Dionaea, la plante qui attrape plus vite que son ombre

Comme beaucoup d’entre vous j’en suis sûr, on m’a déjà offert plus jeune, en tant qu’amoureux de la nature, une Dionaea. Encore appelée Dionée attrape-mouche (l’anglais est plus poétique « The Venus’s flytrap »), cette plante carnivore est peut-être la plus iconique de ces végétaux si particuliers qui attisent tant la curiosité.

Seule plante de son genre Dionaea, la Dionée (Dionaea muscipula Ellis), fait partie d’un groupe de 730 espèces, « les plantes carnivores », qui n’a pas de fondement scientifique mais nous y reviendrons.

L’étymologie de son nom est intéressante. Dionaea fait bien sûr penser à Dioné, déesse de la mythologie grecque et mère d’Aphrodite. En revanche, muscipula ne fait pas référence à la mouche (comme on pourrait le croire à la vue de son nom commun, mouche se disant musca en latin) mais est formé de mus (souris) et cipula (piège). L’idée étant peut-être que les feuilles modifiées ressemblent à des pièges à souris.

Ce que vous allez apprendre

  • La dionée attrape-mouche est l'une des plantes les plus étudiées au monde, Charles Darwin en personne s'étant passionné pour cette espèce
  • La carnivorie implique de nombreuses adaptations tant au niveau de l'attraction de la proie, sa capture que sa digestion
  • La dionée est une espèce menacée notamment à cause de la passion qu'elle suscite chez les amateurs de plantes carnivores
  • Nombre de proies, seuil de déclenchement, vitesse de fermeture, vitesse de digestion. Tous ces paramètres et bien d'autres s'adaptent en fonction de la situation à laquelle est confrontée la plante.

Pépiniériste français spécialisé dans les plantes carnivores depuis 20 ans, Karnivores c’est une équipe de passionnés de plantes d’un autre genre.

Les plantes carnivores représentent pour nous ce qu’il y a de plus intriguant dans l’histoire évolutive des tourbières et sont emblématiques de la préciosité des zones humides en général !

Charles Darwin
La dionée est l'une des plus magnifiques plantes du monde

De la main verte à rouge sang

Piège de Dionaea muscipula (variété Red Dragon) avec les longs cils de capture
Piège de Dionaea muscipula (variété Red Dragon) avec les longs cils de capture terminatorn

Pour revenir à mon cadeau, j’ai alors essayé de glaner des précisions sur les soins à lui prodiguer, me voyant déjà à la tête d’une véritable serre tropicale hébergeant des espèces plus spectaculaires les unes que les autres.

« Arroser modérément, ne pas nourrir trop fréquemment ». Je n’ai jamais aimé et compris les consignes données en jardinerie. Qu’est-ce que ça veut dire « modérément, fréquemment ? » (Peut-être est-ce cela avoir la main verte, comprendre intuitivement ces expressions imprécises au possible). Etant d’accointance scientifique, j’attendais qu’on me donnât une fréquence claire, un volume précis. Mais ce n’est pas ainsi que marche la nature, je le savais bien.

Ainsi, comme beaucoup de personnes à qui on offre une plante carnivore, j’ai voulu la voir au plus vite attraper sa première proie et l’observer la digérer. Et comme beaucoup de ces mêmes personnes, je n’ai pas vraiment été capable de la garder en vie très longtemps, c’est un vrai regret (navré de partager avec vous mes traumatismes de jeunesse).

Être chlorophyllien et carnivore, ce n’est pas donné à tout le monde

Arbre phylogénétique montrant les plantes carnivores dans différents groupes. Modifié depuis  classification phylogénétique du vivant, Lecointre et Le Guyader,
Arbre phylogénétique montrant les plantes carnivores dans différents groupes. Modifié depuis classification phylogénétique du vivant, Lecointre et Le Guyader, Belin 2001

Avant de présenter plus en détail cette belle espèce, quelques mots sur ces fameuses plantes carnivores. C’est un groupe polyphylétique, c’est-à-dire un groupe contenant des espèces excluant leur ancêtre commun ; autrement dit un groupe qui ne traduit pas de réels liens de parenté (comme les poissons ou les reptiles). Il s’agit donc d’un groupe artificiel, commode d’utilisation rien de plus. Il contient 730 espèces, soit 0.24% des angiospermes (plantes à fleurs).

