Pour plus de biodiversité dans les programmes des élections municipales 2020

De projets hors sols en idées farfelues, en passant par des mesurettes, les mesures proposées dans le cadre des élections municipales relèvent encore trop souvent de déclarations d’intentions qui manquent de fondement plutôt que de réelles ambitions en matière de biodiversité.

Pourtant, avec quelques connaissances et en prenant un peu de recul, il est possible de faire beaucoup de choses pour la biodiversité au niveau local.

Nécessitant en réalité peu d’investissements ou consistants alors en des investissements rentables (car générateurs d’économies financières par la suite). Certaines mesures de protection de la biodiversité auraient tout intérêt à trouver une place dans les programmes des élections municipales du 22 mars.

Ce que vous allez apprendre

  • Les mairies ont un rôle de premier ordre à jouer contre l'effondrement de la biodiversité
  • Les mesures prises à l'échelle locale peuvent être lourdes de conséquences, positives comme négatives
  • Les bonnes intentions ne suffisent pas, préserver la biodiversité nécessite un savoir-faire à part entière
  • Il y a une infinité de manières de valoriser une biodiversité en bonne santé
  • Les premiers pas ne sont pas particulièrement compliqués
Julien Hoffmann
Inutile de faire dans l’angélisme ou le dogmatisme, nous ne vivons pas dans une société réellement consciente des enjeux de biodiversité.

Aménager et respecter

Droit et propre ne sont pas ce qui caractérise le plus la Nature et la biodiversité
Droit et propre ne sont pas ce qui caractérise le plus la Nature et la biodiversité P Charit

Nous avons anthropisé le monde et cela nous donne une responsabilité qui va au-delà de l’électoralisme. S’il faut repenser notre place dans la Nature, il s’agit, quoi qu’il advienne de cette réflexion, de redonner de la place à celle-ci dans nos politiques publiques.

Étant donné que l’on part de très loin, les premiers pas ne sont pas particulièrement compliqués. Encore faut-il avoir l’ambition de la démarche.

Il existe de plus en plus d’écologues compétents, qu’ils soient indépendants ou en bureaux d’études, qui sauront apporter bien des idées au-delà de la bonne intention. Créer des maillages de biodiversité à l’échelle communale, expérimenter des dispositifs, organiser des suivis d’efficacité ou réorienter des plans de gestion sont autant de choses à imaginer… Mais pas seulement !

Quand l’aménagement d’un sens giratoire coûte entre 100 000 et 1 million d’euros, combien de nichoirs à chauves-souris ou oiseaux peuvent être installés intelligemment (avec étude préliminaire de déploiement) en zone urbaine et péri-urbaine ? Pendant combien d’années pourrions-nous en réaliser le suivi ? Aménager pour la biodiversité plutôt que pour le confort routier n’est-il pas porteur, pour les électeurs ?

À quoi cela peut-il encore servir de maximiser le fleurissement de nos villes entre le 15 juin et le 30 septembre, dates de passage du jury des « villes et villages fleuries », alors que les insectes ont besoin de se nourrir tout au long de l’année ? Réfléchir les essences que ce soit en matière florale, arbustive ou arboricole est plus que nécessaire, sans même parler de leur répartition intelligente sur le ban communale.

Simple mais pas simpliste

Les mesures qui peuvent être prises en faveur de la biodiversité sont souvent simples à imaginer, mais il ne faut pas pour autant croire qu’elles peuvent être mises en place intelligemment seulement en claquant des doigts. Ainsi, nous ne pouvons vous proposer un article contenant une liste de mesures « clés en main ».

Prenons un exemple précis : l’installation de nichoirs pour chauve-souris. Avant de pouvoir concrétiser une telle mesure sur le terrain, il conviendrait de répondre à plusieurs questions :

  • Quel est l’objectif initial ?

  • Quels types de chauves-souris sont présents sur le territoire ?

  • Quel type d’installation va être privilégié ? Pour quel coût ?

  • Quel est le maillage à réaliser sur le territoire ?

  • Comment va s’articuler l’accompagnement pédagogique ?

  • Comment la démarche va être intégrée dans le « zéro phyto » ?

