Trafic de viande de brousse : vers moins de biodiversité et plus de pandémies ?

Le trafic d‘animaux sauvages est une activité particulièrement lucrative, pour laquelle les risques sont peu élevés et les sanctions légères quand il y en a. En matière de criminalité mondiale, pour un coût estimé à 14,5 milliards d'euros annuels, il arrive en quatrième position après le trafic de drogue, la contrefaçon et la traite d’êtres humains.

Les destinations de ce trafic sont multiples, mais la consommation de viande en est une part non négligeable, quoiqu’encore compliquée à définir dans ses réelles proportions au niveau mondial. Par « viande de brousse » (bushmeat en Anglais) on entend la viande d’animaux sauvages destinée à la consommation humaine, provenant essentiellement du continent africain, mais aussi parfois de pays asiatiques ou d’Amérique latine (définition CITES).

L’actualité due au Covid-19 a durement fait comprendre à l’humanité tout entière que le commerce illégal d’animaux pouvait avoir des conséquences catastrophiques. Si le moment était venu d’agir ?

Ce que vous allez apprendre

  • Comment fonctionne le trafic de viande de brousse
  • Quelles sont les origines de la viande de brousse
  • Quels sont les risque liés à la viande de brousse
  • Quelles sont les éventuelles réponses à apporter au trafic de viande de brousse
Julien Hoffmann
L’actualité due au Covid-19 a durement fait comprendre à l’humanité tout entière que le commerce illégal d’animaux pouvait avoir des conséquences catastrophiques. Si le moment était venu d’agir ?

La viande de brousse en quelques chiffres

C’est d’abord en cherchant à chiffrer le trafic de viande de brousse que l’on prend toute la mesure de la problématique : les données sont rares et très disparates.

Cela est d’autant plus vrai pour l’Amérique du Sud ou l’Asie, où la consommation de viande de brousse est tellement ancrée dans les usages que la notion même de trafic est souvent très distante (ce sont 110 espèces d’animaux sauvages qui étaient en vente sur le marché de Wuhan avant la pandémie de Covid-19).

Au bord de la route, la viande de brousse se trouve aisément
Au bord de la route, la viande de brousse se trouve aisément Wikiseal

En France, le meilleur moyen de comprendre l’ampleur du trafic de viande de brousse est de prendre appui sur l’étude la plus poussée en la matière réalisée à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle en 2010, par et avec la collaboration de la Zoological Society of London (ZSL), le Royal Veterinary College (RVC), l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) et l’Université technique de Munich (TUM) : ce seraient 273 tonnes de viande de brousse qui transiteraient par ce seul aéroport chaque année.

En Guyane française, le commerce de viande de brousse est réalisé à la fois par des chasseurs professionnels, en majorité brésiliens, par les Guyanais eux-mêmes, par les Créoles et les Amérindiens. Jusqu’à 38% de la viande de brousse « produite » peut ainsi y être commercialisée et non uniquement consommée.

Dans le seul bassin du Congo, on estime que la viande de brousse représenterait jusqu’à 11,8 millions de tonnes annuelles, ce qui surpasserait la production bovine européenne.

Aux États-Unis ce seraient 82 tonnes de viande de brousse et d’animaux sauvages de toute la planète qui seraient vendues chaque année à travers tout le pays.

Qu’est-ce que la CITES ?

La CITES est la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, aussi appelée « Convention de Washington ». Elle réunit 183 parties (majoritairement des États), protège plus de 37 000 espèces et permet, depuis 1975, d’encadrer chaque année des centaines de millions de transactions commerciales de plantes et d’animaux.

Aux origines de la viande de brousse dans le monde : la chasse

  • Alimentaire

    La faune sauvage (poissons compris) constitue 20% des apports en protéines animales de peuples ruraux dans près de 62 pays du monde. Parmi eux, certains sont plus dépendants que d’autres à la ressource, tels que l’Afrique Centrale pour laquelle elle représente jusqu’à 80% des protéines et 100% des protéines animales.

