Les interactions plantes-animaux chez les plantes carnivores

Pour leur survie, les organismes entretiennent de nombreuses interactions dans la nature. Les plantes carnivores, qui ont évolué pour attirer, capturer, tuer des proies et en tirer des bénéfices, ont tissé au fil du temps des interactions mutualistes parfois surprenantes avec des insectes et même des mammifères, notamment pour l'acquisition de leur nourriture…

Voyons quelles sont ces stratégies évolutives dont certaines sont pour le moins étonnantes !

Ce que vous allez apprendre

  • Que les interactions plantes carnivores et animaux sont multiples
  • Que ces mêmes interactions sont si spécifiques qu'elles sont fragiles
  • Que les plantes carnivores ont développé des stratégies surprenantes de survie
Arthur Sanguet
Comme beaucoup d'autres espèces de plantes à fleur, les plantes carnivores ont besoin d'insectes pour la pollinisation et donc la reproduction sexuée des espèces.

Qu’est-ce qu’une « interaction » ?

Il existe plusieurs types d’interactions entre les organismes, comme la coévolution par exemple. Vous allez rapidement comprendre qu’elles ne sont pas toujours aussi évidentes qu’elles en ont l’air.

En effet, du point de vue d’une espèce interagissant avec une autre, une interaction positive va lui apporter un bénéfice (nourriture, protection, etc.), une interaction négative un inconvénient (moins de nourriture, la mort, etc.), mais il existe aussi des interactions neutres.

Prenons quelques exemples :

  • La prédation ou le parasitisme

    Représentent une interaction entre deux organismes, positive pour le prédateur ou le parasite (obtention de nourriture ou de logis) et négative pour la proie ou l’hôte (réduction du feuillage, affaiblissement, mort, etc.).

    La compétition représente une interaction négative pour les deux (ou plus !) organismes qui luttent pour l’obtention d’une ressource limitée (lumière, nutriment, espace, etc.).

  • La symbiose ou le mutualisme

    Les organismes en interaction obtiennent tous des bénéfices. Par exemple, les mycorhizes sont le résultat de l’association symbiotique entre des champignons et les racines des plantes.

  • Le commensalisme

    Une plante en coussin (Frankenia triandra), facilite l'implantation d'un jeune arbuste près du Salar de Uyuni, en Bolivie
    Une plante en coussin (Frankenia triandra), facilite l'implantation d'un jeune arbuste près du Salar de Uyuni, en Bolivie Arthur Sanguet

    Nous pouvons maintenant compliquer un peu les choses avec le commensalisme qui représente une interaction positive pour une espèce et neutre pour une autre. Par exemple, la facilitation entre des espèces arbustives et de petites plantes annuelles qui profitent de l’ombre créée par les premières sans pour autant perturber leur développement.

    En effet, les arbustes ont des racines profondes et ne sont pas impactés par la croissance des plantules, en revanche, les plantules sont largement bénéficiaires de la présence de l’arbustes qui créent un micro-climat plus frais et plus humide dans une région désertique.

  • L’amensalisme

    L’inverse du commensalisme s’appelle l’amensalisme et représente cette fois une interaction neutre pour un parti et négative pour l’autre. Par exemple, le piétinement répété des végétaux par des animaux qui peut conduire à un changement de communauté végétal.

Les interactions classiques chez les plantes carnivores

Comme beaucoup d’autres espèces de plantes à fleur, les plantes carnivores ont besoin d’insectes pour la pollinisation et donc la reproduction sexuée des espèces.

Cette interaction est qualifiée de « mutualiste » car les deux organismes tirent des bénéfices de ce phénomène : l’insecte se nourrit de pollen ou de nectar et la plante se reproduit.

Elles entretiennent aussi une interaction que l’on peut qualifier de « prédation » en capturant des insectes. En revanche, elles ont développé des mécanismes assez astucieux pour ne pas capturer leurs pollinisateurs ce qui pénaliserait leur reproduction et leur potentiel adaptatif.

La fleur peut être produite avant les pièges, comme c’est le cas chez les Sarracenia, et ainsi séparer dans le temps la reproduction et la prédation.

Elle peut aussi être perchée au sommet d’une longue hampe florale, loin des feuilles transformées en pièges, comme c’est le cas chez la dionée (Dionaea muscipula) ou chez de nombreuses Drosera. Enfin, les plantes carnivores peuvent produire des composés volatiles odorants ou des signaux visuels différents soit pour attirer les proies au niveau des pièges soit pour attirer les pollinisateurs au niveau des fleurs.