  • Quel sera le rayon d’implantation des nichoirs ou des sites de nidification existants (tel qu’un réaménagement de bunker ou la réouverture d’un clocher) ?

  • Y a-t-il un intérêt technique ou un coût à coupler la démarche rapidement en favorisant hirondelles et martinets, pour une efficacité anti-moustiques ?

  • Comment élaborer une politique d’évaluation de la démarche, pour éviter les contre-productifs « ça ne marche pas » ?

  • Quel est le plan de gestion et d’entretien ?

  • Quelles mesures prendre pour favoriser la présence des chauves-souris (élaboration d’une « trame noire », etc.) ?

INTERREG- Scénographie itinérante projet de valorisation des zones humides
INTERREG- Scénographie itinérante projet de valorisation des zones humides DEFI-Écologique

Les mantes religieuses ne peuvent fixer les oothèques sur des tiges hautes pour y passer l’hiver si ces dernières sont fauchées pour « faire propre ». Les campagnols amphibies ont besoin d’une continuité de berges et alentours non aménagés. Les rapaces de toutes plumes ont besoin de perchoirs pour chasser autant que de sites de nidification accessibles. Les hérissons ont un besoin vital de se déplacer pour se nourrir, ce que les grillages les empêchent de faire. Les oiseaux migrateurs ont besoin de zones de repos tranquilles. Les batraciens ont besoin de mares (temporaires ou non) qui ne soient pas polluées et qui soient suffisamment bien réparties sur le territoire. Les reptiles ont besoin de sites d’hibernation qu’ils ne trouvent pas sous les pavés ou le macadam. Les humains ont besoin de végétation pour se protéger du soleil. Liste non-exhaustive…

Eh oui, tout ceci et bien plus encore doit maintenant être fait en même temps, car nous avons trop attendu. Oui, ce n’est que le début des efforts que l’on va devoir fournir rapidement si on ne veut pas se retrouver le bec dans l’eau. Et oui, enfin, cela doit absolument s’accompagner de plan de suivis, d’évaluation et de gestion à la fois pour éviter d’être contre-productif et pour répliquer le modèle ici et ailleurs, preuve d’une réelle intelligence collective.

Julien Hoffmann
Créer des maillages de biodiversité à l’échelle communale, expérimenter des dispositifs, organiser des suivis d’efficacité ou réorienter des plans de gestion sont autant de choses à imaginer.

Comprendre et faire comprendre la biodiversité

La biodiversité, c’est à la fois des chiffres et des concepts. Des chiffres en pagaille quant à son érosion galopante, des concepts parfois complexes comme les notions de dérives génétiques dues à la fragmentation des milieux ou celle de dynamique de population et son impact sur les services écosystémiques.

Besançon - Campagne de sensibilisation au nourrissage des animaux en ville
Besançon - Campagne de sensibilisation au nourrissage des animaux en ville DEFI-Écologique

Un élu se devrait désormais d’en avoir la maîtrise, ou à défaut d’être entouré de personnes qualifiées en la matière. Il ne peut cependant plus porter tout cela du bout de ses petits bras musclés. La science se penche de plus en plus sur tous les sujets de biodiversité, même si les notions climatiques monopolisent encore trop le débat, et les nouvelles sur le sujet vont vite… Trop vite pour qu’une seule personne puisse en avoir la maîtrise, notamment sur des sujets parfois pointus mais qui concernent toute la société. Par exemple : l’accès à un environnement riche permet une transmission microbienne utile qui est vectrice d’équité sociale.

De plus, l’état des connaissances en territoire est encore loin d’être complet. C’est certainement la première chose à faire que de posséder un inventaire si ce n’est exhaustif, du moins de bonne qualité de la présence des espèces, notamment intra-muros (en cela les Atlas de Biodiversité Communale, ou ABC, se justifient totalement).