  • Opportuniste

    Une ressource à portée de main pour les forestiers
    Une ressource à portée de main pour les forestiers Corinne Staley

    Viande de brousse s’entend souvent avec milieux forestiers, pour des raisons simples d’abondance de la faune sauvage. Des « villages de forestiers » sont ainsi créés par les sociétés forestières afin d’exploiter le bois. Ceci change radicalement le rapport des locaux à la faune sauvage, qui devient alors une ressource exploitable à des fins commerciales.

    Les forestiers saisissent alors l’opportunité, en plus de leur activité de coupe du bois, de chasser non plus pour subvenir à leurs besoins alimentaires mais pour commercialiser la viande ainsi produite. Cet opportunisme ne mène malheureusement pas à une gestion durable de la faune sauvage comme ressource, et ce d’autant plus que les sociétés forestières voient elles aussi un intérêt économique à favoriser un tel commerce en l’appuyant logistiquement.

  • Professionnelle

    Les règlementations en la matière, quand il y en a, font que l’on peut dire que les chasseurs professionnels ne s’embarrassant pas de savoir si l’animal qu’ils abattent est protégé au titre de la CITES ou de la Convention de Berne deviennent de fait des braconniers.

    Mais l’activité de chasse professionnelle (de braconnage de métier, donc, si l’on poursuit le raisonnement), n’est pas une pratique qui trouve ses racines dans une coutume culturelle ou sociétale. Il s’agit d’une activité induite par les problèmes économiques liés à des récessions, de mauvaises saisons agricoles, des guerres, des instabilités politiques, etc.

  • Culturelle

    Si l’on passe le fait que n’importe quel chasseur à travers le monde peut faire valoir, plus ou moins à raison, que c’est là une pratique qui remonte aux origines de notre espèce, la viande de brousse elle-même a bien d’autres facettes culturelles.

    Certains peuples, dont nous sommes, ne peuvent absolument pas imaginer consommer des primates alors que d'autres si
    Certains peuples, dont nous sommes, ne peuvent absolument pas imaginer consommer des primates alors que d'autres si Axel Fassio, CIFOR

    Être chasseur peut procurer un certain prestige, par exemple. Consommer de la viande de brousse peut constituer pour certains une démarche spirituelle ou avoir vocation médicinale. S’en procurer alors que l’on est expatrié permet de continuer à garder un lien avec son pays d’origine. Chasser est souvent une tradition profondément ancrée dans le fonctionnement des communautés. Nombreux sont les riches locaux qui privilégient la viande de brousse à celle d’élevage, et à plus forte raison quand ils habitent en ville, ce qui leur permet de garder un lien avec la forêt.

    Il existe, à travers le monde, pléthore de convictions populaires quant à la consommation de viande de brousse. Dans certains pays d’Amérique du Sud, les femmes enceintes consommant de la viande de gorille verraient leur enfant fortifié. En Asie, consommer de la peau, des os et jusqu’au pénis des tigres permettrait de lutter contre l’impuissance. La liste de ses bienfaits présumés est longue, très longue…

  • Villageoise

    Les populations chassant pour survivre composent la grande majorité des effectifs de chasseurs de viande de brousse qui, en plus de consommer directement la viande qu’ils chassent, en vendent une partie pour améliorer leurs revenus. Ce sont en effet les populations les plus fragiles qui se nourrissent et vivent le plus de la viande de brousse.

    S’il est un grand nombre de pays, surtout en Asie, où le fonctionnement du marché et l’utilisation de la viande de brousse n’a pas été étudié en profondeur, il n’en est pas de même pour tous les pays. De la Zoological Society of London en 2007 à la Food and Agriculture Organisation (FAO) en 2015, de grands organismes se sont penchés sur le rapport entre pauvreté et viande de brousse.