Les plantes carnivores sont particulières en ceci qu’elles ont des feuilles modifiées leur permettant de leurrer, attraper, tuer et digérer toutes sortes d’organismes de tailles modestes évidemment : le plus souvent des arthropodes (fourmi, abeille, coléoptère, papillon, mouche, araignée) ou des gastéropodes (escargot, limace) et jusqu’à de petits vertébrés (têtard, jeunes rongeurs). Certaines observations rapportent les cas de mammifères un peu plus grands retrouvés morts dans les urnes de certaines Népenthes mais des doutes subsistent et il semblerait qu’il s’agisse plutôt d’une noyade involontaire que d’un acte de prédation.

Nepenthes Bokorensis avec son piège de type urne
Nepenthes Bokorensis avec son piège de type urne François Mey

Les feuilles des plantes carnivores sont caractérisées par une grande diversité de forme et de couleurs. Ces pièges peuvent ainsi susciter la tentation d’une proie par du nectar, un parfum ou même des substances psychoactives.

Photo au microscope de la structure d'un trichome sensitif
Photo au microscope de la structure d'un trichome sensitif Martin Brunner

Pour faire partie du club très fermé des plantes carnivores, il faut néanmoins remplir un cahier des charges précis marqués par quelques indispensables :

  • Attirer une proie (parfum, odeur, couleur).

  • Piéger cette proie par des adaptations qui mènent directement ou indirectement à la mort des infortunées.

  • Tirer bénéfice de ses victimes par l’absorption active des nutriments (profiter d’un organisme mourant et tombant à vos pieds, pourrissant et apportant des éléments prélevés plus tard par vos racines ne sera pas suffisant pour avoir votre carte de membre).

Deux genres seulement parmi les sept que compte ce groupe polyphylétique, ont des pièges à fermeture instantanée : les Dionaea grâce à des feuilles dont les lobes peuvent se fermer brutalement et les Aldrovanda dont la seule espèce actuelle (Aldrovanda vesiculosa) est aquatique.

En dehors des remarquables adaptations pour la capture des proies, les plantes carnivores se distinguent aussi par leur capacité à récupérer les nutriments de leurs victimes, leur permettant la colonisation de milieux stériles ou tout au moins inhospitaliers. Écologiquement, la carnivorie semble une stratégie évolutive n’ayant eu du succès que dans la colonisation d’habitats marginaux, où peu de compétition est présente.

Aldrovanda vesiculosa
Aldrovanda vesiculosa Jan Wieneke

Pas folle la carnivore !

Dessin de Dionaea muscipula par William Curtis 1746 1799
Dessin de Dionaea muscipula par William Curtis 1746 1799 william curtis

Aucune de ces plantes ne dépend totalement de la carnivorie pour sa survie ; en bonne plante chlorophyllienne, elles utilisent la photosynthèse pour produire leur matière organique. Les plantes carnivores peuvent pousser tout à fait sainement et même se reproduire même si elles n’attrapent aucune proie. Cependant, la capture et la digestion d’organismes apportent de clairs avantages dans la croissance et la floraison. Ceux-ci ont été mis en évidence au XIXe siècle par Francis Darwin, l’un des fils du grand Charles.

Il n’y a pas de corrélation positive entre la croissance et le nombre de proies attrapées. En effet, s’il y en a trop (comme lorsque je gavais ma pauvre Dionaea), les cadavres s’accumulent et peuvent submerger les pièges, pourrir et provoquer la fanaison et la mort de la feuille. Pour limiter cet effet, la plupart des plantes carnivores produisent des composés antibactériens dans les fluides digestifs qu’elles sécrètent. Leur propriété antiseptique assure la digestion avec peu ou pas de putréfaction.

Arnaud Lardé
Un piège nouvellement formé sur une plante mature et en bonne santé se ferme en 0.1 seconde, pas mal pour un végétal !

La Dionaea, reine des plantes carnivores

Piège ouvert montrant les cils portés par les lobes et les trichomes sensitifs. La partie intérieure vivement colorée pourrait jouer un rôle dans l'attraction d'une proie
Piège ouvert montrant les cils portés par les lobes et les trichomes sensitifs. La partie intérieure vivement colorée pourrait jouer un rôle dans l'attraction d'une proie Noah Elhardt

Selon Charles Darwin, les Dionaea sont l’une des plus magnifiques plantes du monde. Pourtant si le lien est clair aujourd’hui entre les feuilles transformées en mâchoires et la carnivorie, il n’en a pas toujours été ainsi.

