Pourquoi le milieu urbain est-il hostile à la majorité des espèces ?
Écologue et urbaniste
Depuis qu'il s'est sédentarisé, l'être humain construit et aménage un habitat jusqu'alors inédit, qui a donné naissance au fil des âges au « milieu urbain ».
Beaucoup d'autres espèces transforment leur environnement pour l'adapter à leurs besoins, parfois de manière drastique. On pensera au castor, aux fourmis et termites, aux coraux…
Les arbres eux-mêmes, qui transforment une prairie en forêt au terme de plusieurs décennies, modifient radicalement le milieu, que ce soit en termes de luminosité, d'humidité, de température, de ressources disponibles, de constitution des sols ou encore d'habitats naturels.
Pourtant, contrairement au castor, au corail ou aux forêts, réputés pour favoriser l'installation de tout un cortège d'autres espèces, la ville est souvent perçue comme une antithèse de la Nature.
Qu'est-ce que l'habitat humain a de si particulier ? Se peut-il que la vie, qui a pourtant conquis les milieux les plus hostiles (déserts, banquises, grottes souterraines ou fonds océaniques), s'arrête à ses portes, impuissante ?
Ce que vous allez apprendre
- Ce qui distingue le milieu urbain des milieux dits « naturels »
- En quoi cela empêche la majorité des espèces d'y survivre
- Pourquoi beaucoup d'animaux ont peur de pénétrer en ville
- Comment, malgré tout, une biodiversité riche parvient à s'y installer
Robin Chalot
La ressource est rare en ville, mais moins nombreux sont ceux qui peuvent la réclamer.
Le milieu urbain : un environnement pauvre en ressources…
Une des principales caractéristiques du milieu urbain en termes écologiques est sa sècheresse.
Deux paramètres en particulier jouent sur la quantité d’eau disponible dans un environnement donné : les apports (pluies, cours d’eau, nappes souterraines, etc.) et la capacité de rétention.
Les revêtements urbains imperméables modifient à la baisse ces deux aspects.
Eau et imperméabilité
L’eau qui ruisselle sur les toits et la chaussée est en grande majorité concentrée et évacuée le plus rapidement possible par les systèmes d’assainissement, au lieu d’être stockée et de se diffuser dans les sols, comme c’est le cas lorsque ceux-ci sont perméables.
L’absence de terre suppose également, pour les plantes comme pour toutes les autres espèces qui vivent dans le sol, l’impossibilité de planter ses racines ou de trouver sa nourriture.
Bien que beaucoup d’espèces de flore puissent supporter quelques jours ou semaines de privation, le manque d’eau en milieu urbain est particulièrement sévère.
Températures élevées et îlot de chaleur urbain
Ajoutez à cela les phénomènes qui augmentent les températures moyennes au sein des villes, de quelques degrés par rapport aux campagnes environnantes (on parle « d’îlot de chaleur urbain »), et vous obtenez un milieu singulièrement aride.
Les rares lieux qui peuvent retenir un peu plus d’eau que la moyenne (creux, fissures, etc.) et accumuler au fil du temps quelques centimètres cubes de terreau, deviennent alors des oasis rapidement prises d’assaut.
Qu’appelle-t-on l’îlot de chaleur urbain ?
Cette expression désigne l’ensemble des phénomènes qui conduisent les températures moyennes au sein des espaces bâtis à dépasser de plusieurs degrés celles des territoires ruraux voisins.
Il est lié à une combinaison de facteurs tels que la nature des matériaux de construction, qui absorbent la lumière du soleil et la restituent sous forme de chaleur, le chauffage et la climatisation des bâtiments, ou encore l’agencement de la ville qui modifie la circulation de l’air.
Sources d’alimentation réduites
Qui dit peu de végétaux, dit une chaîne alimentaire affectée à tous les niveaux.
Les animaux qui s’en nourrissent, et par ricochet leurs propres prédateurs, sont confrontés à un manque de nourriture, en quantité comme en variété.
Lorsque leur alimentation dépend très spécifiquement de tel ou tel autre être vivant, son absence rend impossible le fait de demeurer en ville.
Le même raisonnement s’applique aussi pour d’autres relations écologiques : symbiose, parasitisme ou encore pollinisation.
…mais riche en nuisances
Bruits, odeurs, mouvements, lumière… la population et les activités humaines qui se concentrent en milieu urbain s’accompagnent de leur lot de stimuli.