Un aménagement réfléchi ne se sort pas du chapeau et demande des compétences
Un aménagement réfléchi ne se sort pas du chapeau et demande des compétences SamuelFreli

Mais une fois que la chose est faite, il s’agit de faire en sorte que tous puissent au moins en avoir connaissance à défaut de se l’approprier (et là rien n’est inventé). Il est impossible de demander à tout un chacun de réaliser les efforts qui vont inévitablement devoir être fait à l’avenir sans savoir pourquoi ou pour quoi ils vont devoir être faits.

Bulletins d’informations, petits panneaux signalétiques (par exemple : « levez la tête, ceci n’est pas qu’un lieu de culte, c’est aussi et surtout un lieu de nidification pour la Chouette effraie »), sentiers d’interprétation urbain et péri-urbain, médiation à l’environnement (visites guidées, événements statiques, etc.), réunions publiques d’information instituées (mensuelles, trimestrielles, etc.), suivis participatifs, évènements innovants, etc. La liste est longue mais les actions sont surtout complémentaires, touchant des publics toujours différents. C’est là qu’il s’agit d’être ambitieux : une grande action esseulée ne vaudra jamais cinq petites actions en parallèle.

Julien Hoffmann
Il faut ambitionner de faire disparaitre le plus rapidement possible cette notion utilitariste de la biodiversité, car elle ne fait que perpétuer un mode de pensées qui nous a amené dans la situation insoutenable dans laquelle nous sommes.

Mettre en avant la biodiversité « utile »

Inutile de faire dans l’angélisme ou le dogmatisme, nous ne vivons pas dans une société réellement consciente des enjeux de biodiversité.

  • « Nan mais sérieux, une mouche ça sert à rien ! »

  • « À part nourrir des milliers d’espèces d’oiseaux, de reptiles et de batraciens pour des milliards d’individus à travers le monde et un impact socioéconomique tellement massif que l’on n’arrive pas encore clairement à l’estimer… non, tu as raison, ça sert à rien.

    Par contre, si on doit investir massivement pour compenser la disparition des mouches (à condition que juste investir suffise) on aura moins d’argent pour tout le reste, non ? »

Alors, évidemment qu’il faut ambitionner de faire disparaitre le plus rapidement possible cette notion utilitariste de la biodiversité, car elle ne fait que perpétuer un mode de pensées qui nous a amené dans la situation insoutenable dans laquelle nous sommes. Mais il faut aussi prendre à bras le corps le fait que nous sommes en transition, c’est-à-dire que nous glissons d’un modèle quasi-séculaire à un autre. Cette transition nécessite que l’on trouve tous les vecteurs d’évolution vers une compréhension généralisée de notre biome.

Bourgogne - Accompagnement de tenue d'exploitation raisonnée et installation de nichoirs et abris en fonction des espèces présentes
Bourgogne - Accompagnement de tenue d'exploitation raisonnée et installation de nichoirs et abris en fonction des espèces présentes DEFI-Écologique

Mao s’est rendu compte, trop tard, qu’inciter avec ferveur tous les chinois à travers le pays à tuer un maximum d’oiseaux (sous prétexte qu’ils dévoraient les graines des champs) était une erreur qui a participé à la grande famine qui fit 15 millions de morts, avec une explosion des ravageurs de cultures (ça et une politique d’exportation à tout prix pour montrer que la Chine était forte). Il semblerait que l’amnésie collective de ce « retour d’expérience » risque de nous amener à rejouer la même scène à plus grande échelle.

Les chauves-souris mangent des moustiques aussi sûrement que les hirondelles. Les martinets noirs dévorent des mouches alors que les renards limitent les populations de campagnols terrestres. Joncs, iris, massettes et tellement d’autres participent à la qualité renouvelée des eaux de surface dont nous sommes tant dépendants. Les abeilles sauvages pollinisent aux côtés de bien d’autres insectes qui ne sont pas des hyménoptères ; dont beaucoup ont un cycle de vie qui les voit à la fois polliniser au stade d’imago, mais aussi réguler les populations de ravageurs aux stades de larves. Les hérissons se délectent de limaces et les chouettes hulottes ou chevêche de campagnols des champs. Encore une fois, la liste est non-exhaustive.

Autant d’excuses pour orienter les politiques agricoles, autant d’excuses pour protéger les milieux, autant d’excuses pour mener des politiques publiques de bien commun, autant d’excuses pour avancer vers des modèles économiques soutenables en évitant la gabegie d’argent public à des fins électoralistes.