    Ainsi, si le trafic mondial représente des sommes colossales, il n’irrigue pas pour autant les petites mains de ce trafic qui ont pourtant un besoin vital d’y participer. Plusieurs travaux sur le sujet ont pu déterminer combien les revenus de cette chasse étaient médiocres pour les chasseurs, mais aussi établir qu’une connaissance précise du niveau économique était un préalable à toute forme d’action.

    Sur le terrain, le trafic de viande de brousse représente désormais une part non négligeable de l’économie souterraine dans de nombreux pays, ce qui limite par là même la capacité à légiférer ou agir contre cette pratique. Plus le temps passe et plus prendre des mesures à la hauteur de l’enjeu de biodiversité sera difficile.

Julien Hoffmann
Dans le seul bassin du Congo, on estime que la viande de brousse représenterait jusqu’à 11,8 millions de tonnes annuelles, ce qui surpasserait la production bovine européenne.

La viande de brousse : un risque écologique

Aussi sûrement que la chasse peut être écologiquement discutable en France, elle peut l’être dans tous les pays du monde. La pratique est d’autant plus catastrophique quand elle n’est pas du tout encadrée, notamment dans ses incidences sur les effectifs des populations d’animaux sauvages.

Si, comme nous allons le démontrer dans cet article, le problème écologique induit par la viande de brousse est transversal, le risque est énorme non pas pour la seule faune sauvage mais bien pour l’équilibre des écosystèmes tout entiers.

Campagne de sensibilisation du WWF sur le sujet
Campagne de sensibilisation du WWF sur le sujet WWF

Le « syndrome de la forêt vide » explicite parfaitement le phénomène en remontant la chaîne des conséquences de la chasse pour viande de brousse. La chasse, en dehors de tout concept de gestion, a en effet des répercussions directes sur la capacité des écosystèmes à se maintenir, notamment et tout particulièrement en ce qui concerne la zoochorie, la dispersion des graines grâce aux animaux. La disparition des consommateurs de graines (pécaris, agoutis, roussettes, primates, oiseaux frugivores, ongulés sylvicoles… disséminant 75% des graines d’arbres des forêts tropicales humides africaines) ou le dérèglement de leurs populations changent à terme les peuplements d’arbres et, de fait, la typologie du milieu.

Pour exemple au Panama, en seulement 75 ans, les arbres à grosses graines ont supplanté toutes les autres essences du fait d’une meilleure capacité de dissémination (due au hasard donc, Darwin aurait adoré découvrir la chose !) suite à la réduction du nombre d’animaux consommant des graines.

Autre exemple, en Inde, où la pression de chasse pouvant atteindre jusqu’à 90% des proies habituelles des tigres, ces derniers se voient contraints de se rabattre sur des proies plus petites qu’ils n’ont pas pour habitude de chasser, avec pour conséquences des bouleversements dans toute la chaîne biologique. Il faut également ajouter à cela un taux d’efficacité à la chasse qui diminue par manque d’expérience et d’efficacité, ce qui conduit les tigres à devenir opportunistes et à s’attaquer aux animaux domestiques.

Julien Hoffmann
Ce sont en effet les populations les plus fragiles qui se nourrissent et vivent le plus de la viande de brousse.

La viande de brousse : un risque sanitaire

En l’état, on estime que 75% des maladies dites « émergentes » sont des zoonoses, c’est-à-dire des maladies qui se transmettent de l’animal à l’Homme. Le phénomène n’est pas nouveau et nous en connaissons les risques liés depuis bien longtemps, ce qui n’empêche pas nos concitoyens de continuer à nourrir canards, ragondins et pigeons par exemple, ce qui augmente notablement le risque de leptospirose et autre grippe aviaire… Le travail qui reste encore à abattre est énorme !

Le simple exemple de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle a de quoi interroger : une étude de 2017 démontre en effet que sur 18 échantillons prélevés sur de la viande de brousse et 5 sur du poisson séché, tous révèlent non seulement des traces de substances cancérigènes (benzopyrène et autres hydrocarbures aromatiques polycycliques utilisés dans le fumage de la viande de brousse), mais surtout une présence de bactéries vivantes à des taux supérieurs aux recommandations pour la sûreté alimentaire.