Les Dionaea se rencontrent presque uniquement aux Etats-Unis et plus précisément sur la côte Est, en Caroline du Nord et du Sud sur des sols pauvres ou acides comme les tourbières ou les marais. C’est une plante à croissance lente, herbacée et vivace qui prend la forme d’une rosette compacte de feuilles qui émerge d’un rhizome. Lorsqu’elle est mature, la Dionaea peut porter jusqu’à une douzaine de feuilles vivantes même si le plus fréquemment elle n’en possède que moitié moins. Les jeunes plantes sont structurellement similaires aux adultes mais ont beaucoup plus de feuilles, jusqu’à une vingtaine. Le feuillage est toujours positionné au ras du sol.

Chaque feuille d’une dizaine de centimètres, consiste en une base plate, un pétiole court et une paire de lobes terminaux articulés avec la nervure centrale. La base élargie des feuilles permet d’augmenter la surface disponible pour la photosynthèse surtout que la lamina (partie plate d’une feuille) est modifiée en un piège à fermeture. Chaque lobe est semi-circulaire, rigide et a un bord épais d’où part une vingtaine de filaments droits (appelés aussi cils, dents, cilia).

piège de Dionaea muscipula vu de profil avec les trichomes sensitifs prêts à détecter la moindre proie
Piège de Dionaea muscipula vu de profil avec les trichomes sensitifs prêts à détecter la moindre proie François Van Der Biest

L’intérieur des lobes est vivement coloré (notamment par des anthocyanes bien rouges) et porte des glandes sécrétrices de fluides digestifs et des poils sensitifs (ou trichomes) PHOTO 5 déclencheurs et absorbeurs des nutriments solubilisés. Du nectar est également produit par des glandes disposées en une bande étroite qui entoure la surface externe des lobes.

Au milieu de chaque lobe, il y a trois poils sensitifs d’environ 6 millimètres. Hautement sensible au contact physique, ce sont les seules parties sensitives du feuillage, toutes les autres parties d’une feuille pouvant être touchées sans déclencher de mouvement du piège. Ces trichomes ne sont pas répartis au hasard et leur disposition rend extrêmement probable leur contact avec un organisme lors d’une visite impromptue.

Attrape-moi si tu peux !

La fermeture d’un piège ne se produit que si deux trichomes sont touchés en moins de vingt secondes ou si un seul trichome est touché deux fois successivement (une telle précision des mécanismes biologiques est fascinante !). Le premier contact avec un trichome « alerte » tous les autres pour initier la fermeture rapide lors d’un deuxième contact. La nature et le mode de circulation du message provoquant la fermeture est spéculative. (Legendre et al 2000). Ce message pourrait être ionique (Cl-, Ca2+) : comme ce sont des particules chargées, leur mouvement au travers des membranes cellulaires pourrait générer un signal de dépolarisation semblable à un courant électrique. Les cellules à la région charnière des poils sensitifs qui initient le signal cellulaire contiennent des structures qui sont uniques chez les plantes et qui ressemblent même à celles trouvées dans les cellules musculaires ! La ressemblance s’arrête cependant ici car là où une cellule musculaire répond mécaniquement à un signal électrique, les trichomes produisent au contraire un signal électrique en réponse à une stimulation mécanique.

Charles Darwin semble avoir été le premier à se pencher sur le mécanisme de fermeture des pièges chez la Dionaea. En 1875 il marqua la surface supérieure de la feuille avec des points d’encre et trouva que la distance entre eux diminuait légèrement lorsque la feuille se fermait. Il en conclut que la fermeture était due à la contraction active de la face supérieure de la feuille. En 1876 De Candolle avança l’idée que les mouvements d’ouverture et de fermeture de la feuille étaient dus à des variations de tissus de la feuille) de la région dorsale de la feuille. L’opinion dominante aujourd’hui est que la fermeture des lobes est d’abord conduite par une rapide augmentation de la taille des cellules par turgescence et par une acidification qui attendrit la paroi cellulaire et lui permet de supporter la variation de taille de la cellule.

