La biodiversité en ville en 6 questions

Bien que l’urbanisation soit à l’origine d’une des principales menaces pesant sur la biodiversité mondiale, paradoxalement, elle peut également jouer un rôle fondamental dans sa conservation.

La planification, la gestion et la nature des espaces verts urbains peuvent contribuer à maintenir et à favoriser la présence de nombreuses espèces végétales et animales indigènes en offrant une large diversité d’habitats et de ressources alimentaires.

Un effet positif sur la biodiversité en ville repose essentiellement sur la prise en compte de paramètres écologiques précis comme la richesse en habitats spécifiques, l’interconnexion des espaces verts entre eux (corridors écologiques), la présence d’espèces végétales indigènes, etc.

En plus d’être favorables à la biodiversité, les espaces verts rendent de nombreux services écosystémiques aux sociétés humaines et sont particulièrement bénéfiques pour le bien-être des habitants.

Ce que vous allez apprendre

  • La richesse d’un espace vert urbain en biodiversité dépend principalement des types d’habitats qu’il abrite
  • Le maintien d’une biodiversité riche dans un espace vert urbain dépend de la quantité en ressources alimentaires et les niches écologiques permettant aux espèces de reproduire et de se développer
  • Une biodiversité d’intérêt consiste à offrir les conditions spécifiques aux espèces indigènes régionales
  • Rôles écosystémiques de la nature en ville : de nombreux bénéfices au service de l’homme, de son environnement et de son bien-être
Benoît Gilles
L’une des premières considérations est d’estimer dans quelle mesure un espace vert peut satisfaire les besoins biologiques, alimentaires et écologiques des espèces présentes.

Question 1 : « Quelle doit être la surface idéale pour la conservation de la biodiversité ? »

Trouver l'espace pour laisser la biodiversité s'exprimer est un enjeu fondamental comme ici à New York sur la fameuse High Line
Trouver l'espace pour laisser la biodiversité s'exprimer est un enjeu fondamental comme ici à New York sur la fameuse High Line U.S. Department of Agriculture

Les espaces verts urbains se caractérisent par des parcelles fragmentées et isolées. Au Royaume-Uni par exemple, seulement 13% de la couverture arborée s’étend sur des parcelles de plus de 0,25 hectare.

Des études de 2009 et de 2010 ont clairement établi que la superficie, la qualité et la quantité d’espaces verts sont des facteurs déterminants pour les populations végétales et animales. Il a par exemple été suggéré que 10 à 35 hectares d’espaces verts continus seraient nécessaires pour maintenir la plupart des espèces d’oiseaux urbanisées.

La plupart des parcelles étant inférieures à ces surfaces, des études de modélisations ont montré que l’ajout de petites parcelles de 150 mètres carrés dans les quartiers augmentait significativement la richesse en oiseaux. Cependant, il existe peu de données concernant d’autres groupes de plantes ou d’animaux, comme les insectes.

Un autre paramètre à prendre en compte est la localisation et la structure urbaine périphérique. En effet, des espaces verts de centre-ville peuvent ne pas supporter le même nombre d’espèces que des espaces verts comparables situés en banlieue. Il est nécessaire d’approfondir la compréhension des réseaux globaux pour proposer des initiatives de conservation efficaces et de maintien de la biodiversité en ville.

Question 2 : « Comment est limitée la taille des populations animales dans les espaces verts ? »

Les surfaces verticales vont permettre à une partie de la faune sauvage de s'exprimer (entomofaune, avifaune) mais ce n'est pas suffisant
Les surfaces verticales vont permettre à une partie de la faune sauvage de s'exprimer (entomofaune, avifaune) mais ce n'est pas suffisant

Une part importante des espèces animales nécessitent une certaine diversité d’habitats pour s’alimenter et accomplir leur cycle de vie. Bien que cela soit le cas en zone urbaine, les connaissances et la compréhension dont les espaces verts sont utilisés par les animaux demeurent particulièrement lacunaires.

L’une des premières considérations est d’estimer dans quelle mesure un espace vert peut satisfaire les besoins biologiques, alimentaires et écologiques des espèces présentes. Par exemple, certaines espèces accompliront la totalité de leur cycle de vie dans un espace réduit et isolé, tandis que d’autres espèces, comme les abeilles mellifères, se déplaçant d’un espace vert à un autre pour collecter suffisamment de ressources alimentaires.