Pollutions sonores
Ceux-ci peuvent perturber les sens des autres espèces de multiples façons. Le bruit du trafic automobile ou des activités industrielles peut, par exemple, interférer avec les chants d’oiseaux, de batraciens, ou encore de mammifères, forçant des mécanismes d’adaptation (changement d’intensité, de fréquence, etc.) ou altérant leur perceptions (recherche de partenaires sexuels, défense du territoire, etc.). Il perturbe les prédateurs qui dépendent de leur ouïe pour chasser, comme les chauves-souris ou certaines chouettes.
Pollutions atmosphériques
De façon similaire, bien que plus subtile, on peut aussi s’interroger sur le risque que les nombreuses odeurs et pollutions atmosphériques puissent modifier chimiquement les phéromones que des insectes émettent pour se reconnaître. Même les plantes subissent ces nuisances, lorsque leurs parfums, impliqués dans le processus de pollinisation, se retrouvent modifiés ou masqués par la pollution de l’air urbain.
Pierre Doris
Paris sera bientôt la seule ville au monde où, au réveil, on pourra entendre les petits oiseaux tousser.
Pollutions lumineuses
La lumière est également une source de gêne importante, qui soulève de plus en plus d’inquiétude parmi les écologues. Les images vues du ciel nocturne, où les innombrables éclairages des métropoles forment sur la surface terrestre de véritables constellations, ont déjà fait plusieurs fois la une des médias.
Or, le terme de « pollution lumineuse » n’est pas exagéré, car le cycle naturel d’un très grand nombre d’espèces (y compris la nôtre) est influencé par les sources de lumière naturelles que sont le Soleil, la Lune, voire les étoiles. Lorsque des sources artificielles s’invitent à la fête, les conséquences peuvent être considérables.
À titre d’exemple, des espèces de passereaux et de canards guident leur migration annuelle sur le ciel étoilé, mais le halo lumineux qui se dégage des zones urbaines fait disparaître une partie de leurs repères, les amenant parfois à faire des détours de plusieurs kilomètres qui peuvent être fatals ou à entrer en collision avec des bâtiments.
Les insectes nocturnes s’appuient quant à eux sur la position de la lune, mais la confondent avec les lampes dont ils se rapprochent au risque de se brûler. C’est aussi un problème pour leurs prédateurs : les chauves-souris qui fuient la lumière (Murin, Oreillards) se retrouvent privées d’une source de nourriture importante.
Les animaux diurnes ne sont pas épargnés, car leur perception des cycles journaliers est altérée par la luminosité ambiante qui persiste de nuit. Des perturbations notables ont déjà pu être observées dans les comportements reproductifs des merles, des mésanges ou des rouges-gorges.
On soupçonne même la pollution lumineuse d’avoir des effets néfastes, encore difficiles à évaluer, sur les plantes, car plusieurs étapes de leur cycle de vie sont contrôlées par la lumière du jour : germination, croissance, ouverture des fleurs et pollinisation.
Jacques Savoie
La ville c'est comme les enfants, elle dort la lampe allumée.
Les dangers du milieu urbain
Le milieu urbain en tant qu’habitat
La saturation sonore, les mouvements incessants et la forte densité de grands mammifères bipèdes qui caractérisent les villes se traduisent, pour les animaux les plus craintifs, comme autant de signaux de dangers.
Le risque se vérifie dans certains cas (collisions avec les véhicules), mais plus encore, c’est l’instinct de survie qui peut dissuader certaines espèces de pénétrer en ville.
Pour des petits mammifères, par exemple, l’absence d’un couvert végétal touffu au sol signifie que rien ne les cache d’éventuels prédateurs. Hors de question, dès lors, de s’aventurer sur le bitume nu de la voirie, au vu et au su de tous.
De manière générale, les espaces bâtis sont pauvres en abris où se réfugier en cas de menace (prédateurs, lumière du jour, intempéries, vent, etc.), les surfaces lisses et infranchissables ayant remplacé feuillages, buissons et fourrés dans lesquels il est possible de se faufiler.
L’impact de l’activité humaine
Les actions de l’Homme achèvent de dresser ce tableau peu accueillant pour le reste du monde vivant.