Structure d'une cellule végétale
Structure d'une cellule végétale Marianna ruiz

Cette acidification est irréversible et la réouverture du piège s’effectue par l’élongation de la couche cellulaire du côté intérieur du piège pour contrecarrer l’expansion des cellules côté extérieur. Cela signifie qu’un piège qui s’est fermé puis rouvert est légèrement plus grand qu’au départ. Cela réduit en revanche le nombre de fois où le piège peut servir à cause du nombre limite de fois où la paroi peut s’expandre. (Ce nombre en lui-même est très discuté : 8 selon Balfour en 1876, 3 pour Legendre en 2000, 8 à 10 selon Schnell en 2002 pour une fermeture à vide, 3 à 4 si le processus de digestion est lancé). Au fur et à mesure, la fermeture est plus lente et moins complète.

D’autres facteurs peuvent intervenir dans la rapidité des mouvements des lobes des feuilles : l’élasticité du tissu, l’intensité lumineuse, la photopériode, la chaleur, l’humidité ou encore le stimulus (taille proie), l’état global de la plante et bien sûr le nombre de fois où le piège s’est déjà fermé. Un piège nouvellement formé sur une plante mature et en bonne santé se ferme en 0.1 seconde, pas mal pour un végétal !

La position des cils à 90° de la surface assure qu’ils s’entremêlent, s’imbriquent lorsque le piège se ferme évitant que les grosses proies ne s’échappent. Cette imbrication est efficace dès que les cils s’inclinent par une fermeture à 30°. C’est ce qui explique que la phase de fermeture la plus rapide est la première phase, moment critique où la proie pourrait prendre la poudre d’escampette. Le fait que la fermeture des pièges requière au moins deux contacts avec les poils sensitifs permet de discriminer les proies vivantes des débris, gouttes de pluie etc. Fantastique processus qui permet d’éviter des fermetures intempestives et ainsi d’éviter une perte d’énergie. C’est donc le moyen qu’a trouvé la plante pour être certaine qu’il s’agit bien d’une proie.

Après la phase de fermeture, la victime qui se débat multiplie les contacts avec les trichomes incitant le piège à rester clos. Les mouvements répétés font que les lobes continuent à se serrer lentement (phase de fermeture lente) et de plus en plus fermement telle la torture d’un hérétique durant l’Inquisition ! Sans ces multiples contacts après la fermeture initiale, les lobes s’ouvrent après environ 24h empêchant le piège de s’engager dans un processus de digestion complet inutile.

Arnaud Lardé
L’hémolymphe de l’insecte se met à fuir de la proie ce qui cause progressivement le resserrement des lobes, comme si la feuille pressait jusqu’à la dernière goutte, son orange pour le jus frais du matin.

Une digestion lente d’une proie… parfois vivante

Une fois la proie bien retenue, la digestion peut commencer. Les sécrétions digestives sous forme d’un liquide de pH très acide sont libérées par des glandes. Elles agissent comme un solvant. Plusieurs enzymes digestives ont aussi été identifiées comme des estérases, phosphatases, protéases formant un véritable cocktail de sucs digestifs. De plus, la sécrétion est proportionnelle à la taille de la proie, inutile de gâcher ! La proie n’est ni écrasée ni perforée. Au contraire, elle reste vivante longtemps et est digérée par les sécrétions. La plupart du temps, la victime finit par succomber par suffocation ou inanition (provoquée par les fluides visqueux qui remplissent le piège, véritable supplice).

Cuticule de Mouche Muscoïde après avoir été digérée par Dionaea muscipula
Cuticule de Mouche Muscoïde après avoir été digérée par Dionaea muscipula Karnivores

Le resserrement des lobes permet aussi aux glandes de surface d’être le plus possible en contact direct avec le corps de la proie augmentant l’efficacité des agents digestifs et l’absorption des nutriments. La fermeture reste effective jusqu’à digestion complète (la stimulation est alors chimique et non plus mécanique comme au départ, la victime ne se débattant plus de toute façon). Le piège finit par s’ouvrir et les restes de la proie, sorte d’enveloppe sèche plus ou moins écrasée, attendront d’être lavés et emportés par le vent ou la pluie. Le piège est alors à nouveau prêt à accueillir un nouveau visiteur imprudent.