De plus, la difficulté à mesurer les facteurs influençant la taille des populations réside dans le fait que les besoins peuvent évoluer et changer au cours du temps et dans l’espace. Par exemple, il s’agit de maintenir des ressources florales tout au long de l’année afin de garantir la survie d’une large communauté d’insectes pollinisateurs, mais aussi les habitats d’hivernage et les plantes dont se nourrissent les larves pour les espèces migratrices, telles que le Monarque (Danaus plaxippus) en Amérique du Nord.

Benoît Gilles
Une parcelle doit permettre de répondre aux besoins d’une communauté d’espèces en proposant plusieurs types d’habitats, à différentes saisons et aux différents stades du cycle de vie.

Question 3 : « Comment l’hétérogénéité intra et inter-espaces verts affecte-t-elle les communautés de plantes et d’animaux ? »

À l'échelle d'une ville, comme ici Québec, les connectivités sont à réfléchir à long terme
À l'échelle d'une ville, comme ici Québec, les connectivités sont à réfléchir à long terme NASA

Une parcelle doit permettre de répondre aux besoins d’une communauté d’espèces en proposant plusieurs types d’habitats, à différentes saisons et aux différents stades du cycle de vie.

Ainsi, l’hétérogénéité d’un espace vert peut favoriser la coexistence de nombreuses espèces « spécialistes » (spécifiques à une ressource alimentaire, à un biotope, une plante, etc.) seulement si chaque type d’habitat est en mesure de satisfaire des besoins et des ressources diversifiées pour maintenir des populations viables de ces espèces spécialistes.

À l’échelle du paysage, l’hétérogénéité des espaces verts au sein d’une zone urbaine augmente la diversité en espèces végétales, renforçant la diversité en oiseaux par exemple. À l’échelle locale, l’hétérogénéité d’habitats dans un espace vert favorise quant à elle la richesse en espèces de petite taille comme les invertébrés, notamment les insectes.

Les espèces les plus spécialisées sont de ce fait plutôt rares en milieu urbain par l’absence d’habitats spécifiques.

Les relations entre hétérogénéité, taille des parcelles et communautés animales et végétales sont encore à développer.

Question 4 : « Dans quelle mesure les espaces doivent-ils être connectés pour soutenir la biodiversité ? »

Les corridors écologiques constituent désormais un élément important de la planification urbaine et apparaissent comme un outil indispensable pour renforcer la biodiversité dans les espaces verts urbains. Il s’agit de confirmer l’aspect fonctionnel des corridors dans la viabilité des populations.

Un nombre croissant de preuves indique l’amélioration de la biodiversité des habitats urbains en présence de corridors. Les outils génétiques confirment que la connectivité du paysage accentue les flux de gènes entre les espaces verts et, à l’inverse, la fragmentation réduit la diversité génétique.

Il a ainsi mis en évidence que même de petites parcelles au sein d’une ville favorisent la connectivité de populations de petits animaux mobiles comme les papillons de la zone périurbaine vers le centre-ville.

Casharel Nth
La lumière de Paris vient non de son électricité mais de son exceptionnelle biodiversité

Question 5 : « Quand les espaces verts jouent-ils le rôle de piège écologique ou de puits de population ? »

Certains lieux, plus que d'autres, peuvent jouer le rôle de puit ou de piège
Certains lieux, plus que d'autres, peuvent jouer le rôle de puit ou de piège Tama66

Un piège écologique se caractérise lorsqu’un animal sélectionne un habitat de faible qualité plutôt qu’un de meilleure qualité, de sorte que son taux de reproduction et de survie ne permettent pas le maintien d’une population viable.

En zone urbaine, ces pièges écologiques apparaissent quand les espèces sont contraintes d’adopter des habitats au détriment des performances liées à leur survie, faute d’autre choix.

Les routes, la pollution lumineuse, les bâtiments créent des barrières difficiles à franchir pour de nombreux animaux comme les petits mammifères ou les insectes et ces pièges écologiques semblent fortement contribuer à la disparition de populations animales et végétales en zones urbaines.

Les habitats « puits » sont caractérisés par des populations à la croissance démographiques négative. Ils diffèrent des pièges écologiques par le fait qu’ils sont colonisés lorsque les habitats de qualité supérieure sont suffisamment peuplés.