Tantôt de façon intentionnelle : travaux de désherbage ou d’arrachage, utilisation de biocides ou programmes de gestion des « nuisibles », qui visent directement à se débarrasser des espèces avec lesquelles on ne souhaite pas cohabiter.
Tantôt non : travaux d’aménagement au cours desquels des plantes sont arrachées, des habitats détruits et les espèces qui les occupent forcées à partir.
Enfin, notre présence et nos activités ont des répercussions non désirées, qui peuvent rendre le milieu urbain hostile pour d’autres espèces : pollution de l’eau ou des sols, prédation par les animaux de compagnie, introduction d’espèces devenant envahissantes.
Italo Calvino
Les sphinx, les griffons, les chimères, les dragons, les hircocerfs reprenaient possession de leur ville.
Et pourtant… une biodiversité urbaine riche et pleine de surprises
Diversité de milieux
Malgré tout ce qu’on en a dit, le milieu urbain est loin d’être un désert écologique, uniquement occupé par les humains, leurs animaux de compagnie et leurs plantes vertes.
La diversité des formes du vivant est telle que pour chaque obstacle cité dans cet article, il existe des espèces capables de le surmonter. Ainsi, la minéralité et la sécheresse des espaces bâtis n’est pas sans rappeler les falaises rocheuses, qui partagent leur pauvreté en nutriments et en eau, leur forte exposition au soleil et au vent.
Des mousses, des lichens, ainsi que des plantes surnommées « pionnières » ont su s’acclimater à ces milieux extrêmes et retrouvent en ville les conditions suffisantes à leur installation.
Robin Chalot
Malgré tout ce qu'on en a dit, le milieu urbain est loin d'être un désert écologique, uniquement occupé par les humains, leurs animaux de compagnie et leurs plantes vertes.
Diversité des sources d’alimentation
Côté animal, les espèces capables de varier leur alimentation en fonction des ressources disponibles peuvent y trouver leur bonheur.
Notre goût pour les arbres et les plantations luxuriantes conduit parfois à rassembler une impressionnante variété de fleurs, facteur potentiellement favorable à une diversité d’insectes pollinisateurs.
Enfin, un certain nombre d’animaux (mammifères, oiseaux, insectes, etc.) se servent parmi nos restes de repas, nos poubelles et tous les déchets organiques qui tombent à leur portée.
Souvent perçus comme nuisibles, ils sont néanmoins indispensables au recyclage de ces ordures « vertes » qui finissent chaque jour sur le macadam : sans eux, nos rues et nos places disparaîtraient bien vite sous les déchets alimentaires, feuilles mortes et autres restes d’animaux.
Attention toutefois, le nourrissage délibéré peut se révéler dommageable tant pour eux (régime alimentaire déséquilibré, propagation des maladies, etc.) que pour les humains (regroupement et prolifération d’espèces non désirées).
Le banc Refuge© : pour faciliter la vie des insectes urbains
En milieu urbain, l’entomofaune est tellement sous pression, notamment dans les grandes agglomération, que la moindre parcelle qui peut leur être favorable est très rapidement colonisée.
Le banc Refuge©, mobilier urbain favorisant les insectes, on trouvera des pollinisateurs, des auxiliaires de cultures qui pourront apporter leur aide aux services des espaces vert, mais aussi des arthropodes qui ont toute leur place dans la chaîne alimentaire… C’est les oiseaux qui sont heureux !
Anthocoris, chrysopes, épeires diadèmes, coccinelles de tous points, carabes et pourquoi pas des lézards des murailles ou des lépidoptères comme le paon du jour auront là un endroit pour s’abriter, se reproduire et passer la mauvaise saison.
Grandes capacités d’adaptation de certaines espèces
Les espèces qui parviennent à s’installer en ville sont aussi celles qui peuvent tolérer ses nuisances ou qui les évitent en circulant de nuit, échappant autant que possible à tout contact humain.
Renard, lynx, coyotes ou hyènes en sont des visiteurs fréquents, mais discrets, selon les régions du monde.
Beaucoup d’espèces se contentent aussi des quelques lieux plus à l’abri que sont les parcs, les jardins, les friches et toutes formes de végétation.
Paradoxalement, ces espèces peuvent justement profiter de l’hostilité du milieu urbain envers des prédateurs ou des compétiteurs, qui auraient des besoins écologiques trop spécifiques pour être satisfaits.
En somme, la ressource est rare en ville, mais moins nombreux sont ceux qui peuvent la réclamer.