Les risques sanitaires liés à la consommation de viande de brousse sont nombreux
Les risques sanitaires liés à la consommation de viande de brousse sont nombreux Corinne Staley

Les volumes de vente sont tels que nous pouvons nous demander comment nous sommes passé pendant aussi longtemps entre les mailles du filet, surtout quand on contextualise la chasse dans ces zones géographiques. Il n’y a pas plus de chance de trouver de chaîne du froid dans une forêt tropicale d’Amérique du Sud que dans celle d’Afrique centrale. Si une bonne part de la viande de brousse est transformée par boucanage (séchage à la fumée), une autre part est conservée vivante, à l’image des explorateurs d’alors qui emportaient des tortues vivantes sur leurs bateaux, ce qui favorise de facto la dispersion de maladies, même si les animaux n’arrivent pas vivants.

Mais le risque sanitaire ne se limite pas à nos seules personnes, car nos propres animaux d’élevage ne sont pas moins concernés. La transmission d’une maladie aux cheptels mondiaux n’est absolument pas à exclure d’autant que de nombreuses piqûres de rappels sur le sujet nous ont déjà été faites entre l’encéphalopathie spongiforme bovine, la fièvre aphteuse, la grippe aviaire ou encore la peste porcine, sans compter la brucellose ou la tuberculose bovine. Sur ce sujet, il est également important de souligner combien le nombre de races d’élevage a diminué, partout à travers le monde, pour des questions de rentabilité et de productivité… Nous nous inquiétons de la dérive génétique chez des espèces à faible effectif, car nous savons qu’elles perdent de fait une capacité d’adaptation, mais nous ne nous en prémunissons pas nous-mêmes.

Si les vaches de race Prim’Holstein (2,5 millions de têtes en France, soit 30% des effectifs totaux et 60% des vaches laitières) contractaient un virus à forte propagation et transmissible à l’Homme, aux agriculteurs les premiers touchés, qui nous nourrirait pendant notre confinement ?

Julien Hoffmann
Le problème écologique induit par la viande de brousse est transversal, le risque est énorme non pas pour la seule faune sauvage mais bien pour l’équilibre des écosystèmes tout entiers.

La viande de brousse : un risque humanitaire

Viande de brousse (crocodile et antilope) au marché Moutuka Nunene à Lukolela en République démocratique du Congo
Viande de brousse (crocodile et antilope) au marché Moutuka Nunene à Lukolela en République démocratique du Congo Ollivier Girard, CIFOR

Toute dépendance à une ressource naturelle terrestre ou maritime non gérée, en partant du principe qu’elle est inépuisable, est une hérésie de premier ordre. Alors que peut-on dire de l’exploitation de la faune sauvage quand une part non négligeable de notre population en est dépendante pour sa survie ?

La surexploitation inconsidérée d’écosystèmes nourriciers complexes ne peut avoir qu’une seule et unique finalité : leur disparition avec toutes les conséquences que l’on imagine. Famines, immigration massive, disparitions de patrimoines culturels, instabilités politiques et guerres sont une fatalité si nous en décidons ainsi.

Ebola et viande de brousse

Le virus Ebola affecte tout autant les humains que les grands singes, qui peuvent nous le transmettre et inversement. Malheureusement, même si nous savons avec certitude depuis 1994 que la viande de brousse peut être vectrice du virus, les habitudes de consommation n’ont que peu changé.

Musaraignes (Sylvisorex ollula), rongeurs (Mus setulosus, Praomys), céphalophes (Cephalophus), sitatungas (Tragelaphus spekii), porcs-épics en tous genres, civettes ou encore potamochères (Potamochoerus) ne sont que quelques exemples de porteurs avérés ou fortement probables du virus.