Bien que la démographie de ces populations soit négative, les espaces verts de type « piège » et « puit » permettent toutefois à certaines espèces de se reproduire offrant à ces espaces une valeur de conservation.

Ce potentiel dépend également d’autres facteurs comme le mécanisme de dispersion de l’espèce, la densité de sa population, le cycle biologique mais aussi de la qualité et de la configuration spatiale de l’espace vert.

Pour quelle biodiversité ?

Pour finaliser la réflexion, il s’agit de se demander quel type de biodiversité peut être envisagé dans un programme d’amélioration de l’entomofaune en zone urbaine.

En effet, l’augmentation en habitats et en milieux constitués majoritairement d’espèces végétales non indigènes ou envahissantes favorise l’arrivée d’espèces d’insectes également non indigènes. L’intérêt de telles actions est de proposer des espaces verts offrant les conditions environnementales adaptées à l’implantation d’espèces autochtones, à forte valeur patrimoniale locale.

Benoît Gilles
En zone urbaine, ces pièges écologiques apparaissent quand les espèces sont contraintes d’adopter des habitats au détriment des performances liées à leur survie, faute d’autre choix.

Question 6 : « Quels bénéfices écosystémiques apporte la renaturation de la ville ? »

De tels bénéfices sont classés en quatre catégories :

  1. Les services d’approvisionnement

    Ce sont les produits tangibles tirés des écosystèmes comme les produits alimentaires, l’eau potable, les combustibles, les matériaux ou les médicaments, etc.

  2. Les services de régulation

    Ce sont les avantages intangibles assurés par le bon fonctionnement des écosystèmes comme la régulation du climat, des inondations, la pollinisation, etc.

  3. Les services socioculturels

    Ils représentent les apports non-matériels de la biodiversité, obtenus par les diverses manières d’approcher et de ressentir la nature (valeur paysagère, source de beauté, lien identitaire, fonction de loisir, tourisme, etc.)

  4. Les services de soutien

    Ce sont ceux nécessaires à la production de tous les autres services, assurant le bon fonctionnement de la biosphère (cycle de l’eau, du carbone, dépollution, etc.)

Il existe bien des façons de voir la renaturation du milieu urbain… De beaux débats en perspective !
Il existe bien des façons de voir la renaturation du milieu urbain… De beaux débats en perspective !

Exemples de bénéfices de services écosystémiques :

  • L’évapotranspiration

    Transpiration des végétaux et l’ombre qu’ils procurent permettent d’atténuer les effets des canicules. Ainsi, à proximité des espèces verts, la température de la ville peut être inférieure de plus de 2° Celsius.

  • Purification de l’air

    En recueillant les microparticules sur leurs feuilles, les végétaux réduisent d’un tiers leurs taux dans l’air, émises notamment par les voitures. Vingt millions d’européens souffrent d’affections respiratoires induites par la pollution aérienne.

  • Ecoulement de l’eau

    La végétalisation de la ville favorise le maintien de la perméabilité des sols et la rétention de l’eau au niveau du sol, les toits et les murs végétalisés minimisent et régulent le déversement des eaux pluviales dans les réseaux et les nappes phréatiques, limitent leur ruissellement et favorisent l’évaporation.

    Les parkings peuvent être également végétalisés par des revêtements semi-perméables. La récupération de l’eau de pluie sur les toits permet de compenser la part du sol qui a disparu (252 hectares disparaissent chaque jour sous une couche de béton ou d’asphalte).

  • Ressource en eau

    Il est vital de reconquérir et préserver les terres agricoles périurbaines qui viennent compléter les réservoirs de biodiversité constitués par les espaces naturels protégés et les connexions de la trame verte et bleue. Ces terres sont favorables à la biodiversité et protègent la ressource en eau des villes.

  • Agriculture périurbaine

    Le lien entre consommateurs et producteurs se renforce grâce à l’agriculture de proximité, comme à travers les AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), par exemple. Ce système de vente directe est d’ailleurs le moteur principal de l’arrivée de nouveaux maraîchers en Île-de-France.

    Cette agriculture se présente également comme une formidable opportunité de créer du lien entre les espaces naturels et agricoles par le biais de chemins piétonniers et cyclistes (exemple : villes de Milan, de Barcelone ou de Shangaï où 55% des légumes et 90% des légumes verts sont produits localement).