Le processus de digestion complet prend du temps, le plus souvent entre 14 et 21 jours. Cela dépend bien sûr de la taille de la proie ou de celle de la feuille. Avec en moyenne six feuilles par plante, la Dionaea est capable de digérer une douzaine d’insectes simultanément, chaque piège pouvant accueillir deux insectes à la fois, si leur taille le permet. Attention à ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre, s’il y a trop de nourriture, la plante fane et meurt.

Aphide
Aphide Medievalrich

Contrairement à ce que pourrait indiquer son nom, Dionée attrape-mouches, notre plante carnivore ne fait pas la fine…feuille et accueille une diversité de proies ; Celles-ci sont à 33% des fourmis, 33% d’arachnides, 10% d’orthoptères (sauterelles) et 10% de coléoptères. Finalement, les mouches/moustiques ne représentent que 1 à 4 % des proies attrapées. La fréquence de capture est plus élevée pour les organismes ne volant pas. Ironiquement, l’arroseur peut devenir arrosé car les Dionaea sont sensibles à certaines attaques comme celles des aphides qui se nourrissent de la sève des jeunes feuilles, des chenilles qui s’attaquent au feuillage ou au rhizome, des cochenilles pour la sève ou encore des limaces ou escargots.

La fermeture du piège n’étant pas complète, les petites proies inférieures à 3 mm peuvent se sauver. Ce qui ressemble à une faille dans le système de capture est en réalité un avantage car pour de telles proies, l’énergie dépensée à la capture et à la digestion serait supérieure à celle apportée par les nutriments de tels lilliputiens et cela occuperait inutilement un des pièges. Encore un magnifique exemple du mécanisme de sélection naturelle. Charles Darwin l’avait évidemment remarqué : « Il serait manifestement un désavantage pour la plante de gaspiller plusieurs jours à avoir des pièges fermés plus d’autres jours et semaines à retrouver la sensitivité à la vue du faible apport de nutriments apportés. Il serait mieux pour la plante d’attendre qu’un insecte de taille suffisamment grande soit capturé et permettre aux petits de s’échapper. Cet avantage serait assuré par le petit interstice entre les cils comme les mailles d’un filet permettant au menu fretin se s’échapper » (1875).

Cochenille verte (coccus viridis)
Cochenille verte (coccus viridis) Jeffrey Lotz

Apparition de la carnivorie, une histoire de famille.

Feuille de Drosera binata dichotoma géante avec poils collants
Feuille de Drosera binata dichotoma géante avec poils collants Karnivores

L’explication du quand et du comment les ancêtres des Dionaea ont acquis ces adaptations à la prédation est difficile. Habituellement, les botanistes évolutionnistes s’appuient sur des preuves du registre fossile pour reconstruire des processus évolutifs. Malheureusement, très peu de fossiles des lignées de plantes carnivores ont été découverts. Il ne s’agit pas de malchance ; n’oublions pas que ce sont des plantes fragiles qui se conservent rarement d’autant plus qu’elles vivent dans des milieux agressifs peu propices à la fossilisation. De plus, il semble que ces ancêtres soient apparus dans des périodes géologiques peu propices à la conservation des traces. En l’absence de ces preuves, l’histoire évolutive des plantes carnivores peut-être partiellement reconstruite sur celle de plantes actuelles qui ont une trajectoire évolutive plus claire. En reconstruisant un arbre phylogénétique des angiospermes (plantes à fleurs), il est possible de trouver approximativement les liens et périodes d’apparition des plantes carnivores.

Plusieurs modèles aujourd’hui erronés, ont été proposés dans l’histoire : L’illustre naturaliste Carl Von Linné a par exemple proposé au XVIIIème siècle que Sarracenia (plante carnivore à piège passif sous forme de tube) aurait évolué à partir de lys d’eau adaptés à la pousse sur des lieux plus secs. Au XXème siècle, des botanistes ont suggéré que toutes les plantes carnivores étaient issues d’un évènement évolutif unique alors que d’autres regroupaient à tort les lignées de ces mêmes plantes en fonction du type de piège ce qui ne traduisait pas les véritables liens phylogénétiques.