Il serait utile d’assumer le fait que la propagation du virus, de notre fait et en connaissance de cause, a un impact fort sur les populations d’animaux sauvages qui la contractent, sans même parler des répercussions sur les êtres humains. Le seul exemple de la mort due au virus d’au moins 3 500 gorilles, réduisant de 56% les effectifs de l’espèce en République démocratique du Congo, devrait nous pousser autant à l’humilité qu’à l’action.

Comment lutter contre le trafic de viande de brousse ?

Réprimer dans les pays importateurs : exemple de la France

La lutte contre le trafic de viande de brousse n’est pas une priorité française. À peu de choses près, s’alignant en cela sur les autres pays du monde, l’on peut considérer que la France ne fait rien sur le sujet.

Si l’importation de viande de brousse est interdite, les douaniers en zones aéroportuaires donnent rarement des amendes, considérant que la seule saisie constitue une réprimande suffisamment proportionnée. Il est à noter également que des importations de poissons séchés allant jusqu’à 20 kilogrammes par personne sont tolérées.

En matière d’enquêtes, avec 70 agents et leurs 400 enquêteurs subordonnés formés sur tout le territoire, c’est l’OCLAESP (Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique) qui se charge de travailler sur le sujet. 12 de ces 70 agents seulement sont vraiment axés sur le trafic d’espèces. Sur ces 12 agents, seuls 4 sont plus spécifiquement axés sur la faune sauvage, les 8 autres étant en « soutien ». Enfin, ces 4 agents ne travaillent pas spécifiquement sur la viande de brousse, mais sur le trafic d’espèces sauvages de faune et de flore en général, qui représenterait plusieurs centaines de millions de spécimens par an dans le monde…

Mais rassurez-vous, la loi Biodiversité prévoit des amendes pour toute bande organisée qui déciderait, rongée par la culpabilité, de se rendre de son propre chef dans une gendarmerie pour s’autodénoncer ! Pour mieux cerner les sanctions encourues, nous avons fait quelques recherches documentaires et consulté un avocat. Sans résultat probant autre que des fourchettes allant de 0 à 750 000 euros d’amende et un an de prison, nous avons décidé de ne pas perdre notre temps plus avant pour faire valoir d’hypothétiques sanctions spécifiques aux années bissextiles.

Voici donc pour la France, mais nous n’avons rien relevé de bien plus constructif pour les autres pays.

Réprimer dans les pays exportateurs

Crocodiles, antilopes et singes confisqué par les gardes de la réserve naturelle de Lomako-Yokokala
Crocodiles, antilopes et singes confisqué par les gardes de la réserve naturelle de Lomako-Yokokala amy cobden

Envers l’individu, la répression peut difficilement être encouragée dans le cadre de la lutte contre la viande de brousse, dans la mesure où trop de pays directement concernés ont une situation politique instable, quand elle n’est pas hors de portée pour nous d’une réelle compréhension dans ses tenants et aboutissants. Le fait même que, de l’Asie à l’Amérique du Sud en passant par l’Afrique, il y ait tant de territoires où les droits de l’Homme sont ignorés, exclut l’idée même d’y légitimer une quelconque forme de répression pour quelque raison que ce soit.

Pour ce qui concerne les trafiquants, et au regard des coopérations internationales sur le sujet, la position est autre et on ne peut se contenter d’attendre que les chimpanzés et les gorilles apprennent eux-mêmes à désarmer les pièges qui leur sont destinés. Quand des centaines de mercenaires, appelés dans ce cas « braconniers », ont la capacité de tuer des militaires près du lac Tchad pour pouvoir abattre des troupeaux entiers d’éléphants en quelques jours, au point que les populations d’éléphants restantes quittent la région pour s’enfoncer dans le nord du Cameroun, il nous incombe d’avoir une réaction proportionnée si l’on veut sauver une forme de vie si proche de la nôtre.