Ces trois méthodes permettent la séparation temporelle, géographique et sensorielle des fleurs et des pièges.

Abeille charpentière pollinise des fleurs de Sarracenia leucophylla en Europe

Cette abeille n'est pas capturée par les pièges qui commencent à peine à se former

Regarder la vidéo sur YouTube

Un mutualisme inattendu

Détaillons maintenant plusieurs interactions que les plantes carnivores entretiennent avec d’autres organismes (liste non exhaustive).

Commensalisme entre araignées et Sarracenia

Un papillon se délecte du nectar de Sarracenia flava
Un papillon se délecte du nectar de Sarracenia flava Arthur Sanguet

Dans leurs milieux naturels, certaines araignées, notamment l’araignée lynx (Oxyopidae), profitent de l’attraction des insectes par les Sarracenia pour tisser leur toile à l’entrée des pièges ou à proximité de ces derniers augmentant ainsi ses chances de capturer des proies.

La plante produisant plusieurs pièges ne se voit pas ou peu impactée par ce petit désagrément qui ne dure guère plus de quelques semaines en général. Ces mêmes araignées sont aussi capables d’entrer dans le piège d’un Sarracenia sans glisser sur les parois afin d’aller chercher leur repas dans l’antre de la plante carnivore. Ce type d’interaction, vous l’aurez compris, relève du commensalisme.

Ce genre de phénomène est aussi régulièrement observé en culture et il n’est pas rare que des araignées tissent leur toile à proximité des urnes redoutablement attractives pour les insectes. D’autres interactions commensalistes sont observables comme par exemple ce papillon qui profite du nectar des Sarracenia sans risquer de se faire piéger grâce sa taille. La plante produisant du nectar en continu ne se voit pas impactée par la présence de ce papillon.

Punaises et Roridula

Les punaises attaquent une mouche capturée par une Roridula
Les punaises attaquent une mouche capturée par une Roridula François Mey

Passons maintenant aux vraies interactions mutualistes. Le Roridula gorgonias est une plante protocarnivore, cela signifie qu’elle est capable d’attirer et de capturer une proie mais ne produit pas d’enzymes digestives. Dans son milieu naturel en Afrique du Sud, cette plante héberge une petite punaise (Pameridea marlothii) qui vit sur ces feuilles et qui arrive à éviter les trichomes englués d’une résine extrêmement collante, plus encore que celle du genre Drosera. Cette punaise se nourrit des proies capturées par le Roridula et, en contrepartie, ses déjections très riches en azote sont directement assimilées par les feuilles de la plante.

On lit souvent, à tort, que cette relation est une parfaite symbiose entre la plante et l’insecte. En réalité, il s’agit d’une interaction mutualiste car la plante peut survivre sans la présence de cette punaise, et vis versa, ce qui n’est pas le cas dans une réelle relation symbiotique où les deux organismes sont interdépendants pour leur survie (algues et champignons chez le lichen, par exemple).

Les interactions des Nepenthes

Nepenthes albomarginata, on voit bien la ligne blanche au niveau de l’ouverture qui va attirer les termites dans son piège
Nepenthes albomarginata, on voit bien la ligne blanche au niveau de l’ouverture qui va attirer les termites dans son piège Julien Wackenthaler

Le genre Nepenthes est sans aucun doute le genre qui entretient le plus de relations mutualistes avec les animaux. Il existe de très nombreux exemples mais nous n’aborderons ici que certains d’entre eux, vous verrez, assez représentatifs.

Commençons par Nepenthes albomarginata, reconnaissable entre mille par la ligne blanche qui ceinture l’entrée de son piège. Cette structure blanchâtre est en fait composée de milliers de petits trichomes qui sécrètent une substance très appétissante pour les termites. Ces dernières sont attirées jusqu’au piège où elles peuvent se nourrir à volonté. En contrepartie de la production coûteuse en énergie d’une nourriture spéciale et unique chez les Nepenthes, certaines d’entre-elles tombent malencontreusement dans le piège, nourrissant ainsi la plante.

D’autres espèces de Nepenthes nouent une relation mutualiste avec des amphibiens et notamment des anoures. Ces derniers sont capables de ne pas glisser à l’intérieur du piège et, un peu comme l’araignée lynx chez les Sarracenia, ils se postent à l’intérieur de l’urne en attendant l’arrivée des proies. La plante digère cette fois les excréments riches en azote des petits batraciens. Des grenouilles sont aussi souvent observées à l’entrée des pièges de Sarracenia.