Le saviez-vous ?
La Mairie de Paris recense, au sein de la capitale, 700 espèces végétales et 1 200 animales, parmi lesquelles quelques espèces protégées. La biodiversité à Paris, c’est notamment :
33 mammifères, dont 11 chauves-souris
11 amphibiens (grenouilles, tritons, etc.)
157 oiseaux, dont plus de 60 qui nichent dans la ville
800 insectes, dont 47 papillons et 27 odonates (libellules et demoiselles)
51 mollusques (escargots, limaces, moule d’eau douce, etc.)
Sans oublier les autres arthropodes (arachnides, crustacés, myriapodes…), les poissons, les reptiles (notamment le lézard des murailles), les vers, les algues, les lichens et tous les micro-organismes.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le Plan Biodiversité 2018-2024.
Cities: Episode 6 Trailer | Planet Earth II
Bande-annonce du documentaire de la BBC : Planet Earth II - Cities
Des milieux naturels, pas si naturels
À ce stade, il est permis de s’interroger sur les critiques faites à l’urbanisation galopante. Si le milieu urbain regorge d’une telle biodiversité, pourquoi s’alarme-t-on de la disparition des milieux naturels ?
C’est que les écosystèmes du milieu urbain sont singulièrement semblables d’une ville à l’autre, et les espèces qui les composent largement minoritaires par rapport à l’ensemble de la biosphère.
Le milieu urbain, quoi qu’on y fasse, ne pourra certainement jamais servir de refuge à toutes les formes du vivant. Or, c’est bien la diversité du vivant qui sous-tend notre propre survie.
Les effets des villes dépassent largement leur périmètre : agriculture, exploitation forestière, pêche, extraction de matériaux miniers, production et transport d’énergie, infrastructures de transport ou loisirs sont autant d’activités humaines qui s’étendent en-dehors du milieu urbain, empiètent sur l’espace occupé par d’autres écosystèmes et entraînent avec elles leur lot de perturbations, de nuisances, de dangers.
Aujourd’hui, à quelques exceptions près, l’Homme a posé sa marque partout sur Terre.
Certains phénomènes à grande échelle comme les changements climatiques, les pollutions de l’air ou de l’eau, ont des répercussions même là où il est très peu présent.
Ironiquement, la plupart des espaces que l’on qualifie de « naturels » sont déjà tellement déséquilibrés par la présence humaine, que notre intervention active est désormais nécessaire, pour protéger les écosystèmes les plus fragiles et empêcher leur effondrement.
Ainsi, il ne suffit pas de rendre le milieu urbain plus propice à l’installation des espèces sauvages, il faut aussi et surtout limiter son étendue et son influence : de manière générale, stopper les effets délétères des activités humaines sur tous les autres écosystèmes de la planète.
Pour conclure
L'opposition sémantique historique entre ville et Nature s'explique en grande partie par l'accumulation de dangers et nuisances qui accompagnent la première : sécheresse, manque de sols pouvant accueillir la végétation, ressources alimentaires limitées et peu diversifiées, bruits, pollutions, lumière artificielle, collision ou écrasement par des véhicules, mesures de gestion par l'Homme.
Pourtant, la Nature a proverbialement horreur du vide et chacune de ces nuisances trouve des espèces qui savent la contourner ou s'y adapter, se contentant de ce que le milieu urbain a à offrir et profitant parfois de l'absence de leurs compétiteurs et prédateurs.
Contrairement à l'image qu'on s'en fait couramment, les villes fourmillent de formes de vie variées : mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles, poissons, insectes, mollusques, arachnides, crustacés… sans oublier les innombrables plantes, champignons et micro-organismes.
Toutefois, cela ne reste qu'un milieu parmi d'autres. Il ne peut en aucun cas compenser la perte massive de biodiversité observée à l'échelle planétaire, du fait de la destruction progressive d'autres écosystèmes.
Peut-on imaginer que l'habitat créé par l'Homme devienne, à son tour, un milieu naturel remarquable par sa biodiversité et ses qualités écologiques uniques ?
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Robin Chalot
Écologue et urbaniste
Passionné par la biodiversité urbaine et le concept de continuités écologiques, c'est-à-dire la capacité des espèces sauvages à vivre et circuler sur le territoire.
Sa vocation : concilier les besoins des humains avec ceux des écosystèmes.
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