Le crime organisé a trouvé dans le trafic d’espèces, et en partie dans la commercialisation de viande de brousse, un revenu dans lequel il a décidé d’une certaine manière d’investir à coups de fusils automatiques, de GPS et de bien d’autres moyens pour surpasser les forces de l’ordre locales, ce qui a poussé à la naissance de la Wildlife Crime Initiative, encore bien insuffisante pour faire face. En Afrique, ce sont 107 rangers qui ont été tués en 2018, 70% des autres avaient contracté la malaria et 60% d’entre eux n’avaient pas accès à l’eau potable… Sans trop de risque de se tromper, l’on peut dire qu’il y a encore une marge de progression sur le sujet.

Interdiction totale face au Covid-19

Face aux risques liés à la consommation de viande de brousse, des pays comme la Chine l’interdisent totalement. Cela pourrait ressembler à une bonne nouvelle. Sans mesures d’accompagnement et de compensation de la ressource toutefois, ce sont non seulement des millions de personnes qui subiront la famine, mais très certainement aussi des pratiques de marché noir qui ne feront que s’accroître.

Interdire, en réaction, la consommation de viande de brousse du jour au lendemain n’a pas plus de sens que d’interdire la pêche. « Prévenir plutôt que guérir » doit définitivement devenir un mode de fonctionnement.

Pérenniser une pratique durable

Marché du matin dans la ville de Yanji dans la région coréenne autonome de Yanbian
Marché du matin dans la ville de Yanji dans la région coréenne autonome de Yanbian Senkaku Islands

Au-delà de la seule gestion durable de la faune sauvage sous l’angle de la conservation, la pression croissante sur cette ressource clef pour bien des populations devient obligatoire. En effet la gestion, quelle qu’elle soit, de la viande de brousse a un impact certes écologique, mais aussi social, économique et culturel, qu’il est indispensable désormais de préserver pour les générations futures.

Plusieurs travaux sur le sujet ont ainsi ouvert des pistes de réflexions globales, notamment en Afrique centrale, qui pourraient porter leurs fruits rapidement si tant est que la communauté internationale s’en saisisse.

Les chasseurs français, potentiellement les premiers écologistes de France, ont également un rôle à tenir. La Fédération nationale des chasseurs pourrait s’emparer du sujet et s’opposer aux pratiques de ceux qui partent tirer à l’étranger, loin de toutes considérations cynégétiques sous prétexte que la chose est légale là-bas. L’actualité nous a démontré que ce qui se passe là-bas a une incidence ici, et que l’heure n’est plus à s’en défausser par corporatisme ou dogmatisme.

Favoriser la production de protéines alternatives

La production agricole n’existe pas pour rien. Il faut cependant être conscient des risques énormes à encourager une agriculture productiviste, motivée par une démographie dynamique.

Cultiver pour nourrir les humains et les animaux domestiques est une activité qui prend de la place. Cette place ne peut être occupée au détriment des espaces naturels encore préservés, sinon l’idée même de lutter contre la production de viande de brousse de cette manière devient vide de sens.

Les méthodes sont cependant nombreuses et les résultats, en Afrique même, de modèles écologiques et économiques viables existent et ont fait leurs preuves. C’est de la volonté, des capacités de financements et des compétences que naîtront les alternatives viables à la viande de brousse et avec elles une indépendance alimentaire salutaire.

Julien Hoffmann
On estime que 75% des maladies dites émergentes sont des zoonoses, c’est-à-dire des maladies qui se transmettent des animaux à aux humains.

Sensibiliser et éduquer

C’est là la clef d’un résultat à moyen et long termes, et surtout le vecteur essentiel d’un changement pérenne des pratiques. C’est très certainement aussi le point le plus complexe à mettre en œuvre.

La sensibilisation des populations sur le terrain est une tâche colossale, qui demande un travail de coopération étroit, basé sur des fondements déontologiques partagés. Elle nécessite des moyens en conséquence, les ONG ne pouvant seules assumer cette mission.