Une chauve-souris sort du piège de Nepenthes hemsleyana
Une chauve-souris sort du piège de Nepenthes hemsleyana Merlin D. Tuttle

Chez Nepenthes ampullaria, une espèce de grenouille (Microhyla nepenthicola) pond directement ses œufs à l’intérieur de l’urne. Les petits têtards, qui ne se font pas digérer par le piège, peuvent alors se développer en toute sécurité à l’abri des prédateurs. Une nouvelle fois, la plante y trouve son compte en assimilant leurs rejets azotés. Cette espèce est d’ailleurs assez particulière car elle semble avoir évolué pour récupérer les feuilles mortes des arbres et les digérer partiellement. Ce serait donc une plante « détritivore » plutôt que « carnivore ».

Les abris qu’offrent les urnes de Nepenthes attirent aussi de plus gros animaux tels que des chauves-souris. En effet, Nepenthes hemsleyana propose un abri de choix pour ces mammifères (par exemple l’espèce Kerivoula hardwickii) en les protégeant des prédateurs et du soleil de la journée. Ainsi, ces petites chauves-souris passent leurs journées à l’intérieur du piège et la plante digère une nouvelle fois ses excréments (décidément…). Pour mieux comprendre le phénomène que représente une chauve-souris entrant dans un piège de Nepenthes hemsleyana, rien de vaut une vidéo et ses quelques explications.

Rattus baluensis en trian de visiter Nepenthes rajah
Rattus baluensis en trian de visiter Nepenthes rajah Ch'ien Lee

Enfin, d’autres espèces, Nepenthes rajah et Nepenthes lowii principalement, produisent une substance sucrée sous leur opercule qui attire de petits mammifères. La forme du piège est telle que l’animal est obligé de se positionner juste au-dessus de l’entrée de l’urne. Ainsi, tout en consommant sa nourriture sous l’opercule, ses déjections tombent dans le piège et sont assimilées par la plante. Chez Nepenthes lowii, cet apport représente jusqu’à 100% de l’azote capturé par la plante ! Nepenthes rajah produit d’ailleurs des pièges de taille impressionnante et capture parfois de petits mammifères. Les sucs sucrés sous l’opercule contiennent des substances volatiles proches de celles de fruits sucrés. De plus, ces espèces ont des couleurs permettant notamment d’attirer spécifiquement un petit mammifère arboricole (Tupaia montana) qui raffole du nectar de Nepenthes lowii.

Pour conclure

Nous avons vu que des plantes apparemment « prédatrices » peuvent avoir des interactions bien plus complexes avec d’autres animaux qu’il n’y paraît à première vue. Il existe bien plus d'interactions mutualistes de ce genre chez les plantes carnivores (en particulier chez les Nepenthes) cet article n’en reprenant que quelques exemples célèbres.

N'oublions pas que certaines plantes carnivores du genre Heliamphora ou encore Darlingtonia ne sont capables d'assimiler l'azote de leurs proies que grâce à un mutualisme avec des bactéries qui digèrent les insectes pour elles et rendent ainsi les nutriments disponibles. C'est d'ailleurs en partie ce qu'il se passe dans le mécanisme de digestion des humains (flore intestinale) et des animaux de manière générale.

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Une idée de quelles interactions plantes animaux pourraient être comparables ?

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4 réponses à “Les interactions plantes-animaux chez les plantes carnivores”

  1. Merci Arthur pour ce bel article récapitulatif qui met le plantes carnivores à l’honneur ! Beaucoup d’exemples d’espèces exotiques, finalement ce sujet reste peu investigué pour les genres présents dans nos régions. A étudier de plus près peut-être !

    • Si jamais vous avez la compétence en la matière, notamment pour ce qui concerne les Drosera de chez nous (intérêt personnel assumé), nous serions tout à fait preneur d’un papier…

  2. Bonjour,
    Dans la première partie de votre article, vous parlez de la symbiose et du mutualisme en faisant passer ces deux termes pour des synonymes or ce n’est pas le cas car le mutualisme est un type de symbiose mais il existe en de nombreux types.

    • Bonjour Bill et merci pour votre commentaire,

      En réalité c’est l’inverse, la symbiose est un type de mutualisme très poussé jusqu’à devenir vital. Je les ai « rangé » dans la même catégorie puisque la conséquence reste la même : les deux (ou plus) organismes en intéraction en tirent des bénéfices (gagnant-gagnant). Mais il est vrai que mutualisme et symbiose ne représentent pas exactement les mêmes intéractions et cela est davantage expliqué dans le dernier paragraphe concernant Roridula et ses punaises mutualistes.

      Bonne journée,
      Arthur

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