement le week end aux pieds des Pyrénées menacent entre autres la reproduction de plusieurs espèces), ne pourra se faire sans médiation. Mais ce raisonnement vaut pour tout ce qui concerne la transition écologique.
    Encore une fois merci pour cet article et au plaisir de vous lire à nouveau.

  4. Article intéressant, merci. Attention : assertion à nuancer : « Au sein de ces aires protégées, le ski de fond et la randonnée hivernale, sont interdits en dehors des itinéraires balisés. La circulation des véhicules à moteur est interdite en dehors des voies ouvertes à la circulation publique et la recherche, l’approche ou l’affût d’animaux pour la prise de vues sont interdits du 1er décembre au 30 juin. » Beaucoup à dire sur les facteurs de régressions (climatiques!), le moratoire cynégétique, les seuils de sensibilité au dérangement, les autres usagers (prof.), l’acceptation politique locale des contraintes et la responsabilité décentralisée de la conservation. Le chemin de la concertation, inévitable, bien sûr. L’éducation à l’approche systémique des plus jeunes… Bien cordialement.

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