La mise en place d’une médiation efficace induit une compréhension du contexte des interlocuteurs, de leur culture, leur histoire, leur langue, des besoins qu’ils ont identifiés, etc., faute de quoi la démarche sera vouée à l’échec. Pour mettre en place un projet ambitieux, à la hauteur des enjeux, un réseau relais sur le terrain est indispensable pour engager une réelle dynamique structurelle qui s’inscrive dans la durée.

À cela, il est tout aussi indispensable d’associer un travail de fond qui porte sur les générations futures à travers l’école. Non contents de revenir au sempiternel besoin d’un système éducatif performant et autonome du pays d’accueil et donc aux besoins en moyens pour ce faire, il sera nécessaire d’aller encore plus loin en apportant un soutien technique aux établissements.

Rien de ce que l'on fera ne les ramènera à la vie
Rien de ce que l'on fera ne les ramènera à la vie SAVE THE RHINO

Par des systèmes de délégations de temps ou de détachements, pourraient être mises en partage les compétences d’enseignants, d’universitaires, d’agents de l’Office français de la biodiversité ou de représentants du ministère de l’Agriculture. Au service des réalités du terrain, ces coopérations pourraient notamment s’appuyer sur le réseau des établissements d’enseignement français. Ces décisions relèvent de volontés politiques, la chose étant vraie en France, au Cambodge ou encore au Burkina Faso.

Pour se tenir au plus loin de l’ingérence, une telle collaboration ne peut cependant naître sainement que d’un effort de positionnement, notamment économique, de la part de pays tels que la France.

Infléchir sur les revenus des chasseurs

La pression économique sur les plus précaires engendre inévitablement la création de cartels qui exploitent la situation. Le problème économique étant indubitablement la clef du trafic de viande de brousse, notamment à travers le cours plus élevé de la viande d’élevage, c’est au niveau macroéconomique que les choses se jouent, ce qui nécessite aussi une action par pays ou bassin de population.

Au même titre que bon nombre de projets écotouristiques ont vu le jour pour sauvegarder espèces et espaces (avec leurs nombreuses dérives, ne l’oublions pas), il n’est pas illusoire de trouver des mécanismes nouveaux et adaptés dans le cas de la viande de brousse.

Il est question de moyens et de volonté. L’incroyable complexité du problème au niveau économique, comme aux autres niveaux, ne peut plus suffire à justifier un immobilisme vieux de plus d’un demi-siècle, alors même que des pays comme la Chine ont trouvé un intérêt économique et communicationnel à la sauvegarde d’espèces.

Légaliser et taxer la viande de brousse

Les pratiques, à défaut d'être erradiquées, gagneraient à être encadrées
Les pratiques, à défaut d'être erradiquées, gagneraient à être encadrées Joel Abroad

Le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), qui a réalisé un des travaux de recherche les plus complets sur la filière de viande de brousse et les transformations à y opérer pour la rendre durable, préconise également sa légalisation et sa taxation.

Cette initiative permettrait d’amener les chasseurs vers le commerce formel et tout ce qu’il sous-tend de bénéfices, à condition de respecter plusieurs points clefs comme le respect strict des lois, déléguer l’accès et la gestion de la faune sauvage aux peuples autochtones, utiliser les taxes collectées pour faire appliquer la loi sur le terrain ou encore réaliser un suivi efficace de la démarche comme des niveaux de peuplement par espèce.

Pour conclure

Aussi sûrement que la lutte anti-drogue conventionnelle utilisant la seule répression a été un échec, il est totalement illusoire de lutter contre le trafic de viande de brousse avec des moyens classiques et une vision occidentale de la chose.

Tant que ces produits de la chasse seront essentiels à l’alimentation et à la survie d’autant de personnes à travers le monde, la pression continuera à s’exercer sur les espèces cibles. Casser un marché revient avant tout à le rendre vide d’intérêts, à commencer d’un point de vue économique.

Et pendant ce temps-là, les pays du G7 se refusent encore à effacer la dette des pays africains avec les conséquences économiques et sanitaires plausibles que l’on connait désormais. Une nouvelle occasion manquée qui, en profitant à la biodiversité, nous aurait profité à tous.