Les études phylogénétiques moléculaires montrent désormais que les plantes carnivores actuelles n’ont pas toutes des liens évolutifs étroits mais plutôt que la carnivorie a évolué indépendamment parmi les plantes à fleurs, et ceci à plusieurs reprises dans l’histoire donnant naissance aux différentes lignées que nous connaissons. Cela explique pourquoi parler des plantes carnivores en tant que groupe ne traduit pas les véritables relations évolutives existantes

Drosera aliciae aux feuilles rondes collantes
Drosera aliciae aux feuilles rondes collantes Karnivores

Les études moléculaires ont fait la preuve par exemple de la proximité entre Dionaea et Aldrovanda, une plante aquatique carnivore, sans savoir en revanche si l’ancêtre était aquatique ou terrestre. La plupart des scénarios énoncent qu’Aldrovanda serait un descendant de la branche des Dionaea devenu aquatique. Il n’est en revanche toujours pas connu comment une plante carnivore terrestre, avec un mécanisme complexe d’ouverture et de fermeture de pièges adapté au milieu terrestre se serait adapté à l’eau douce devenant une petite plante où on observe une réduction des pièges liée à la force de résistance plus importante dans le milieu aquatique. D’ailleurs, chez Dionaea, en cas d’inondation, les pièges demeurent actifs et peuvent attraper des créatures aquatiques comme des vers.

Ce qui semble faire consensus est que l’ancêtre de nos Dionaea avait des feuilles collantes (comme les Drosera) qui seraient devenues des pièges à fermeture. Cette adaptation apporte indubitablement un avantage au niveau efficacité de la digestion. Les tentacules collants seraient devenus les trichomes et les cils de bordure. Des préadaptations existent chez les Drosera (dont les bords des feuilles se replient légèrement) qui partageraient donc un ancêtre commun proche avec les Dionaea. Les reconstructions moléculaires suggèrent que l’adaptation en piège à fermeture n’aurait eu lieu qu’à une reprise dans la lignée menant aux Dionaea et Aldrovanda il y a environ 65 millions d’années. Ces lignées auraient été alors bien plus diverses et étendues géographiquement qu’aujourd’hui. Paradoxalement le peu de succès et la perte de beaucoup de ces lignées est en contraste fort avec le succès évolutif impressionnant des plantes à feuilles collantes, lignée la plus diversifiée aujourd’hui.

Un article d’Arnaud Lardé

Portrait d'Arnaud Lardé
Portrait d'Arnaud Lardé Arnaud Lardé

Professeur agrégé en Sciences de la Vie et de la Terre au Lycée Thibaut de Champagne à Provins depuis 2006.

Pur produit de la faculté des Sciences de Marseille, il tient sa vocation de sa passion pour la nature en général et la zoologie en particulier. Il transmet également sa passion en Anglais puisqu’il est responsable d’une section européenne.

Il participe également régulièrement la revue Espèces par la rédaction d’articles scientifiques de vulgarisation.

Pour conclure

Les populations sauvages sont sévèrement impactées notamment par les prélèvements d’amateurs attirés par leur originalité. Les habitats sont de plus en plus fragmentés ce qui pose évidemment un problème pour la reproduction en diminuant la probabilité de rencontre des cellules sexuelles. D’autres comportements les mettent en danger : le drainage de plus en plus systématique des zones humides impulsé par les velléités de construction ou la sécheresse, la transformation de zone ouverte en zone exploitée pour la foresterie, inadaptée aux plantes carnivores. Les feux, qui peuvent jouer un rôle favorisant pour le développement des Dionaea, sont de plus en plus rares. Notre plante fait ainsi parti de la liste rouge de l’IUCN avec un statut « Vulnérable ».

Il est donc plus important que jamais de ne pas prélever d’espèces sur le terrain si un doute existe sur leur statut ou de s’interroger sur la provenance des plantes que nous pourrions acheter dans une jardinerie. Il serait tellement dommageable que les Dionaea, emblèmes des plantes carnivores, n’existent plus que dans notre imaginaire ou dans les jeux vidéos comme dans les Super Mario Bros, la célèbre plante Piranha étant inspirée des Dionaea.

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Les mains dans l’eau et dans la terre durant des années, cela vous donne un rapport particulier à la culture de plantes… Alors imaginez quand on parle de plantes aussi particulières que les plantes carnivores.

Mais Karnivores n’est pas une simple pépinière de plantes carnivores, c’est aussi des Neoregelia, des Tillandsia et bien d’autres. Enfin, après 20 ans, Karnivores c’est aussi un projet en évolution et la volonté de participer à la protection des zones humides en mettant à disposition un outil de multiplication pour les projets de renaturation de milieux.

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