Julien Hoffmann
Et c’est très exactement là que les forces vives d’un territoire peuvent s’exprimer, tout simplement parce que Wikipedia ne vaudra jamais un agriculteur qui a fréquenté ses terres pendant 70 ans.

Expérimenter — Innover — Participer

Le ruissellement des politiques publiques d’État dans les territoires se fait, mais ne peut guère être efficace sans adaptation aux particularités et contraintes desdits territoires. Or, ce sont les territoires qui s’investissent dans ces adaptations, à force d’innovations et d’expérimentations, qui permettent de nourrir les politiques publiques !

En matière de biodiversité, si l’on retrouve souvent les mêmes problématiques de fond (artificialisation des sols, pollutions, fragmentation des milieux, diminution des ressources alimentaires, dérangement, etc.), devoir se pencher sur une problématique bien spécifique comme par exemple pour le Gypaète barbu, le Desman des Pyrénées, le Cuivré des marais ou encore le Sonneur à ventre jaune, demande des réponses tout aussi spécifiques.

À deux pas de la Cathédrale de Bourges, des canaux riches en biodiversité
À deux pas de la Cathédrale de Bourges, des canaux riches en biodiversité DEFI-Écologique

Et c’est très exactement là que les forces vives d’un territoire peuvent s’exprimer, tout simplement parce que Wikipedia ne vaudra jamais un agriculteur qui a fréquenté ses terres pendant 70 ans. Parce que Google vous apportera 100 000 réponses, mais que la bibliothèque locale vous apportera la bonne. Parce que le passionné de Nature depuis sa plus tendre enfance qui a décidé de se mettre à son compte en qualité d’écologue « pour participer concrètement aux changements nécessaires » aura des idées que peu d’autres auront.

Les pouvoirs publics locaux ont désormais un rôle crucial à jouer dans cette démarche, à la fois en osant expérimenter et innover au cœur du territoire, en faisant en sorte que ces actions la valorisent (localement, nationalement, socialement et économiquement) et en faisant participer un maximum d’acteurs du territoire pour que tout le monde soit partie prenante d’une transition qui se concrétise (par exemple, une baguette « Outarde canepetière » issue de céréales produites dans le respect de l’espèce cocherait bien des cases).

Pour conclure

Les professionnels de la protection de l’environnement, les acteurs publics de tous bords, les citoyens au sens large du terme (sans les confiner aux seules associations de bénévoles) et le monde de l’entreprise ont un rendez-vous à prendre que seuls les élus locaux peuvent enfin convoquer. Il en va autant des enjeux de biodiversité que de l’attraction des territoires.

« La Nature mérite qu'on lui permette de s'inviter dans nos quotidiens » et les possibilités pour ce faire son maintenant pléthore, sans même compter tout ce qu’il est possible d’inventer comme solutions.

La chance qui se présente actuellement au monde politique réside à la fois dans le fait que toutes les forces vives confondues sont partantes pour entrer de facto dans une transformation de notre société et à la fois dans le fait qu’une part grandissante de cette même société souhaite des actes, du concret. Et comme nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre…

Portrait de l'auteur

Dans votre programme, comment a été envisagé la gestion de la biodiversité ? Aviez-vous prévu de vous entourer d'écologues, de naturalistes et de biologistes ?

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Portrait de l'auteur

Julien Hoffmann

Rédacteur en chef — DEFI-Écologique

Fasciné depuis 20 ans par la faune sauvage d'ici ou d'ailleurs et ayant fait son métier de la sauvegarde de celle-ci jusqu'à créer DEFI-Écologique, il a également travaillé à des programmes de réintroduction et à la valorisation de la biodiversité en milieu agricole.

Il a fondé DEFI-Écologique avec la conviction qu'il faut faire de la protection de l'environnement un secteur économique pour pouvoir réellement peser sur les politiques publiques.

 Julien est membre de DEFI-Écologique.

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2 réponses à “Pour plus de biodiversité dans les programmes des élections municipales 2020”

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