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Julien Hoffmann

Rédacteur en chef — DEFI-Écologique

Fasciné depuis 20 ans par la faune sauvage d'ici ou d'ailleurs et ayant fait son métier de la sauvegarde de celle-ci jusqu'à créer DEFI-Écologique, il a également travaillé à des programmes de réintroduction et à la valorisation de la biodiversité en milieu agricole.

Il a fondé DEFI-Écologique avec la conviction qu'il faut faire de la protection de l'environnement un secteur économique pour pouvoir réellement peser sur les politiques publiques.

 Julien est membre de DEFI-Écologique.

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5 réponses à “Trafic de viande de brousse : vers moins de biodiversité et plus de pandémies ?”

  1. Pour ma part je ne considère pas la faune sauvage comme une ressource que l’on se permet d’utiliser à notre bon vouloir, que ce soit de façon « durable » (terme que je n’aime pas du tout) ou non.
    Il faudrait peut être aussi voir le point de vue de l’animal plutot que de tout ramener sur l’humain.

    Utiliseriez vous le terme de « gestion des ressources durables » si c’était de l’humain qui était consommé ?

    Ne pas croire que je sous-entends que votre article est un tissu de stupidité, j’exprime juste un point de vue sur une vision que je n’ai apparemment pas vu étudié dans votre article.

    Bonne journée.
    Emmanuel.

    • Bonjour,

      Je pense sincèrement que vous avez raison. Mais peut-on pour autant se contenter de laisser mourir des centaines de millions de personnes qui dépendent de cette ressource alimentaire (oui, c’est factuel, il s’agit d’une ressource alimentaire).
      J’entends votre point de vue, mais je pense que vous grossissez le trait sur les propos tenus dans l’article qui, sans être dogmatique, d’une certaine manière tendent vers votre propre vision. Le problème réside dans les étapes nécessaires à franchir pour y arriver. Mais si effectivement des gens comme vous et moi ne sommes pas capables d’accorder nos violons, inutiles d’attendre des décideurs qu’ils changent quoi que ce soit et pendant ce temps là, ce sera la faune qui trinque.

      • Je ne dirais pas que nous ne sommes pas en phase. Peut être ai je un discours un peu trop radical qui souhaiterais faire le saut, de laisser la faune respirer, trop rapidement. Le trait est volontairement grossis …. oui je n’ai pas le verbage pour faire dans la finesse 😉

        Je concède bien sur que certaine population vivent de la mort d’animaux, lorsqu’elles n’ont pas le choix je le comprends, ce n’est pas moi qui vient de pays dits « riche » (ce qui ne sous-entends pas « évolué » ) qui me permettrais de donner la leçon à certaines population qui respecte bien plus la faune que nous … bon en même temps ce n’est pas trop difficile non plus.
        Il est vrai également que j’ai un dégout du monde de la chasse donc forcément mes propos peuvent heurter certaines personnes mais j’essai de dire ce que je ressens … avec mes mots.

        Emmanuel.

  2. Article interessant MAIS parler des chasseurs en termes de potentiellement premiers ecologistes de France …c’est tomber dans le discours libbiste de ce gouvernement pour qui chasseurs = electeurs, suffisamment nombreux pour faire basculer un scrutin. Sur le plan strictement ecologique et technique ( non politique) les activites des chasseurs ( elevage, chasse etc) sont nefastes pour les ecosystemes et destructeurs de biodiversite. Il faut prendre le temps de considerer leur impact de maniere globale. Sans parler des nuisances et autres aggressiins relevees chaque annee et qui sont en forte augmentation !

    • Si parlez des chasseurs en termes ironique pour critiquer leur campagne de com’ d’il y a quelques mois est le seul écueil sur un tel article de plus de 4.000 mots, c’est qu’il n’est pas mal du tout !
      Merci de votre commentaire,

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