  • Bien-être

    La présence et le contact avec la nature sont des facteurs déterminants de bien-être global, de santé physique, psychique et sociale (études épidémiologiques menées aux Pays-Bas ont démontré une baisse des problèmes de santé dans les quartiers pourvus d’espaces verts : meilleur système immunitaire par exemple).

  • Liens sociaux

    Les végétaux favorisent le développement des liens sociaux comme le montre la psychologue suisse Sarah Wauquiez « l’expérience de la nature a une influence positive sur le développement sociale des enfants, leur résistance aux maladies et leur relation avec la nature ».

    En France, le PNSE3 (Plan National Santé Environnement 2015-1019) prend en compte l’impact positif de la nature sur la santé, la circulaire de février 2015 du Ministère de l’Education Nationale encourage les « sorties scolaires dans la nature » et les « initiatives visant au retour de la nature et de la biodiversité dans les écoles ».

Pour conclure

Enfin, la conservation, la conception et la gestion des espaces verts urbains nécessitent un équilibre entre les perceptions, les besoins et l’utilisation humaine, et les exigences écologiques pour la préservation et l’amélioration de la biodiversité en ville.

Dans une perspective de systèmes socio-écologiques complets, il importe de prendre en compte à la fois les questions écologiques et leur signification pour la société.

Il est également intéressant d’évaluer les avantages d’une biodiversité riche en zone urbaine pour la santé et le bien-être des populations vivant à proximité et pour les services écosystémiques comme la diminution de la température lors de canicules, l’absorption des eaux de pluies, la filtration de l’air ou encore, et cela est fondamental, l’apaisement qu’offre le contact avec la nature.

De nombreux défis s’ouvrent pour rebâtir et construire les villes du futur. Une meilleure intégration des activités anthropiques urbaines va offrir le déploiement d’un grand nombre d’innovations, d’adaptation et de développement, source d’activités économiques et sociétales. Associer la nature, la biodiversité et la ville dans un projet commun ne peut être que bénéfique pour l’ensemble des partenaires.

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Benoît Gilles

Chargé de R&D — Passion Entomologie

Chargé de Recherche & Développement en entomologie au sein d’une jeune PME située près d’Angers, Cycle Farms, il développe un projet agro-industriel innovant de production d’aliments piscicoles à base d’insectes en Afrique de l’Ouest.

Benoît souhaite faire découvrir le monde des insectes et contribuer à l’étude des Hotspot de biodiversité.

Il a pour cela fondé en 2018 le Magazine en ligne Passion-Entomologie qui propose des articles à l’interface entre science et vulgarisation sur des thématiques diverses (biologie, actualités scientifiques, interviews, présentations d’ouvrages et d’espèces) et participe à des missions d’exploration scientifique, dont Madagascar.

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2 réponses à “La biodiversité en ville en 6 questions”

  1. Bonjour et merci pour votre étude passionnante. Dans mon village, Mesquer 4420, 2000 habitants, entre mer , marais salants et agriculture (mais non bio hélas, et élevages de bovins) j ai l impression que les citoyens ont envi de préserver la nature, mais en même temps chaque nouvel’acheteur De terrain de construction commence toujours par abattre beaucoup d arbres avant de construire sa maison, et c est une chose que je ne peux pas comprendre et qui m est de plus en plus insupportable. Heureusement les jeunes et leur conseil municipal sont très inquiets, actifs et attentionnés à la vie sauvage , la biodiversité de leur village, j espere que la solution viendra d eux . De mon côté mon jardin est un refuge pour un grand nombre d animaux, oiseaux, hérisson, phasmes, libellules, grenouilles et crapauds et bien sur un grand nombres de petits oiseaux.je fais de mon mieux pour les accueillir et qu ils se sentent en paix dans mon petit jardin. Cordialement, j e vous souhaite de belles fêtes ,
    Pascale

  2. Bonjour,

    votre article fait écho chez moi. J’élabore un mémoire sur la préservation / intégration de la biodiversité dans l’urbain.

    Je ne vous cache pas que ce projet est laborieux.. Il est difficile de trouver comment connecter cet univers hyper hostile avec la nature. Nous sommes d’accord qu’il s’agît d’un problème actuel – en développement par nos villes (je l’espère)

    Avez-vous une idée de tout ce qui peut composer le cœur urbain et éventuellement être un avantage ? Un pôle de travail permettant de créer de la diversité.

    Encore merci pour votre article

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